Demain, je m'enfuis de l'enfer
de Jean-Marc Benedetti

critiqué par Sahkti, le 22 novembre 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Fuir, loin d'ici
Avec son copain clochard, Angel rêve de fuir la réalité du monde. En se construisant une belle montgolfière par exemple. Avec laquelle il survolerait les plus beaux paysages en compagnie de Irène, celle qu'il aime. Même si Irène ne l'entend pas vraiment de cette façon, entre autres parce qu'elle est du genre plus terre à terre. Seulement voilà, on a beau rêver de voler, n'est pas Icare qui veut et il arrive qu'on se casse la figure. En est-on pour autant fou? Doit-on être enfermé dans un asile parce que, un jour, on a voulu ressembler aux oiseaux et réaliser ses rêves? Il semblerait que oui. Voilà Angel prisonnier de quatre murs hors desquels il ne pense qu'à s'enfuir. Alors il cherche une solution, échaufaude toutes sortes de plans. pendant qu'il réfléchit, il y a des petites voix, pas que celles des souvenirs, qui viennent se greffer à ses idées. De quoi nous faire rencontrer d'autres personnages, d'autres folies douces, d'autres bons moments.

Tâche pas facile que celle de mêler rêve et réalité dans un récit tournant autour du thème de la folie. De rendre celle-ci joyeuse au milieu de la tristesse d'un hôpital. Benedetti s'y essaie, on sent entre chaque ligne qu'il y a mis du sien. J'ai lu un entretien dans lequel il expliquait avoir eu une amie proche travaillant en milieu psychiatrique, qu'il avait fait un saut en parachute à 4500 mètres et que ça l'avait marqué, qu'il aimait les vides-greniers aussi et que ça lui donnait des envies de tout mélanger et tout emmêler dans un délicieux bric-à-brac.
On le ressent, oui, cela crée par moments une certaine confusion, une maladresse dans l'harmonie des mélanges, comme un manque de précision. En même temps, c'est très fidèle à ce qui doit se passer dans la tête de Angel, le héros prétendu fou du roman. Et puis c'est touchant, sincère et spontané. Des qualités qui l'emportent sur les quelques défauts relevés. C'est frais, ça fait du bien, c'est... très humain. Un premier roman à découvrir.

Les premières lignes:
"L'enfer est peuplé d'anges. L'enfer c'est ici. Dans cette chambre. Dehors il fait froid. Dehors ça fait peur. Ils disent que je suis fou. Moi je sais que je ne suis pas fou. Plus vous êtes clairvoyant plus les autres envient votre lucidité. Ils vous enferment pour l'éternité. Ou alors, il faut faire semblant d'aller et venir sur la corde raide du quotidien. Être le funambule qui regarde les yeux de la foule désirant sa chute fatale."
Folie romancée. 5 étoiles


Tout d’abord, mille mercis, Sahkti, pour ces éclaircissements sur les motivations de l’auteur. J’ai trouvé ce livre étrangement riche. (Une richesse de mots que l’on pouvait attendre d’un professeur de lettres.) Il est pourtant loin d’être parfait, si tant est qu’un livre puisse l’être. Effectivement, ce mélange de lucidité et de divagation est déconcertant. L’ivresse, liée à la pénétration de l’air et au vertige ascensionnel, est telle que l’on partage une jubilation qui n’est pas terrestre, qui ne veut pas rester terrestre, qui se détache avec force, déraisonnablement... Mais l’attraction ramène les plus purs rêveurs sur la terre ferme, et la dureté n’est pas que dans le choc des rêves au contact de la réalité. Icare se brûle au climax de son désir, et la maladie de l’esprit est nocive à la vie, autant dire qu’elle est mortelle, mortifère, comme si les vies étaient sacrifiées à la réalisation des rêves. Ou comme si, dans tout rêve, peut se trouver caché un cauchemar, une puissante monstruosité.
Impuissance du lecteur qui voudrait venir en aide (et comment ?) au personnage qui veut construire sa vie comme un appareil destiné à s’élever, un ballon, vide, mais divinement léger, mais vide, dont l’ascension n’est rien d’autre qu’une chute dans les profondeurs de sa folie.
« Demain, je m'enfuis de l'enfer » me semble être un délire éclairé de l’intérieur d’un illuminé aéré et arrêté, quoique sincère, en effet, mais profondément sincère jusque dans sa folie profonde.

G. - Rambouillet - 48 ans - 30 novembre 2005