La parade - La victoire - Le ciel rouge
de Loúla Anagnostáki

critiqué par Sahkti, le 4 juillet 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La souffrance de l'exil grec
Parution récente aux éditions "L'Espace d'un instant" dont il faut saluer la qualité du travail éditorial et du choix des auteurs présents au catalogue, ce recueil de trois pièces de Loùla Anagnostaki est un petit régal de cynisme et de douleur.
L'auteur est née à Thessalonique et a été contrainte à l'exil après le putsch des Colonels en 1967. Paris l'accueille alors et met en scène son théâtre.
Ce volume présente trois de ses textes.

"La Parade" met en scène deux jeunes gens, Aris et Zoé, qui tournent en rond dans leur chambre et regardent par la fenêtre. Une parade se prépare, le silence se fait oppressant avant de céder place à une musique assourdissante, un défilé, puis une potence, un homme connu, une peur qui s'empare d'eux. Jusqu'à la terreur finale. La tension va crescendo et des discussions futiles du départ entre les deux jeunes gens naît une réflexion sur la peur, ressentie tant par eux que par le lecteur, qui perçoit chaque tremblement, grâce à la plume habile de Loùla Anagnostaki. Tout ceci sent le règlement de compte. Face aux vieux démons d'un régime perverti. Et on pourrait imaginer que l'homme qui est livré en pâture à des chiens féroces appartient soit aux exilés considérés comme traîtres, soit au régime dictatorial que la Grèce a subi. Dans l'un et l'autre cas, c'est la sentence finale qui prend toute la place et l'absurdité totale de la situation qui veut que l'on soit tué pour des convictions. Les changements de régimes politiques qui ressemblent à des girouettes et veulent qu'un jour on soit dans le camp des bons et le lendemain dans celui des mauvais, autant de bêtise humaine étalée sur papier par Loùla Anagnostaki, qui en privilégiant l'aspect anecdotique d'une parade militaire et de deux jeunes qui se disputent fait ressortir plus encore toute la fragilité d'un système.

Dans "La victoire", le lecteur découvre le parcours tourmenté d'une famille d'immigrés grecs ayant trouvé refuge en Allemagne, avec un passé lourd à transporter. Les habitudes et les mentalités sont différentes, il est malaisé de se faire une place et ce qui ressemblait à un paradis peut se révéler un véritable enfer. Non pas que le pays d'accueil soit en cause, mais on ne change pas son esprit du jour au lendemain et l'exil est un briseur de rêve par excellence. Beaucoup d'amertume dans ces lignes, de la rage et de la tristesse, un récit dans lequel Loùla Anagnostaki semble avoir déposé une bonne partie de son âme.

"Le Ciel rouge" est le plus court des trois textes, une dizaine de pages narrant les désillusions d'une femme, ancien professeur communiste ayant sombré dans l'alcoolisme, qui rend visite à son fils en prison. Un jeune homme qui a voulu accéder trop rapidement aux richesses d'une société qu'il ne pouvait qu'effleurer d'un doigt. Symbole d'un monde rutilant et libre qui n'est qu'une utopie, la vie ne pouvant se résumer qu'à un enfermement et une résignation de chaque instant. Un texte noir et en même temps porteur d'espoir tant le courage et la lucidité de cette femme sont puissants.

Une belle découverte pour moi que ces textes de Loùla Anagnostaki, pour lesquels je remercie "L'Espace d'un instant", maison crée il y a une vingtaine d'années dans le but de faire connaître davantage les cultures théâtrales de l'Europe de l'Est. C'est dans cette optique que s'est ouverte en mai 2005 la Maison d'Europe et d'Orient, à Paris, abritant une librairie, un centre de ressources sur les écritures théâtrales, une maison d'édition, une compagnie théâtrale ainsi qu'un vaste réseau de traducteurs et de correspondants.
A découvrir sur: http://www.sildav.org