Meuse l'oubli
de Philippe Claudel

critiqué par Voni, le 9 novembre 2005
(Moselle - 64 ans)


La note:  étoiles
Sous le pont de Feil coule la Meuse
Dans ce tout premier roman de Philippe Claudel, le narrateur déroule son lent, sombre et douloureux travail de deuil suite à la disparition de sa compagne, Paule. Pour tenter d’apaiser son “malheur qui bégaye” dans cet environnement partagé à deux, il quitte tout ce qui peut encore lui rappeler son amie défunte. Il échoue chez Madame Outsander à Feil, “petite ville qui a si bien joué son rôle de miroir”, sur un méandre de la Meuse. Là, où “tout est admirable d’insignifiance”, il égrène les jours dans l’absence de l’être aimée. Lui qui était enfin parvenu à trouver dans les yeux de Paule son autre enfance, celle que sa mère, prostituée, lui avait toujours refusée l’entourant plutôt de moult humiliations et brimades, il se retrouve à nouveau seul face à une incommensurable douleur. Il s’offre alors le droit de vivre pleinement sa mélancolie et ses larmes. Sa douleur, il la crie aussi en noircissant les pages de plusieurs cahiers, ses Conquérant (“Je souhaite forcer les mots à travailler mon deuil, à le dire, à exiger d’eux ce que moi-même je me refuse à faire ou ne le peux”).
Au fil des saisons qui s’écoulent aussi lentement mais invariablement que l’eau de la Meuse, cette souffrance insurmontable du début s’atténue puis se cicatrise.
“Je redeviens quelconque.
Feil m’a permis, dans le jeu de l’oie mis en place à mon insu depuis mon arrivée, de passer bien des cases et d’arriver à la dernière […]Ne suis-je pas le suiveur consentant de ce parcours né de la mort de Paule et qui m’a ramené, sans que je n’y prenne garde, vers ce que je voulais fuir et oublier ? Mais revenu au lieu de douleur, je ne retrouve que le souvenir de la douleur et non plus sa morsure.”

Ce livre, très sombre, est un pénétrant parcours de la souffrance occasionnée par la disparition de l’être aimée jusqu’à ne devenir qu’une “pâle cicatrice”. Son écriture aux détails rigoureux que certains apparentent à Simenon dans ses ambiances brumeuses et grises (comparaison dont il est bien difficile de se détacher tant elle se vérifie), est profonde de sincérité mais de pudeur aussi. Dans un style incontestablement poétique, par moment excessif peut-être, Philippe Claudel développe avec beaucoup de grâce les profondeurs du manque et de l’absence.
Apparemment, ce sujet qui semble tant lui tenir à cœur, n’avait pas été entièrement développé à son goût puisqu’il l’exploite à nouveau quelques années plus tard dans son autre roman “J’abandonne”. (http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/?l=9031)
L'oubli et la renaissance 8 étoiles

L'auteur continue à explorer la veine du malheur et son travail de deuil à mettre en rapport avec Les âmes grises et La petite fille de Monsieur Linh, mais il nous ouvre la perspective d'un nouveau bonheur. Si Paule, est vivante et morte, elle revit aussi dans le futur de Reine. La mère, aussi vit et meurt et son souvenir positif et négatif se pert dans ce village sur la Meuse, source d'oubli, mais aussi de renaissance du narrateur. En fait, un court roman qui en un an de mort et de vie, nous donne une image de la vie humaine avec ses passions, ses désespoirs et ses espoirs. Un plus hors du moins.

Printemps - - 66 ans - 24 décembre 2006