Célimène et le cardinal: Comédie en vers
de Jacques Rampal

critiqué par Didascalies, le 23 janvier 2006
( - 63 ans)


La note:  étoiles
De la soumission et de son rejet : Alceste retrouve Célimène...
20 ans ont passé. Alceste retrouve Célimène. Elle était jeune et libre, n’étant ni sous la tutelle d’un père ni sous celle d’un mari et ne cachait rien de son goût du monde, du plaisir et du désir de plaire.
Dans la pièce de Rampal, Célimène, mariée et mère de 4 enfants n’a rien perdu de sa liberté de ton. Face à elle, l’ancien amant. Devenu homme d’église, prêt à défendre et à justifier l’institution qui l’a élevé au rang de cardinal, Alceste a pris goût au pouvoir et au décorum qui l’accompagne. Il s’est retiré du monde, sans doute, mais il occupe une place particulière, puisqu’il est devenu un prélat, respecté et craint, comme l’étaient les hommes d’église au XVIIIème. Donc, et bien que la pièce présente avant tout les retrouvailles entre les 2 amants, elle est aussi l’occasion pour le public de réfléchir au poids de la religion dans la société,- hier, aujourd’hui, demain; ailleurs et ici - et aux nombreux interdits combattus et à la vigilance nécessaire toujours.
Au-delà de la confrontation, du régal que constituent ces échanges entre un représentant du culte et Célimène, c’est du refus de la soumission qu’il s’agit. Celle attendue, exigée et souvent obtenue de la femme. Célimène questionne avec une finesse et une ironie qui déconcertent son interlocuteur et surtout le heurtent : la liberté de penser qu’elle affiche l’amène à n’excuser aucun des abus commis et à refuser de se laisser entraver par l’approche moralisatrice qu’ Alceste tente de lui imposer. Au départ dogmatique, il se révèlera tyrannique. « Célimène est le Cardinal » propose la confrontation de deux visions du monde incarnées dans 2 êtres qui se sont aimés et se croisent à nouveau. C’est un face à face étonnant, et qui laisse aussi entrevoir la violence du radicalisme religieux.
"L'autre matin, j'ai poussé Luc à bout. - Qui est ce Lucaboux ? 8 étoiles

Didascalies (grâce à elle, je connais un mot nouveau, bien joli en plus) nous a fait une superbe relation de cette pièce de Rampal. Je n’ai rien à ajouter. Sinon vous dire le plaisir que j’ai pris à la lire. C’est vif, intelligent, drôle (vraiment très drôle) et en effet terriblement urgent par les temps qui courent.
Je me contenterai d’essayer de vous allécher au moyen de quelques exemples.
Alceste
« (…) Jésus, sur la croix, était très malheureux…
Célimène :
Que je sache, il n’a pas passé sa vie en croix !
Peut-être était-il gai, même drôle, parfois,
Avec ses douze amis…
Alceste :
Drôle notre Seigneur ?
Quelle idée saugrenue ! J’en frissonne d’horreur…
Célimène
Je ne vois pas pourquoi, car si Dieu est amour,
On peut imaginer qu’il soit aussi humour »

Bon, moi je ne connais pas les personnages dont ils parlent, mais la thèse de Célimène est plus sympathique, non ?

Ou bien cela sur les bourgeois vus par les nobles :
« Ils prennent de grands airs, plastronnent, font la roue,
Ne pensent qu’à l’argent, et quand ils n’en ont plus,
Se privent de manger pour paraître cossus. »

A propos – mais est-ce bien à propos ? –, j’ai entendu récemment Sarkozy s’indigner des méfaits de la bande des « Barbares » qui ont assassiné un jeune juif à Paris. Il disait quelque chose comme : « Et ils l’ont fait pour le motif le plus vil qui soit : l’argent ». J’aime quand le représentant principal de la bourgeoisie déclare que l’argent est vil…
Revenons à Célimène, infiniment plus intelligente.
Elle est aussi féministe.
Alceste
« Le sexe importe peu, et vous avez une âme !
Célimène
Depuis si peu de temps…La Femme, hier encore,
En était dépourvue, et ce que je déplore,
C’est d’en être aujourd’hui, comme vous, gratifiée,
Mais de ne pouvoir point émettre une pensée.
J’ai une âme, il est vrai, mais d’esprit, toujours pas. »

…démontrant ainsi qu’elle en a.

Bon. Je ne peux quand même pas vous recopier tout le texte.
Lisez-le. Vous allez y retrouver Molière (bien sûr) avec un « Cachez-moi ces dessins que je ne saurais voir » qui vous rappellera quelque chose, Pascal et aussi Corneille (« Je ne vous hais point », mais surtout, ce rappel de Polyeucte que Célimène ne mène pas à son terme : « Le désir s’accroît quand l’effet se recule », immense et impérissable kakemphaton).
Une dernière chose. Me promenant sur le Net dernièrement, j’y ai trouvé ceci qui devrait ravir les amateurs de pièces classiques…
http://eleves.ens.fr/home/mlnguyen/…

Bolcho - Bruxelles - 75 ans - 9 mars 2006