La maison du docteur Blanche
de Laure Murat

critiqué par Renardeau, le 20 juin 2001
(Louvain-la-Neuve - 66 ans)


La note:  étoiles
Le nid des poètes désemparés
Le docteur Blanche, je l'ai déjà rencontré au hasard de lectures sur Gérard de Nerval ou sur l'impressionnisme.
Simplement cité, comme témoin de fins de vies agitées, douloureuses de l'un ou l'autre des grands noms du XIXème siècle. Le livre de Laure Murat vient éclairer le rôle de cet aliéniste un peu mystérieux qui aura recueilli la part de tragédie de créateurs comme Maupassant ou Charles Gounod. De Montmartre à Passy, de 1821 à 1893, les docteurs Blanche, le père, Esprit, puis le fils, Emile, vont tenter d'humaniser l'asile.
Esprit Blanche fonde une maison de santé établie sur le modèle de la pension de famille. Les patients partagent la vie quotidienne de la famille Blanche, prennent leurs repas à la même table. Ils sont soumis à l'hydrothérapie et au "traitement moral", des discussions avec le docteur Blanche où celui-ci incarne l'autorité, la loi, la figure du père, mais aussi la bienveillance.
L'étude de ce lieu mythique de la psychiatrie fascine par l'état des lieu de la folie au XIXe siècle qu'elle autorise. Enfin reconnue comme une maladie, la folie fait face aux balbutiements de la science. La psychanalyse n'est pas encore née.
A côté d'une "armée de l'ombre" de malades inconnus ou oubliés à qui la maison du docteur Blanche tentait de rendre leur équilibre, ou, à défaut, un peu de bien-être, cette maison de santé a accueilli et tenté d'apaiser de nombreux grands noms de la vie artistique du XIXe : Marie d'Agoult, Théo Van Gogh (frère de Vincent), Maupassant... Ce dernier sera enfermé dix-huit mois à la maison du docteur Blanche, y finissant sa vie, victime de délires liés à la syphillis. La médecine de l'époque ne pouvait rien pour lui. Le docteur Blanche s'efforçait de lui ménager une fin de vie décente.
Dans l'univers des Blanche gravitaient aussi de grands noms de la peinture: Renoir, Degas... ou de la littérature: Henri de Régnier, Proust... non pas patients, mais amis du fils de la maison, Jacques Blanche, lui-même peintre, critique d'art et écrivain.
Laure Murat décrit aussi en filigrane tout ce monde du XIXe et ses valeurs, sa vision de la femme, aisément accusée d'hystérie. Au travers des dépressions et délires d'artistes tourmentés, ce livre éclaire un maillon essentiel de la relation entre folie et création.
Ce livre est remarquablement documenté, à partir de registres de l'asile, de lettres inédites et nous fait pénétrer dans la vie quotidienne de la marge fragilisée de la société, des êtres les plus sensibles mais les plus doués, de la fragilité et du génie.
C'est un livre essentiel pour tous les amoureux du XIXe siècle et de ses expressions artistiques, essentiel aussi pour tous les curieux de l'évolution de la connaissance de la psyché.