Consolations
de Sénèque

critiqué par Mae West, le 2 avril 2006
(Grenoble - 73 ans)


La note:  étoiles
impitoyable, généreux et efficace
« Tu seras un homme, mon fils ». L’essentiel des Consolations de Sénèque pourrait tenir dans le célèbre poème de Kipling, mais ici le philosophe s’adresse à deux femmes, et pas n’importe lesquelles. A sa mère Helvia, à laquelle il enjoint de ne pas se désoler parce qu’il part en exil, et à Marcia, fille d’un homme politique très connu, qui a perdu son jeune fils. Sénèque leur dit : dans un premier temps pleurer est permis, mais il faut savoir s’arrêter. Il n’y a pas de « raison » de pleurer éternellement : ni sous prétexte qu’elles sont des femmes, ni parce que ces malheurs seraient si grands.

La « consolation » stoïcienne a pour but de dominer la souffrance par la parole : l’art rhétorique fait appel à la raison et au sens de la dignité morale et civique, s’appuyant sur l’exemple des grande figures historiques de Rome.

On pourrait être choqué par la brutalité de ce fils à la veille de partir pour l’exil qui « entasse » devant sa mère tous les malheurs et les grands deuils qu’elle a dû endurer depuis le jour de sa naissance, puis qui ajoute :« tous tes malheurs ne t’ont servi à rien si tu n’as pas appris à être malheureuse ». Vient ensuite l’appel à l’amour maternel qui ne devrait pas souffrir puisque « (le fils) ne souffre pas » et Sénèque démontre à sa mère que comme nous sommes amenés tout au long de notre vie à perdre ceux que nous aimons et/ou les biens que nous tenons pour acquis, au fond toute notre existence sur cette terre est comme un exil.

De même on pourrait trouver grossier les arguments de Sénèque, l' ami de la famille, qui consistent à dire à Marcia qu'elle ne devrait pas se désoler de la mort de son fils si jeune : ainsi est parti en pleine gloire et a échappé aux déchéances du temps et du hasard. Puis l'ami philosophe poursuit par une réflexion sur la mort, qui au fond, nous délivre.

Mais il n'en est rien, et il ressort de cette lecture qu'en effet, tout cela a bien vertu de nous consoler !

Premier paradoxe, il irradie de ces exhortations philosophiques, qui pourraient nous sembler incongrües, tant nous avons tendance à prétendre « consoler » par des apitoiements, une puissance cautérisante incroyable.
Autre paradoxe, et celui-ci est double, la raison, soutenue par l’art rhétorique, fait appel à l’émotion, et non l’inverse, cependant que tout le sens du discours porte sur un encouragement à maîtriser l’émotion, en s’appuyant sur la raison.

Force persuasive d’un art parfaitement maîtrisé
Le contenu tragique est exalté par des accents poétiques mais ceux-ci sont mis au service d’une réalité pragmatique, loin de toute rêverie.
La consolation est la parole qui guérit.

Force de l’amour aussi. On le sent, Sénèque aime ces deux femmes, il les respecte et les admire. C’est pour cela qu’il les exhorte à ne pas se laisser aller aux pleurs et lamentations ordinaires : travers qu’il considère comme venant d’une éducation réductrice et d' un défaut d'humeur lié à leur sexe (on dirait hormonal aujourd’hui)
Il y a donc beaucoup de générosité dans ces deux textes et un aspect libérateur de la femme avant la lettre : ceci toutes proportions gardées et en dehors d’un élitisme propre à l’époque, qui veut que ces textes s’adressent à des patriciennes, leur faisant bien remarquer qu’elles ne sont pas « n’importe qui ».