Lobe
avatar 11/05/2021 @ 14:29:53
Du haut de ses dix ans, Gwenn essaie de rassembler son courage. Des morceaux disparates de sa vie fusent dans sa tête tandis qu’il s’assoit sur le lit étroit, seul meuble de cette chambre trop blanche et vide.

De ces années avec cet homme qu’il ne comprenait pas, il revoit le monstre de peine qui grandissait dans les yeux de sa maman. Les derniers jours avaient été si troubles ! Une excitation s’était mise à grandir dans l’homme coléreux, une sorte de vibration de plus en plus hostile et tendue, que Gwenn avait combattu en se retranchant dans sa chambre. Le soir, il fourrait des tronçons de pain dans ses poches pour pouvoir s’éclipser au plus vite de la table du repas. La nuit, il se réveillait en nage, après des cavalcades sans fin dans des coursives étouffantes. Et un matin, il avait entendu éclater la lourde voix d’Abou, puis le bruit de ses bottines crantées et le ronflement du moteur. Anna avait à peine eu le temps de dévaler la première volée de marches pour le prévenir qu’ils partaient quelques jours sans lui, qui devait faire ses affaires et aller chez l’épicière jusqu’à leur retour. Il n’avait pas su à ce moment-là que le futur ne ressemblerait pas au passé : les deux adultes faisaient souvent des départs précipités, et des retours au matin blême.

Il avait l’intention d’obéir à sa mère, pas de doute là-dessus. Mais il avait d’abord joué avec sa liberté, si rare, si chère. Il était allé se faire peur à la cave, avait lancé des cailloux contre la façade pour mimer la guerre, dont il était si souvent question dans les conversations des adultes, il avait capturé des lézards pour les glisser sous la porte de la chambre honnie. En entendant de nouveau le bruit du moteur, à peine une poignée d'heures plus tard, son cœur s’était glacé. La récréation ne pouvait pas être déjà finie ! Mais les silhouettes à la porte ne ressemblaient pas à celle d’Abou et Anna. Martiales, funèbres, elles l’avaient attrapé, bâillonné et cagoulé avant que le moindre son ait pu trouver la voie hors de sa bouche.

Cela avait duré longtemps, il avait eu froid, de drôles de sensation dans ses oreilles et son ventre dans ce véhicule vrombissant ford, et immensément faim. Quand son bandeau lui avait été retiré, il était dans cette pièce presque nue.

Il ferme les yeux et pense qu’il est captif, sans savoir pourquoi, ni jusque quand. Sans espoir de rien. Seul jusqu’à la moelle.

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Son poignet lui fait mal, à Soizic. Son désespoir grandit, tandis que dans la cave mi-atelier mi-débarras, les choses amoncelées, penchées d’un côté ou de l’autre, semblent compatir avec elle.

Elle sait que Mamm Coz ne la laissera pas attachée indéfiniment, mais le fait que Gwenn tarde tant à rentrer ne semble pas suivre le plan. Est-ce que leur relation née de la duperie a une chance de rebondir ? Leur vie commune lui a déjà donné l’occasion de rencontrer à de multiples reprises le Gwenn insensible, cœur de granit, regard scrutateur. Le temps avait fini par l’assouplir, mais la trahison de Soizic est trop profonde, énorme.

Le tambourinement de Mamm Coz à la porte de la cave la fait sursauter. La vieille dame se moque d’elle ! Mais quand elle rentre dans la pièce, Soizic ne lui retrouve plus la froideur de ces deux derniers jours. La vieille dame semble un peu ratatinée, et ses yeux un peu troubles trouvent enfin franchement le regard de Soizic.

« Il semble que tu as une occasion d’effacer ton éponge, Soizic. Gwenn va avoir besoin de toi pour une mission à haut risque. Voici ton billet de train pour Berlin, tu pars demain matin. Tu as la nuit pour réactiver tes souvenirs sur cette langue que tu parlais sans accent, il y a quelques années, quand Gwenn t’a rencontré. »

Cyclo
avatar 11/05/2021 @ 14:43:25
Bravo, Lobe, il ne me reste plus qu'à me mettre au travail : peut-être ce soir, mais plus vraisemblablement dans les jours qui suivent ! Pas facile de suivre, faut que je relise tout depuis le début !

Tistou 11/05/2021 @ 15:16:25
Bravo, Lobe, il ne me reste plus qu'à me mettre au travail : peut-être ce soir, mais plus vraisemblablement dans les jours qui suivent ! Pas facile de suivre, faut que je relise tout depuis le début !

Ca c'est clair, mieux vaut relire, et attentivement, depuis le début.

Tistou 11/05/2021 @ 15:27:44
Dans la droite ligne des constats précédents. Où l'on assiste à la détresse d'un petit garçon de 10 ans malmené, et même détenu. Et où Soizic va revenir dans le jeu (pas forcément le Grand !).
Nach Berlin ! Nach Berlin ! Déjà Soizic maîtrise l'allemand. C'est pas mal.
Je crois que c'est la première fois que je lis l'épisode d'un MM rédigée par une doctorante !

Lobe
avatar 11/05/2021 @ 16:03:38
Docteure ;) Et Antinéa ?

Tistou 11/05/2021 @ 17:01:38
Docteure ;) Et Antinéa ?

Damned ! Et en plus une voisine !

Pieronnelle

avatar 17/05/2021 @ 11:35:31
Ta première partie est prenante à cause de cette enfance particulière et dramatique...par contre je ne comprends pas Abou et Anna pendant cette période ?
La deuxième partie est très cohérente et ouverte pour une suite...

Magicite
avatar 20/05/2021 @ 10:16:11
Un recentrage sur la vision du petit Gwenn vraiment bienvenu dans nos fatras de complots et opérations spéciales...
et mystère et vieilles dentelles avec l'opportunité de rédemption pour Soizic.
J'ai pensé à V pour Vendetta inconsciemment dans la relation entre Mamm et Soizic déjà dans l'épisode ou Tistou la fait attacher à un radiateur et encore ici, pas l'adaptation en film mais l'original bien sûr: https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/1408
L'ensemble emballé dans une virtuose sobriété.

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