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Ce n’était vraiment pas ce à quoi l’on pouvait s’attendre.
Des jumeaux. Personne dans la famille n’a jamais donné naissance à des jumeaux. Même en cherchant loin, même en creusant dans des directions pas marrantes, fausses couches, enfants morts-nés,ce genre de truc, des jumeaux,y’avait pas.
Pourquoi moi?? Deux bébés..? Qu’est ce que je vais faire avec deux bébés ?
J’ai chaud. Il fait une chaleur à crever dans ce bureau. Ma collègue Eloïse fredonne derrière son écran. Sa voix est charmante, pourquoi pas, mais chaleur + jumeaux + fatigue + boulot en retard = pas envie d’écouter Eloïse vocaliser.
-“ Tu viens ce soir”?
-“ Pardon?”
Eloïse prend toujours un air entendu quand elle s’adresse à moi.Comme si on passait nos journées à se raconter nos petits secrets.
-“Ce soir. Je chante avec mon groupe. Tu as oublié?”
Bien sur que j’ai oublié. J’attends des jumeaux. Cette nouvelle écrase tout le reste.
-“Non je n’ai pas oublié, bien sûr que non. Vous passez où?”
Je demande mais à chaque fête de la musique, Eloïse chante dans un bar près des grands boulevards. Des reprises de Dylan, Clapton, quelques compos parfois.
-“ Au Tennessee. Tu viens ?”
-“ Je ne sais pas, je vais voir. Je vais peut être me coucher tôt. Fête de la musique ou pas.”
Eloïse prend un air déçu mais je ne sais pas si elle l’est vraiment. Elle retourne à son clavier et à “tears in heaven”.
Pourquoi cette chanson? Je ne peux pas l’écouter sans avoir envie de pleurer. Comment un homme peut il encore tenir debout après avoir perdu son enfant comme ça? Un petit bonhomme de 4 ans qui tombe par la fenêtre. A quoi peut bien ressembler un petit corps de 4 ans après une telle chute?
Comment tenir debout…
Thomas. Je pense à Thomas. Je l’aime tellement ce môme, un amour sans mots, rien ne peut dire cet amour qui bat en moi, qui coule dans mes veines, qui m’habite, inspire et expire, cet amour qui est à la fois l’air que je respire et les poumons qui l’inspirent, Thomas, mon petit d’homme, mon fils…
Mon fils qui va avoir deux petits frères.
Comment est ce que je vais lui annoncer ça ? Comment dire à un petit garcon de 5 ans qu’il va devoir partager sa chamber ses jouets sa mere son quotidien avec non pas un mais deux gamins qu’il ne connait ni d’Eve ni d’Adam ?
-“Lucille, vous avez 5 minutes ?”
Mon adorable collègue du bureau d’à côté me tire de ma reverie et me regarde comme si j’avais mis le feu à ses dossiers.
-“Est ce que cela vous dit quelque chose?”
Elle brandit un poignard sous mon nez comme si elle souhaitait me régler définitivement mon compte avec.
Jamais vu ce truc là.
-“ C’est un poignard indien, symbôle de la fertilité chez les aztèques. Ca ne vous dis toujours rien?”
J’ai chaud. J’ai de plus en plus chaud. Cette femme est folle.
-“ Non,je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez.”
-“ Si vous voulez faire la maligne…”
Et elle quitte mon bureau comme elle était entrée.
Eloïse ricane dans son coin.
-“ Elle perd complètement la boule cette pauvre Martine. Son mari me racontait l’autre jour qu’Alzheimer pointait le bout de son nez. Quelle horreur.”
Il faut que je sorte. J’ai besoin d’air. Je veux me retrouver chez moi, me blottir dans mon canapé, boire un thé glacé, écouter Janis Joplin, me laver les cheveux, faire une sieste, il fait trop chaud ici, je suis fatiguée et je vais avoir des jumeaux.
J’attrappe mon sac, fait claquer une bise sur la joue d’Eloïse et quitte le bureau en trombe. Je peux sentir son regard dans mon dos me suivre sans rien comprendre.
Dehors je respire. Je prends le chemin de la Seine, c’est toujours ce qu’on trouve de mieux à Paris la Seine.
Peut être que ce n’est pas si grave. Des jumeaux, peut être qu’au fond c’est une chance ? Deux bébés pour une seule grossesse, c’est plutôt bien quand on y pense. Pas besoin de remettre le couvert si on en veut un troisième. Il est déjà là. Tout beau tout fait. Il y a tant de gens qui crèvent de leur ventre qui reste toujours vide, moi j’ai deux bébés, deux bébés…
En fait c’est beau Paris. Des tas de jeunes, moins jeunes aussi, installent leurs sonos, leurs instruments en vue de la fête qui laissera cette nuit les oreilles sans repos.
Je vais avoir des jumeaux. Peut être que Thomas trouvera ça amusant. Peut être qu’il les aidera à inventer des blagues de jumeaux qui me rendront chèvre.
Je m’assois sur un banc. Près du fleuve il y a du vent. L’air est doux.
Mon telephone sonne. Le cabinet où j’ai passé l’échographie ? Mon coeur, mon ventre, ma gorge se serrent. Je décroche.
-“ Madame Lucille Vaugier ? Oui c’est le Dr Martin à l’appareil. Madame, il faudrait que vous repassiez au cabinet, j’ai jeté un coup d’oeil à vos échographies. J’aimerais en avoir la confirmation mais je crois que j’ai commis une petite erreur hier.”
-“ Une erreur?”
-“ Ou plutôt un oubli. En regardant attentivement les images, il semblerait qu’il n’y ait pas deux, mais trois bébés.”
Des jumeaux. Personne dans la famille n’a jamais donné naissance à des jumeaux. Même en cherchant loin, même en creusant dans des directions pas marrantes, fausses couches, enfants morts-nés,ce genre de truc, des jumeaux,y’avait pas.
Pourquoi moi?? Deux bébés..? Qu’est ce que je vais faire avec deux bébés ?
J’ai chaud. Il fait une chaleur à crever dans ce bureau. Ma collègue Eloïse fredonne derrière son écran. Sa voix est charmante, pourquoi pas, mais chaleur + jumeaux + fatigue + boulot en retard = pas envie d’écouter Eloïse vocaliser.
-“ Tu viens ce soir”?
-“ Pardon?”
Eloïse prend toujours un air entendu quand elle s’adresse à moi.Comme si on passait nos journées à se raconter nos petits secrets.
-“Ce soir. Je chante avec mon groupe. Tu as oublié?”
Bien sur que j’ai oublié. J’attends des jumeaux. Cette nouvelle écrase tout le reste.
-“Non je n’ai pas oublié, bien sûr que non. Vous passez où?”
Je demande mais à chaque fête de la musique, Eloïse chante dans un bar près des grands boulevards. Des reprises de Dylan, Clapton, quelques compos parfois.
-“ Au Tennessee. Tu viens ?”
-“ Je ne sais pas, je vais voir. Je vais peut être me coucher tôt. Fête de la musique ou pas.”
Eloïse prend un air déçu mais je ne sais pas si elle l’est vraiment. Elle retourne à son clavier et à “tears in heaven”.
Pourquoi cette chanson? Je ne peux pas l’écouter sans avoir envie de pleurer. Comment un homme peut il encore tenir debout après avoir perdu son enfant comme ça? Un petit bonhomme de 4 ans qui tombe par la fenêtre. A quoi peut bien ressembler un petit corps de 4 ans après une telle chute?
Comment tenir debout…
Thomas. Je pense à Thomas. Je l’aime tellement ce môme, un amour sans mots, rien ne peut dire cet amour qui bat en moi, qui coule dans mes veines, qui m’habite, inspire et expire, cet amour qui est à la fois l’air que je respire et les poumons qui l’inspirent, Thomas, mon petit d’homme, mon fils…
Mon fils qui va avoir deux petits frères.
Comment est ce que je vais lui annoncer ça ? Comment dire à un petit garcon de 5 ans qu’il va devoir partager sa chamber ses jouets sa mere son quotidien avec non pas un mais deux gamins qu’il ne connait ni d’Eve ni d’Adam ?
-“Lucille, vous avez 5 minutes ?”
Mon adorable collègue du bureau d’à côté me tire de ma reverie et me regarde comme si j’avais mis le feu à ses dossiers.
-“Est ce que cela vous dit quelque chose?”
Elle brandit un poignard sous mon nez comme si elle souhaitait me régler définitivement mon compte avec.
Jamais vu ce truc là.
-“ C’est un poignard indien, symbôle de la fertilité chez les aztèques. Ca ne vous dis toujours rien?”
J’ai chaud. J’ai de plus en plus chaud. Cette femme est folle.
-“ Non,je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez.”
-“ Si vous voulez faire la maligne…”
Et elle quitte mon bureau comme elle était entrée.
Eloïse ricane dans son coin.
-“ Elle perd complètement la boule cette pauvre Martine. Son mari me racontait l’autre jour qu’Alzheimer pointait le bout de son nez. Quelle horreur.”
Il faut que je sorte. J’ai besoin d’air. Je veux me retrouver chez moi, me blottir dans mon canapé, boire un thé glacé, écouter Janis Joplin, me laver les cheveux, faire une sieste, il fait trop chaud ici, je suis fatiguée et je vais avoir des jumeaux.
J’attrappe mon sac, fait claquer une bise sur la joue d’Eloïse et quitte le bureau en trombe. Je peux sentir son regard dans mon dos me suivre sans rien comprendre.
Dehors je respire. Je prends le chemin de la Seine, c’est toujours ce qu’on trouve de mieux à Paris la Seine.
Peut être que ce n’est pas si grave. Des jumeaux, peut être qu’au fond c’est une chance ? Deux bébés pour une seule grossesse, c’est plutôt bien quand on y pense. Pas besoin de remettre le couvert si on en veut un troisième. Il est déjà là. Tout beau tout fait. Il y a tant de gens qui crèvent de leur ventre qui reste toujours vide, moi j’ai deux bébés, deux bébés…
En fait c’est beau Paris. Des tas de jeunes, moins jeunes aussi, installent leurs sonos, leurs instruments en vue de la fête qui laissera cette nuit les oreilles sans repos.
Je vais avoir des jumeaux. Peut être que Thomas trouvera ça amusant. Peut être qu’il les aidera à inventer des blagues de jumeaux qui me rendront chèvre.
Je m’assois sur un banc. Près du fleuve il y a du vent. L’air est doux.
Mon telephone sonne. Le cabinet où j’ai passé l’échographie ? Mon coeur, mon ventre, ma gorge se serrent. Je décroche.
-“ Madame Lucille Vaugier ? Oui c’est le Dr Martin à l’appareil. Madame, il faudrait que vous repassiez au cabinet, j’ai jeté un coup d’oeil à vos échographies. J’aimerais en avoir la confirmation mais je crois que j’ai commis une petite erreur hier.”
-“ Une erreur?”
-“ Ou plutôt un oubli. En regardant attentivement les images, il semblerait qu’il n’y ait pas deux, mais trois bébés.”
Héhéhé, sympa, enfin pour moi cette histoire évoque plus un cauchemar qu'autre chose mais ça à un côté amusant qui me plaît bien. :o)
Jolie histoire et très bien écrite. Tu es sûre d'en être à un coup d'essai Valadon ? ;)
Le stress d'une grossesse multiple, comment les élever, la réaction de l'aîné... ça sentirait pas le vécu cela ? ;) Bravo pour ce premier texte Val !
Le stress d'une grossesse multiple, comment les élever, la réaction de l'aîné... ça sentirait pas le vécu cela ? ;) Bravo pour ce premier texte Val !
Oh joli Valadon! Dis moi tu as le mot facile! l'intégration du poignard est drôlement astucieuse (moi je l'ai carrément oublié...) et j'adore la fin. Il n'y a que l'histoire du petit garçon qui tombe par la fenêtre qui m'a fait froid dans le dos, quelle drôle d'idée elle a eu cette Eloïse! Décidément je les aime bien tes états d'âme!
Il n'y a que l'histoire du petit garçon qui tombe par la fenêtre qui m'a fait froid dans le dos, quelle drôle d'idée elle a eu cette Eloïse!
Je pensais à la chanson d'Eric Clapton, "Tears in heaven", dans laquelle il parle de son fils décédé.
J'aime beaucoup cette chanson mais quand je l'écoute j'ai les larmes aux yeux.
ça ressemble à du vécu, et à une belle tranche de vie, oui, enjouée et rayonnante..des triplées, oh my god, au secours!^^
Trop fort la chute ! (pas celle du garçon d'Eric Clapton)
Trop fort ! Et oui, définitivement il y a de la maîtrise dans tout cela, les Vosges te réussissent !! Et les conditions extrêmes aussi !!
Doux-amer avec une coloration optimiste in fine. Mais l'Alzheimer ? Il y a un Alzheimer quelque part ? Ah oui ! La Martine ! Plutôt inquiétante celle-là, elle me fait penser à la femme à la bûche dans Twin Peaks !
Bonne maîtrise, belle réussite, Valadon ! Et excuse-nous auprès de tes hôtes vosgiens de t'avair ainsi accaparée !
Trop fort ! Et oui, définitivement il y a de la maîtrise dans tout cela, les Vosges te réussissent !! Et les conditions extrêmes aussi !!
Doux-amer avec une coloration optimiste in fine. Mais l'Alzheimer ? Il y a un Alzheimer quelque part ? Ah oui ! La Martine ! Plutôt inquiétante celle-là, elle me fait penser à la femme à la bûche dans Twin Peaks !
Bonne maîtrise, belle réussite, Valadon ! Et excuse-nous auprès de tes hôtes vosgiens de t'avair ainsi accaparée !
Trop mignon ! Quel enfer ;-)
Extra Valadon !
Bien mené, on ne lâche pas un mot ! Un bon rythme, une bonne oscillation entre le blanc et le noir. Une chute des meilleures. Très bien amené aussi le coup du poignard, Alzheimer placé comme il faut (c'était sûrement un jour pair:). Vraiment très chouette ton texte. C'est bien ce que je disais l'autre jour, Edmond Rostand peut aller se rhabiller !
(je te promets que quand j'ai lu le poème de l'autre jour je me suis dit, waouah, la Valadon elle a bien caché son jeu, elle est drôlement douée ! Aujourd'hui je me dis que c'était peut-être prémonitoire :))
Bien mené, on ne lâche pas un mot ! Un bon rythme, une bonne oscillation entre le blanc et le noir. Une chute des meilleures. Très bien amené aussi le coup du poignard, Alzheimer placé comme il faut (c'était sûrement un jour pair:). Vraiment très chouette ton texte. C'est bien ce que je disais l'autre jour, Edmond Rostand peut aller se rhabiller !
(je te promets que quand j'ai lu le poème de l'autre jour je me suis dit, waouah, la Valadon elle a bien caché son jeu, elle est drôlement douée ! Aujourd'hui je me dis que c'était peut-être prémonitoire :))
C’est enlevé, parfaitement rendu, crédible et la chute finale en remet une couche (va en falloir des couches, d’ailleurs…). Mon manque de culture m’a empêché de bien saisir l’histoire du gosse de quatre ans et je me suis donc un peu emmêlé avec Thomas, mais ce n’est pas grave. J’aime beaucoup le ton général du récit qui utilise le discours direct mais avec mesure.
Un bravo sans restriction pour ce premier ( ?) essai.
Un bravo sans restriction pour ce premier ( ?) essai.
"J’aime beaucoup le ton général du récit qui utilise le discours direct mais avec mesure."
Il est de notoriété publique que Bolcho ne prise pas les dialogues au style direct !
Il est de notoriété publique que Bolcho ne prise pas les dialogues au style direct !
Merci pour vos commentaires :)))
C'est un vrai bonheur non seulement d'être lue et d'avoir vos retours,mais aussi de pouvoir lire vos textes à vous et de partager autour de cet exo.
Merci Bolcho aussi, on n'a pas encore échangé alors bonjour!! Oui oui c'est mon premier essai.Et probablement pas le dernier :)
Ah ben oui Garance,elle a du potentiel la Valadon ;)))
C'est malin Tistou ;)
C'est un vrai bonheur non seulement d'être lue et d'avoir vos retours,mais aussi de pouvoir lire vos textes à vous et de partager autour de cet exo.
Merci Bolcho aussi, on n'a pas encore échangé alors bonjour!! Oui oui c'est mon premier essai.Et probablement pas le dernier :)
Ah ben oui Garance,elle a du potentiel la Valadon ;)))
Trop fort la chute ! (pas celle du garçon d'Eric Clapton)
C'est malin Tistou ;)
Le début peut faire peur, a fortiori lorsqu'on sait qu'un poignard fait partie des contraintes. Fort heureusement, comme le souligne Pieronnelle, ce dernier (n'était-ce d'ailleurs pas tout simplement un couteau à steak plutôt qu'un couteau aztèque, avec Martine on ne sait jamais ?) est intégré de manière très astucieuse à ton récit. Tout comme les autres contraintes.
Trop fort la chute ! (pas celle du garçon d'Eric Clapton)
C'est malin Tistou ;)
Le Tistou est malin. C'est un fait acquis.
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