D’abord, L'appareil-photo, plus encore que La Salle de bains, est un livre absolument hilarant. C’est drôle, spirituel, loufoque. On sourit souvent, et l’on rit parfois franchement. Mais d’où vient cet humour et sur quoi repose-t-il ? Car en apparence, le récit est lisse, très descriptif, très objectif, sans psychologie ni sans jugement.
Le ressort comique, si l’on regarde bien, est à multiple détente :
1./ Dans l’absurdité de situations qui mettent à mal les codes sociaux et la plus élémentaire bienséance, qui ne mènent nulle part, qui s’agencent sans logique aucune (boire un petit verre dans la salle d’attente du podologue, allumer un camping gaz dans l’école de conduite pour pique-niquer avec une monitrice que le narrateur connaît depuis deux jours, fouiller dans son sac et y trouver un frottis dans une enveloppe…)
2./ Les descriptions sont tellement précises qu’elles fouillent et mettent au jour des détails qui tuent. L’auteur parodie également une forme de grandiloquence… et, en accordant de l’importance à des choses insignifiantes, touche au burlesque.
3./ L’auteur commente son récit en de nombreux apartés entre parenthèses, qui sont comme autant de clins d’oeil complices au lecteur.
4./ Le lexique est lui-même source de drôlerie, soit que les mots véhiculent des images (les autos-école maladroites sont des albatros ; le mono « encule » une chevalière), soit qu’ils semblent gratuitement sophistiqués (noctiluque, pacfung).
Mais le livre ne se contente pas d’être drôle.
Si Toussaint s’amuse à parodier tantôt le roman d’amour, tantôt le roman philosophique ou le road trip initiatique (le protagoniste est toujours dans un avion, un train, un bateau, un hôtel)…, le ton change à mi-parcours. Imperceptiblement, on quitte l’ironie et la moquerie pour une évocation plus grave du passage du temps, d’une forme d’angoisse métaphysique.
Faire tenir ensemble les deux infinis, l’attention à l’insignifiant et à ce qui nous dépasse, la désinvolture et la profondeur, c’est sans doute le propre du « roman infinitésimal », que Toussaint essaie de définir a posteriori, dans un entretien reproduit en annexe à l’édition de 2007.
Rosmarine - - 41 ans - 20 avril 2012 |