Tistou 11/08/2020 @ 22:04:32
En d’autres temps – des temps du futur, du lointain futur – le gaillard, solidement bâti, hirsute et dont les peaux de bête grossièrement assemblées laissaient entrevoir une dense toison et une musculature noueuse, pourrait être qualifié de « sémillant entomologiste ». Enfin non, sémillant est probablement de trop, mais entomologiste au moins … il y avait indéniablement un attrait de sa part au moment présent pour cette section de la science naturaliste. D’ailleurs il avait délaissé sa massue de bois ayant décidé en son for intérieur que pour cette chasse cet instrument n’était pas le plus adapté (pourtant en des temps futurs certains n’hésiteraient pas à employer un marteau-pilon pour écraser un moustique, comme quoi … Mais ne lui dites pas, il ne sait pas ce qu’est un marteau-pilon).
En d’autres temps – les mêmes temps du futur, du lointain futur – notre gaillard aurait été qualifié de Parisien eu égard à son habitat. Non pas qu’il habitât une Tour quelconque ou un immeuble haussmannien, bien sûr que non. Lui c’était une caverne au bord d’un gros cours d’eau qui l’abritait. D’ailleurs on parlait d’immeuble … C’est parce que son voisin de caverne était un ours, dit « des cavernes », qu’il ne se séparait guère de sa massue, justement ! Inutile de lui dire que le site de sa caverne s’appellerait plus tard Lutèce, et encore plus tard Paris, ni que le gros cours d’eau s’appellerait la Seine, il n’y comprendrait rien.
Un superbe ciel bleu avait régné toute la journée sur … Paris ( ?) (ben oui, autant l’appeler directement ainsi sinon on ne va pas s’en sortir !). Des ptérodactyles avaient évolué gracieusement en bande dans le ciel toute la journée, plutôt sur l’autre rive de la Seine (oui, elle aussi on l’appelle directement ainsi, hein ?), ce qui l’arrangeait bien vu que la dernière fois qu’il avait dû se défendre contre eux, sa massue ne s’était pas révélée des plus performantes – et puis c’est fatigant de mouliner dans l’air toute une journée avec une grosse massue ! S’il avait su ce qu’était la chance, ou même la malchance, il n’aurait pas hésité à qualifier les arabesques (un bien joli mot en vérité s’agissant des évolutions de ces drôles d’oiseaux) des ptérodactyles, de l’autre côté de la Seine, de chance. Indubitablement.
Il n’avait eu à souffrir que de leurs discordants cris – on ne peut pas appeler ça un chant (encore que depuis les œuvres de Pierre Henry et consorts on ne sait plus trop, mais inutile de lui en parler, à notre gaillard, il ne saurait pas qui est Pierre Henry). D’ailleurs rétrospectivement, je me demande bien comment se nommaient précisément les cris des ptérodactyles. Surement pas piaillement en tout cas, et ça notre gaillard pourrait vous le confirmer !
Un superbe ciel bleu donc, mais qui avait laissé place en ce soir d’été (été, lui pas comprendre non plus) à un ciel nuageux. Nous étions à la tombée de la nuit. Les ptérodactyles étaient partis se coucher. Le voisin, l’ours des cavernes, était parti rendre visite à un sien cousin en banlieue (ça c’est moi qui qualifie ainsi la destination, bien entendu l’ours comme notre gaillard ne peuvent appréhender le concept de banlieue ! Mais comme c’était du côté d’Issy Les Moulineaux … soyons précis.). Bref les choses ne se présentaient plutôt pas mal et pourtant, pourtant, notre gaillard avait la tête levée vers le ciel et semblait scruter les cieux. En louchant toutefois.
Il avait porté, surpris, la main à sa tempe droite, tout près de l’œil, là où, il faut bien le dire, sa peau était moins tannée, moins « cuir », que sur le restant du corps. C’était, de fait, la première fois qu’il ressentait cette sensation de piqûre, associée à un vrombissement qu’indéniablement il ne pouvait associer aux ptérodactyles. Bien sûr, vous l’aurez compris, lecteur averti, qu’il s’agissait d’un moustique, un moustique de ce temps-là, qualifié par les spécialistes de moustique –tigre (oui, déjà à cette époque !) mais moustique-tigre à dents de sabre (on ne faisait pas les choses à moitié en ces temps-là !).
Les dits-moustiques s’étaient déjà promenés sur son corps mais bien entendu, ils pouvaient toujours piquer ; leurs dards se retrouvaient pliés en accordéon face au cuir du gaillard.
C’est dire sa stupéfaction en constatant qu’apparemment c’était cette petite chose qui, cette fois, lui avait provoqué cette sensation de brûlure.

C’était un petit pas pour lui mais un grand pas pour l’humanité : notre gaillard venait de jeter les bases de l’entomologie …

Martin1

avatar 12/08/2020 @ 09:49:29
J'ai eu la lecture de ce texte un sourire du début à la fin. Et à la mention des moustiques-tigres-à-dent-de-sabre, j'avoue... j'ai éclaté de rire !
C'est très drôle de regarder notre brave Cro-Magnon avec toute une armada de références contemporaines, parfaitement hors sujet, mais qui trahissent à quel point depuis le Paléolithique... bien du chemin a été parcouru. le marteau-pilon, Issy-les-Moulineaux, Pierre Henry...
Bon, voir les ptérodactyles en plein Paléolithique, c'est un bel anachronisme de 66 millions d'années (soit peut-être le plus grand anachronisme jamais commis dans l'histoire en terme de décalage)... je te taquine, bien sûr et j'ai trouvé ça drôle que tu parles de leur cri. Je ne sais pas si c'était un clin d'oeil mais c'est peut-être une manière d'ironiser gentiment sur cette manie de l'homme moderne (dont moi, un peu) de vouloir donner non sans pédantisme des noms à tout!

Pour finir sur la naissance de l'entomologie, je dis oui ! Oui, cette magnifique science est née le jour où on a donné une caractéristique à cet objet d'étude : cet insecte peut piquer. Il fallait partir de là !

Lobe
avatar 12/08/2020 @ 10:24:42
Nommer le chant du ptérodactyle... mais les dinosaures pouvaient-ils chanter ? (internet semble dire que non) Sinon, je tente: le ptérodactyle vizulte.
Oui, le moustique tigre à dents de sabre fait mouche ! Un texte enlevé, avec une boucle temporelle qui rend bien parce qu'elle déboussole juste comme il faut. De belles images, je me demande ce que ça fait d'avoir un ours des cavernes en voisin. Oh, dites, le vieux grincheux du quatrième, il s'en rapproche. Il mériterait que je le renomme, en hommage à ce texte. Merci Tistou de cette inspiration !

Magicite
avatar 12/08/2020 @ 11:23:37
J'ai eu un peu de mal à la première lecture parce la première phrase j'avais pas compris et que je trouvais ça un peu cafouilleux et aussi parce que c'était hier soir et que j'ai lus les textes à la suite.
Les phrases sont parfois un peu abruptes(était parti rendre visite à un sien cousin en banlieue ) mais on est transporté dans une très bonne comédie, comme au cinéma où dans chaque scène les gags s'enchaînent.
moustique tigre à dents de sabre...ptéra ptéro hmm pierrodactylo, enfin des moustiques de cette envergure je n'imagine même pas les piqûres...
Plutôt visuel l'ensemble et on sent que tu t'amuse.

Tistou 13/08/2020 @ 18:35:23
Mea Culpa pour l'anachronisme des braves ptérodactyles (je pense toujours à eux quand je vois voler un héron) mais bon, je n'étais pas à 66 Millions d'années (je ne refais pas le compte, hein !) près dans mon gentil délire.
Je ne courais pas après le cri des ptérodactyles mais quand leur image est née sous mes doigts je n'ai pu résister. C'était une trop belle occasion de créer un lien avec une discussion qui avait eu lieu sur le fil qui lançait l'exo. Par contre je ne sais pas pourquoi "vizulte". Tu en dis trop ou pas assez, Lobe ! Tu as connu des ptérodactyles ? Perchés sur les safoutiers peut-être ?

SpaceCadet
avatar 15/08/2020 @ 18:24:07
Je n'avais pas bien saisi où ça allait à la première (et rapide) lecture, mais une fois lu avec attention, c'est en effet réussi. La superposition entre deux époques crée, je trouve, un effet comparable à celui qu'on peut éprouver quand on regarde à travers une vitre qui est composée de parties en verre clair et de parties en verre structuré. Une vision à deux niveaux à travers laquelle filtre l'humour d'une part et d'autre part une petite réflexion quand même qui nous incite à relativiser notre perception (contemporaine) du monde. Le ton et la forme narrative sont bien en phase avec la teneur du récit et les petits commentaires que le narrateur ajoute en aparté les surlignent bien tout en ajoutant de la personnalité au texte. Et cerise sur le gâteau, une conclusion qui est amenée bien finement. Bien joué!

Cyclo
avatar 18/08/2020 @ 10:25:01
Et voilà la préhistoire qui ressurgit. J'étais mort de rire, avec les incises amusantes, puisque l'écrivain, lui, est de notre temps et en sait plus que le héros. Bravo, j'y aurais pas pensé, faut dire j'ai le cerveau qui fonctionne au ralenti en ce moment ! Mais ça fait du bien de rire !

Nathafi
avatar 18/08/2020 @ 21:45:45

Non non, Tistou ne boit pas d'alcool... et ne fume pas non plus de substances illicites...
Et pourtant nous voilà transportés dans un texte hallucinant, s'agissant d'un ours qui se promène en banlieue, et à Issy les Moulineaux, s'il vous plaît !!!, piqué par un moustique-tigre à dents de sabre visant juste... Bien bien...

Texte délire pour Tistou, allure rapide et petits commentaires qui prêtent à sourire, on sent que tu t'es amusé à produire cet écrit :-)

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