Sade et la loi
de François Ost

critiqué par Mieke Maaike, le 11 novembre 2005
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Il n'est point d'homme qui ne veuille être despote quand il bande
« Voltaire s’en prend à la religion, Rousseau à la société, Diderot à la morale. Et Sade à tout à la fois. » Lorsque l’on connaît la contribution de Voltaire, Rousseau et Diderot à notre ordre juridique, il est légitime de s’interroger sur l’éventuelle contribution que Sade y a apporté. C’est le défi que relève le juriste et philosophe François Ost dans ce livre surprenant et ô combien jouissif.

Tout d’abord Sade, personnage hors-norme qui aura passé 28 ans en prison sous trois régimes différents, à chaque fois au prix d’une entorse au droit et à la justice : emprisonné par lettre de cachet sous un pouvoir monarchique, puis sur base de la « loi des suspects » de la Terreur révolutionnaire, enfin par détention administrative sans jugement sous Napoléon. « Comme si aucun prétoire n’était à sa mesure, comme si aucune loi n’arrivait à sa hauteur, comme si aucune sanction n’était proportionnée à ses actes ».

A l’ombre de la loi, Sade écrit son œuvre insaisissable : tout dire, tout montrer, la jouissance pour la jouissance, le crime pour le crime, le mal pour le mal, sans concession et sans rédemption.

En quête du mal absolu, la pensée de Sade échappe-t-elle à toute loi ? Sade, anarchiste avant la lettre, développe-t-il un modèle de société basée sur la liberté absolue ou est-il lui-même esclave d’un ordre juridique qu’il s’est lui-même imposé ? Comment un Sade-libertin (libertaire ?), refusant toute loi, peut-il jouir du crime à partir du moment où il n’y a plus de loi à transgresser et donc plus de crime possible ? Pourquoi le divin marquis s’oppose-t-il radicalement à la peine de mort alors qu’il s’estime en droit de torturer et tuer pour sa propre jouissance ? Ce sont quelques questions (parmi bien d’autres) que François Ost explore à travers l’œuvre de Sade, sa vie, son écriture, mais aussi l’héritage qu’il a laissé notamment à la psychanalyse. Enfin, Ost conclut par un dialogue imaginaire et fascinant entre Sade et Portalis, le juriste de Napoléon auteur de notre Code civil, au cours duquel on ne peut s’empêcher de penser (avec un certain malaise) « et si Sade avait raison ? ».

Même si les juristes ressentiront une jouissance particulière à la lecture de cet ouvrage, ce livre est tout à fait accessible aux non-juristes, pour autant qu’ils accrochent au style de François Ost. Parce que Ost, c’est d’abord un style d’écriture particulier. Un style fait d’une multitude de petites digressions linguistiques, étymologiques, mythologiques. Ost est un auteur qui s’approche lentement du cœur du sujet par différents chemins et à travers différentes disciplines, le tout porté par un langage très littéraire ponctué de mots que le commun des mortels rencontre pour la première fois (dans le désordre : propédeutique, controuver, trope, catachrèse, méphitique, euphémie, nosographie, démiurge, coprophilie, coprolagnique, bogomile, théogonie, solipsiste, prosopopée) et de néologismes pleinement assumés (cataphore, cataphysique, blasphémie, élusion, prostitut).

François Ost est professeur (aujourd’hui également vice-recteur) aux Facultés universitaires Saint-Louis. J’ai toujours l’image de lui arpentant l’auditoire dans son costume chiffonné, avec un faux air d’inspecteur Columbo, parlant comme il écrit, développant son analyse à partir de digressions et de contournements, prenant un plaisir certain à nous éblouir avec des mots compliqués et des citations des plus grands philosophes. Mes copains de classe étaient exaspérés par son style. Moi j’étais pendue à ses lèvres...

Allez, 5 étoiles. Aussi pour la petite pointe de nostalgie qui me vient en repensant aux années de mes études…