Lambeaux
de Charles Juliet

critiqué par Jules, le 14 juillet 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une merveille de sensibilité et d'écriture
Charles Juliet nous raconte sa mère qu’il n'a pas connue. Enfant, elle était une élève particulièrement douée et, surtout, avide d’apprendre.
Elle vivait dans une ferme, avec ses parents et ses jeunes soeurs. Elle réussit ses primaires et, au retour de la ville, l’examen passé, elle sent que ses parents n’en sont pas plus fiers. D’ailleurs elle sait qu’elle devra quitter l'école pour s’occuper de ses soeurs.
C’est un véritable déchirement pour elle, tant sa soif d'apprendre était grande. Des mots, des mots, pour pouvoir parler, pour pouvoir comprendre et écrire… Mais tout cela est fini pour elle !.
Dans le grenier, elle découvre une bible et va la lire et la relire. Elle va aussi entamer un journal dans lequel elle écrira chaque jour tant son obsession est grande de garder le contact avec les mots. « La gravité de ton regard gêne, dérange, impressionne, et c’est elle qui pour une grande part creuse autour de toi cette solitude dans laquelle tu t'enfonces chaque jour un peu plus. »
Elle rencontre un jeune homme de la ville et en tombe éperdument amoureuse. Mais elle se rend compte à quel point elle est démunie : « Il a lu tant de livres, connaît tant de choses. »
Mais rien n’ira comme elle l'espère, au contraire !… Elle va s'enfermer de plus en plus dans un mutisme désespéré ! Celui de quelqu’un qui ne trouve pas à qui parler !…
Dans le second récit, Charles Juliet, dernier enfant de sa mère, né avant son internement, nous raconte qu'il a d’abord été confié à des voisins, puis à une famille de paysans vivants un peu plus loin. Malgré qu’il hurlait à longueur de temps, Madame R. et ses cinq filles décidèrent de le garder. Son père ayant oublié de leur indiquer son prénom, elle l’appelèrent Jean.
Toute son enfance sera ravagée par la peur : celle des adultes, du noir, de disparaître, d'être enlevé. Pas question d'aller à l'école quand il y a du travail à la ferme. Il manquera sept mois par an et c'est une des grandes « soeurs » qui, le soir, l'aidera à ne pas oublier ce qu'il a appris.
A l'âge de sept ans, il apprend qu’il avait une autre mère et qu’elle vient de mourir dans l’établissement où elle était… Il fait enfin la connaissance de son vrai père et de ses frères.
Enfin la guerre se termine et Charles Juliet est accepté dans une école d'enfants de troupe à Aix-en-Provence. Il devient un petit militaire avec toutes les rigueurs et la discipline que cela suppose. L’ennui, la routine, mais il deviendra capitaine de l’équipe de rugby. Un jour arrive un nouvel adjudant, passionné de boxe. Ils deviendront amis et il l’emmènera chez lui lors des permissions.
Mais, entre-temps, il découvre la lecture et délaisse ses études pour lire et écrire avec avidité. Il ne vivra plus que pour cela !
Est-ce parce que « Ni l’une ni l'autre de tes deux mères n'a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. » ?.
Deux merveilleux récits, d’une écriture superbe, tout en finesse et en sensibilité.
Emouvant 8 étoiles

Emotions à fleur de coeur tout au long de la 1ère partie du livre où l'auteur sait évoquer, nous transmettre toute la désespérance existentielle, la profonde détresse intérieure de celle qui fut la "vraie" mère.

Toutefois, cet usage de ce "tu" a été une barrière virtuelle de mise à distance entre ces "personnages", certes très touchants, et le lecteur et ne m'a certainement pas permis d'en apprécier toutes les "valeurs" tant humaines que littéraires.

Provisette1 - - 11 ans - 24 octobre 2015


Lambeaux de vies 9 étoiles

Les livres rédigés à la deuxième personne du singulier ne sont pas légion et demandent, en règle générale, un effort de la part du lecteur. Avec Charles Juliet, c'est relativement facile, tant il nous conduit comme par la main pour nous confier ce qu'il recèle en lui à la fois de plus douloureux et de plus précieux. A commencer par l'évocation de ses deux mères: celle qui lui a donné le jour, une paysanne accablée par le travail, une femme qui avait entraperçu l'amour de sa vie pour le perdre aussitôt et qui avait fini par se résigner à un autre mariage, une femme passant constamment d'un accouchement à un autre jusqu'à ce qu'elle tente de se suicider après la naissance de son quatrième enfant, soit internée dans un asile pour y mourir de faim quelques années plus tard; et l'autre mère, celle qui, ayant pourtant déjà une famille nombreuse, a recueilli le quatrième enfant de la première et l'a élevé comme son propre fils. Commence alors le récit d'une enfance paysanne, puis de l'enrôlement de l'auteur en tant qu'enfant de troupe. Education à la militaire que l'adolescent subit en faisant profil bas, mais en gardant une âme de rebelle jusqu'à oser même vivre une aventure passionnée avec la femme de son chef. Enfin, Charles Juliet, libéré du carcan militaire, raconte comment, grâce à la femme qu'il rencontre alors et à la confiance de cette dernière, grâce au travail qu'il s'impose et malgré les découragements qui surviennent, il apprend à être écrivain. En un peu plus de 150 pages, l'auteur nous a livré son âme: une âme comme enracinée dans un terreau de douleurs, mais qui ne s'est défaite ni du goût de la vie ni de la recherche de l'espérance. En témoigne la dernière phrase du livre; "... tu sais qu'en dépit des souffrances, des déceptions et des drames qu'elle charrie, tu sais maintenant de toutes les fibres de ton corps combien passionnante est la vie."

Poet75 - Paris - 67 ans - 16 octobre 2015


une vie ratée 6 étoiles

la première partie de ce livre est complètement désespérée , difficile de supporter le récit de la vie misérable de cette jeune paysanne du début du siècle , la mère de l'auteur .
et pourtant ce fut le sort de beaucoup de femmes qui ont eu la malchance de naître à la campagne dans une famille très pauvre et illettrée.

Mine2 - - 64 ans - 4 janvier 2015


Au plus profond des entrailles de la terre et des mots 10 étoiles

"Les mots te pénètrent, prennent possession de toi, font lever tout un magma d'idées confuses(...)".
Une vieille Bible poussiéreuse et rencognée, abimée par la poussière des années, cachée derrière une rangée de patates dans l'étagère d'une tout aussi vieille armoire, est le premier vrai lien vers le pays des mots pour la mère du narrateur, et celui-ci en personne. C'est le premier pont vers le monde des lettres, le monde qui permet de revoir, de relire, de redécrypter, de recomprendre, de reregarder le monde. Dans le contexte âpre, brut et simple de la campagne, pas le temps de vaquer à des rêveries éthérées. Le parcours de la gente masculine comme de la gent féminine est fixé dès le départ. Chaque sexe est voué à un même destin.
Le côté implacable de cette destinée est restituée par Juliet avec une justesse et une force de suggestion proprement stupéfiantes - ici pour les femmes, ou plus précisément la mère du narrateur, qui a épousé avec précipitation un fermier dont elle ne savait pas si elle l'aimait ou non: "Le repas vite avalé. Le lit. L'assaut fatal. Son halètement (...)"
Le verbe est toujours juste, saisissant, percutant, sans la moindre fioriture. A travers ses mots, ses phrases, ses points, ses virgules, qui chacun vaut son pesant d'or, qui chacun est beaucoup plus qu'une anodine ornementation, Juliet nous parle de choses concrètes, tangibles, réelles. C'est la vie. C'est l'attente. C'est la déception. C'est l'avenir. C'est le passé. C'est le temps. C'est l'envie. C'est la tristesse. C'est l'écriture.
Magnifique.

Matthias1992 - - 32 ans - 9 octobre 2009


Concentré d'émotions 8 étoiles

J'ai été vraiment frappée par la brutalité (pourtant si douce!) des mots de Charles Juliet. Sa façon de raconter le destin de sa mère biologique, qu'il n'a pas connue est très spéciale. Il emploie le "tu" comme pour extérioriser ses sentiments, et c'est très déstabilisant pour le lecteur.
En lisant la première partie (l'histoire de la mère), j'avais en permanence une boule dans la gorge. C'est en ce sens que je peux dire que c'est un livre magnifiquement triste, qui pourtant laisse entrevoir une lueur d'espoir à la fin.

La deuxième partie m'a moins plu, parce qu'elle m'a moins émue. Mais ça reste quand même une belle découverte...

...NIOUF! =)

Nouillade - - 32 ans - 12 juin 2008


Envoûtant 10 étoiles

Merci à Charles Juliet pour m'avoir montré la beauté de son écriture.

Merci beaucoup!

J'ai lu ce livre car il était dans le programme quand j'étais en 1re L et je remercie du coup l'enseignement national d'avoir choisi ce roman.

Etant un aspirant écrivain, Juliet restera à coup sûr parmi mes inspirations.

Yanice - - 38 ans - 24 juillet 2006


Captivant 8 étoiles

J'ai beaucoup aimé ce livre, notamment l'emploi de la deuxième personne du singulier qui, par son originalité, souligne les certaines souffrances endurées par la mère et le fils. Je conseille également de lire "L'année de l'éveil" pour ceux qui veulent approfondir et mieux connaître la vie de l'auteur.

Lileene - - 39 ans - 19 octobre 2005


un livre original 9 étoiles

j'ai trouvé ce livre très émouvant et bouleversant. j'ai beaucoup aimé le fait qu'il emploie le pronom personnel "tu" lorsqu'il raconte la vie de sa mère qu'il n'a jamais connue car j'ai trouvé que cela rajoutait de l'émotion au propos de l'auteur. Alors que la partie consacrée à sa mère s'achève sur une note assez pessimiste, la deuxième partie est plus optimiste puisqu'elle montre que l'auteur arrive à s'en sortir par l'écriture. L'écriture est donc ici vécue comme une thérapie.
Un livre à lire donc pour ceux qui apprécient les romans sensibles et profonds

Morganedetoi - - 36 ans - 9 septembre 2005


Lambeaux 10 étoiles

Ce livre m'a été recommandé il y a 10 ans... je viens de le relire... Il est magnifique, très émouvant...
Peut-être faut-il avoir eu soi-même des souffrances d'enfance pour en apprécier encore davantage l'essence...

Je le relirai... je le sais, dans 3 ou 4 ans, ou avant...

Quand on aime on ne compte pas... N'est-ce pas ?...

Bergamote - - 69 ans - 23 août 2005


Balbutiements 6 étoiles

Personnellement le style de la 2ème personne du singulier ne m'a pas enthousiasmée, ni touchée. C'est justement là que le livre pèche, je trouve, par cette perpétuelle interpellation, cette adresse à l'autre, l'inconnu(e). Comme s'il dressait un tableau, présentait la scène d'une pièce théâtrale avant le lever de rideau... Je ne suis pas sensible à ce style.

Après, il y a le contenu des "Lambeaux" : d'abord le portrait d'une maman, une Cosette sans la rencontre salvatrice de Jean Valjean, fille de paysans, privée du droit aux études, coincée dans sa ferme, les travaux de la terre, entre les quatre murs d'une maison. Cette maman fait pitié, franchement : son mal de vivre se tapit depuis la petite enfance, exacerbé par les malheurs d'une existence de plus en plus sinistre, catapulté par une énième grossesse, laquelle sera révélatrice d'une déprime postnatale, qu'on ne décrypte pas en ces temps-là (fin des années 30) mais qui conduira la jeune maman à l'asile !

En petite deuxième partie du récit, le narrateur s'interpelle lui-même en racontant son parcours (enfance, adolescence, adulte débutant...). Lui-même souffre de mélancolie, de traumatismes mais d'une franche envie de s'en sortir également. Egalement il a une vraie passion pour les mots, pour les livres et souhaite devenir un orfèvre littéraire, pour pouvoir enfin se délivrer, dire les choses qu'il couve en lui depuis longtemps.

Bref, "Lambeaux" n'est pas rose. C'est une page de l'histoire des paysans de la France du début du 20ème siècle, si commune, si courante et terriblement si dure ! Charles Juliet dépose son barda, devenu trop lourd, trop pesant. Au lecteur de le porter, mais c'est écrasant !

Clarabel - - 48 ans - 25 avril 2005


Les mots sont tellement importants 8 étoiles

Lambeaux est un récit, que l'on lit très vite, parce que l'écriture est simple et claire, et l'utilisation de la 2° personne du singulier fait que l'on se sent interpellés et concernés dès le départ. En première partie, l'histoire de sa mère, petite fille écrasée par le travail et les responsabilités de l'aînée à la ferme, dont le premier et grand amour périra tragiquement, dont le mariage ne sera pas heureux et que la vie intérieure frustrée et empêchée mènera à la folie de la désespérance.
En seconde partie, on survole la vie de Charles Juliet jusqu'à l'acceptation chèrement acquise de sa vocation, l'écriture.
On ne peut qu'avoir envie de lire la suite !

Cuné - - 56 ans - 14 avril 2005


Un très beau récit 8 étoiles

J'ai lu ce livre grâce aux critiques de Jules et de Plum01 et je n'ai vraiment pas été déçue, donc merci à eux !
L'écriture est très belle, à fleur de peau. Au fil du récit, l'auteur se dévoile, et on a l'impression qu'il écrit enfin tout ce qu'il n'a jamais pu dire à ses 2 mères, et qu'on est le témoin indiscret de cette confidence qui témoigne d'une blessure profonde.
Je me suis identifiée tour à tour aux 3 personnes auxquelles il s'adresse, c'est-à-dire sa mère biologique, sa mère adoptive et lui-même. Finalement ce livre m'a laissé une sensation étrange : celle qu'il a été écrit pour moi (!), et qu'en même temps, je n'avais pas le droit de le lire un peu comme si c'était un journal intime...

Athanais - Paris - 43 ans - 7 janvier 2005


Procédé d'écriture à part et super bon récit 7 étoiles

J'ai d'abord été surpris de la façon dont Charles Juliet a écrit ce livre (à la 2ème personne du singulier) mais on s'y fait vite. Je ne vais pas reprendre ce qu'a dit Jules plus haut car je pense qu'il vous en a fait un très bon résumé. Je rajouterais que ce livre est très intéressant, et joliment écrit. Amoureux de la littérature, vous ne serez pas déçus! Charles Juliet nous raconte l'histoire de sa première mère qu'il n'a pas connu, puis il relate ensuite ses débuts d'élève enfant de troupe.

Je conseille ce livre à tous ceux qui aiment l'écriture fine dont l'auteur ici nous en fait un bel exemple. L'histoire est très intéressante et vous verrez, vous ne regretterez pas votre choix.

Plum01 - Lyon - 36 ans - 19 octobre 2004