Les sept messagers
de Dino Buzzati

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 20 février 2006
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Buzzati, maître de l’étrange
A nouveau, plongée en apnée dans l’univers des nouvelles de Buzzati. Plus la lecture avance, plus la sensation d’étouffement augmente. Dans la majorité des nouvelles de ce recueil, la mort attend les protagonistes au détour d’un chemin. On la sent arriver, à pas feutrés, inexorable. On dirait même ses victimes consentantes, au moins inconsciemment, car elles ne semblent pas se démener pour éloigner sa faux.

Par exemple la nouvelle intitulée « Sept étages ». Giuseppe Corte entre dans un hôpital d’un genre pour le moins curieux : la gravité de la pathologie détermine l’étage auquel on se trouve. Giuseppe ne présente que peu de symptômes à son entrée, le septième étage lui convient donc et il est entendu que son séjour sera de courte durée. Or, pour des raisons qui apparemment n’ont rien à voir avec sa santé (manque de lits, …), on le déménage au sixième, puis au cinquième, etc. Il enrage mais finit par se laisser faire. Jusqu’à aboutir au rez-de-chaussée, qui signifie, vous l’avez compris, que ses derniers instants sont arrivés. Et effectivement, la nouvelle se termine par la fermeture automatique des tentures, signe que la mort l’a emporté. Etrange, n’est-ce pas ? L’état de Giuseppe ne semble pas s’être aggravé, et pourtant …

L’étrange, fil rouge du recueil. Gens qui se comportent de façon inattendue, routes qui ne mènent nulle part, réseau téléphonique qui met tous les correspondants en lien les uns avec les autres, un train express qui n’arrive jamais à destination, goutte d’eau qui remonte les escaliers d’un immeuble, … Et Buzzati qui nous présente ces histoires comme s’il nous racontait ce qu’il y a de plus sensé ! Le décalage entre la forme, des plus normales, et le contenu, assez saugrenu, provoque un sentiment de malaise léger, de vertige naissant. On voudrait bien se raccrocher à la main courante, à du solide, à nos bonnes vieilles certitudes, mais Buzzati les a rendus fuyants : nous voilà désormais confrontés à l’étrange, voire l’absurde, en funambules qu’aucun filet ne sauvera…