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Forums  :  Vos écrits  :  Par-dessus les moulins

Martin1

avatar 05/08/2020 @ 11:07:23
Un vieux meunier grognait dans les piémonts du Var. La mine pieuse, affreuse, le cœur sec et avare, il fixait son âtre sans un mot. Il songeait qu’autrefois un moulin décorait le hameau. Fort de sa ferme hucherolle, il soutenait quatre pales à vergues, quatre lames de toile, roulant, riant, résonnant de son bois, comme un lourd métronome ! Quatre pales tournant sous les caprices du mistral, trempant l’une après l’autre leurs vergues dans les vignes, vibrant de tous leurs signes ! C’était un géant sémaphore tout en poutres brûlantes. Et quand la meule tournante touchait la meule dormante, le bois grinçait fort, fort, de tous ses alluchons, de tous ses tenons, et le grand rouet dans un bruit formidable, déversait sa farine dans les boisseaux profonds. Et l’air sec de s’emplir d’un brouillard vagabond, poudreux comme la neige…

Un jour vint que le mur d’une usine occulta le mistral, et la roue incessante cessa de rouler. Le bruit se tut dans ce cylindre de pierre. Oubliée, effritée par les mites et les blattes, une aile mal fixée s’effondra toute entière. La meule s’était fendue entre deux tours de graines, sans le vent qui l’entraîne. Le moulin prit l’air triste, qu’arborent parfois les antiquités mortes.
C’était la fin de l’œuvre, c’était la fin de l’homme. Il laisse retomber son bras lourd de farine. Après l’usine, il y aura le barrage, et après le barrage, la centrale ! Il grognait bien fort sous son bonnet de tricot. Et au printemps, il n’y aura point d’herbe pour le bourricot ! Point de rivière pour le héron ! Que mangeront demain la meunière et les meuniérons ?
A peine eut-il dit, qu’en se découvrant le chef, il jeta son bonnet par-dessus les moulins, par-dessus les pylônes, les rampes, les turbines, les tours, les digesteurs, les parafoudres ! Le bonnet retomba sur un asphalte étanche. Puis un âne, se souvenant qu’il n’y avait plus blé à moudre, ni herbe à prendre, mangea la laine chaude en revanche.

Tistou 10/08/2020 @ 15:08:25
Que de vocabulaire unusuel : hucherolle, alluchons, pales à vergues, rouet ...
Du rythme également. Des images ; le bonnet jeté par-dessus les moulins ... (en référence à la gourme jetée ?)
Bref beaucoup de choses en aussi peu de lignes.. Je serais curieux de connaître d'où peut venir l'inspiration pour un tel texte ?

Lobe
avatar 14/08/2020 @ 09:30:45
Il est très évocateur ce texte, entre le mouvement qu'on imagine lent au début, celui de la roue grinçante qui progresse dans le souvenir du meunier, et puis l'accélération du second paragraphe, où il semble que les siècles se succèdent. Cette image de l'âne, moyen de transport/portage du même temps que le moulin, qui cherche à manger sur une route goudronnée, et qui trouve sa pitance là où on ne l'attend pas, et à la fois un peu drôle et tout à fait glaçante.
C'est une belle langue en tout cas que tu déploies. A la fois traditionnelle et inventive: "Que mangeront demain la meunière et les meuniérons ?" m'a fait sourire, effectivement, quoi de plus logique que les petits du meunier soient des meuniérons ! Et pour le côté poétique des rimes et assonances, je trouve que ça rend très bien, et que ça participe à l'atmosphère de ce court conte.

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