Le Llano en flammes
de Juan Rulfo

critiqué par Zaphod, le 22 mars 2006
(Namur - 60 ans)


La note:  étoiles
Chaudement recommandé
Il m’arrive d’interrompre la lecture d’un roman parce qu’il m’ennuie, ou que je le trouve trop mal écrit, voir même trop érudit ou trop difficile. Mais jamais parce qu’il crée en moi un malaise insupportable.

C’est pourtant à peu près ce qui s’est passé avec « Le Llano en flammes ». J’étais parti pour le lire d’une traite tant les petites nouvelles qui le composent sont prenantes. Mais arrivé aux 2/3 , j’ai eu un blocage, et le livre est resté pendant des semaines sur mon étagère, jusqu’à ce que je sois de nouveau irrésistiblement attiré par lui, et que je le termine goulûment.

Qu’est-ce qui est si dur dans ce livre ? Difficile à dire, car on a vu bien pire en matière de destins désespérés, de souffrance, ou de violence. Ce doit être le sentiment de réalité extrêmement puissant qui se dégage du style de Rulfo. Chaque petite nouvelle vous dépose sa charge de désespoir ou d’injustice sur les épaules. Comme si vous étiez attablé en face du personnage dans une petite taverne étouffante, à boire du mescal, impuissant, tout en l’écoutant raconter son histoire. A un certain moment, le poids de ces histoires devient lourd à porter.

Rulfo a un style presque oral, qui vous prend directement à partie. Un style personnel, bien encré dans sa région, mais qui rejoint par moments le génie de Céline.

En parlant de région, justement, le Llano, c’est une zone torride et poussiéreuse au centre du Mexique où semble régner une perpétuelle révolution, un endroit en dehors du temps et du monde qui sert de cadre et de lien entre toutes ces histoires.

Malgré son talent, Rulfo a peu écrit : ce recueil et un roman. Mais cela a suffi pour établir sa réputation et lui gagner l’admiration de nombreux écrivains (dont par exemple Le Clézio, qui signe la préface).
coeur de pierre 8 étoiles

Juan Rulfo écrit sur la vie des péones. Ces travailleurs agricoles, bien qu'instigateurs actifs de la révolution, restent souvent déçus par la répartition des terres soi-disant équitable. Il a suffi pour mettre le feu aux poudres, d'un gouailleur plus fort en gueule que les autres, pour entraîner la masse populaire dans un combat sanglant, meurtrier (un million de morts pour quinze millions d'habitants).
L'auteur se promène parmi ces gens, tel un journaliste photographiant ça et là des scènes de la vie courante, s'inspirant d'histoires rarement bucoliques, mais plutôt dramatiques.

En France nous avons les paysans des Causses du Larzac, en Argentine les gauchos de Patagonie, au Mexique les péones du Llano. Juan Rulfo visite ses habitants usés par la révolution. Meurtris dans leur chair, trop contents de posséder ou de louer le lopin de terre attribué par le gouvernement, ils baissent la tête et aménagent leur tranquillité en travaillant la terre aride, les cailloux brûlants, la parcelle ingrate. À travers ce recueil de nouvelles, l'auteur donne la parole aux gens simples, aux survivants résignés, teigneux avant d'être taiseux. Dans un environnement séchant, la désertification des campagnes accentue la froideur de ceux qui restent. Les valeurs essentielles des survivants, justice, vérité, équité, ne doivent pas être bafouées par un quelconque étranger sous peine de représailles immédiates, tragiques.

Il suffirait de commencer certaines nouvelles par « il était une fois » et Juan Rulfo à la manière d'un conteur construirait l'histoire pour transmettre de génération en génération la vie commune de ses péones devenant au fil du temps les héros de légendes immuables.

Bertrand-môgendre - ici et là - 68 ans - 14 avril 2008