Arundhati
avatar 07/05/2020 @ 10:54:22
Je fermai la porte de la chambre désuète, la veste de mon costume sur le bras, et descendis la volée d’escaliers qui menait au lobby, serrant un peu trop fort la poignée de ma petite valise.
Il faisait chaud certes, mais en général je ne me permettais jamais dans l'exercice de ma profession de retirer ma veste. Question d'image, pourrait-on dire. Les gens s'attendent à voir dans un notaire la représentation rassurante d'un notable de province, tiré à quatre épingles quelles que soient ses compétences, maniant les termes de droit avec brio, vous savez ces mots que seuls les gens du sérail peuvent comprendre, ce jargon légalo-administratif qui laisse à la porte les gens du commun, qui vous impressionne autant qu'il vous donne le sentiment de ne rien savoir du monde qui vous entoure et qui vous régit, qui vous laisse aussi faible et innocent que les mots du médecin qui vous explique que vous allez sûrement y passer, mais que finalement ce n'est pas si grave.
Je m’y étais fait à cette image. J’avais presque réussi à y croire. Mais maintenant, tout cela n’avait plus d'importance.
Quand Baptiste m’avait recontacté, dans un premier temps, je n’avais pas cru à un tel hasard.
Et plus il avançait dans sa demande, après de courtes politesses d’usage, plus j’avais du mal à imaginer que ce puisse n’être qu’une coïncidence. Me demander, à moi, de contacter sa mère ! Je n’arrivais pas à imaginer qu’elle ironie du sort avait pu le pousser à se tourner vers moi.
Parce que si quelqu’un savait que sa mère était morte depuis un certain temps déjà, c’était bien moi.
Bien sûr au début, la panique s’était emparée de moi.
Il savait.
Mais une fois la première stupeur glaçante passée, je commençai à douter. Sa décontraction, son ton badin, comme si tout cela n’était qu’une blague (je pense qu'il voulait surtout masquer le fait qu'il n'ignorait pas que ça demande naviguait aux frontières de la légalité), c'était trop, il ne pouvait pas être un si bon comédien.
Je le connaissais trop bien, Baptiste le tourmenté, Baptiste l’incompris. Non, j’avais finalement compris que quoi qu’ahurissante, la vérité était là : il ne savait toujours pas que c'était moi qui avais tué sa mère.
J’avais accepté donc, la curiosité était la plus forte. Qui allais-je rencontrer ? Qui était celle qui me recevrait au manoir ?
Je m’étais assez vite détendu quand j’avais rencontré l’imposteuse. J’avais quelques coups d’avance sur elle, et bien que parfaitement à l'aise dans son rôle, elle connaissait manifestement les lieux et l'histoire de la famille, je n'avais eu aucun mal à simuler l'ignorance.
Et puis, je n’aurais jamais crû que je puisse avoir une deuxième chance.
J’étais certain qu’elle était là, au nez et à la barbe de ces ignorants. J'avais échoué la première fois, pris de panique quand j'avais frappé Éléanore et qu'elle avait dévalé les escaliers comme un pantin désarticulé. Je m'étais enfui, pris de panique, alors que j'aurais certainement eu le temps d'explorer la vaste demeure.
Et donc le sort me donnait une nouvelle occasion de mettre la main sur la statuette.
Je sus immédiatement que l’usurpatrice n’avait aucune idée de ce qui s’était réellement passé. Je l’écoutais enjoliver les récits qu’avait dû lui faire Éléanore, mon regard scrutant les moindres recoins de chaque pièce que j'avais l'occasion d'observer.
Et elle était là. La statuette légendaire, qui selon le mythe abritait le cœur de la déesse de la mer.
Posée obscènement sur un manteau de cheminée, comme un vulgaire souvenir touristique.
Je la trouvais laide d’ailleurs. Je n’aurais aucun mal à la briser. Elle avait hanté mes rêves trop longtemps. Je ne suis même pas sûr que cette femme qui pensait me manipuler s’aperçut de son absence.
Je réussis à la glisser sous ma veste pendant qu’elle allait chercher la bouteille de rhum, c’était presque trop facile.
Je n’ai pas pu attendre de rentrer à l’hôtel.
Je me suis arrêté dans un parc, et de toutes mes forces j’ai brisé la statuette contre un érable un peu frêle.
Pour être honnête, je m’attendais vraiment à ce que tout cela ne soit qu’une légende, qu’une histoire à dormir debout, mais il était là, logé au cœur de la statuette, le rubis maudit, rouge sang, de la taille d’un œuf.
Et maintenant que je quittais l’hôtel, il était blotti là, dans ma petite valise noire.
Enfin, quand je dis valise, c’était plutôt une mallette. Une mallette qui avait déjà beaucoup voyagé.
Et qui bien sûr allait m’accompagner dans mon voyage retour.
Le cœur de la déesse allait enfin reprendre sa place.
Et l’océan allait pouvoir recommencer à battre et à vibrer à son rythme.

Cyclo
avatar 07/05/2020 @ 11:30:57
Et voilà, la boucle est bouclée, avec élégance. Sacré notaire, moins naïf qu'on le pensait, retors même... et assassin !
C'est très joliment achevé. Je n'ai pas tout relu depuis le début, il reste peut-être encore quelques points d'ombre, mais la littérature c'est de ne pas tout expliquer, de laisser du travail au lecteur.
Chapeau, j'avoue que je n'avais pas pensé à une telle fin !

Darius
avatar 07/05/2020 @ 13:31:27
Arundhati, tu es un génie du polar !!!! C'était vraiment toi qui devait terminer cette histoire... tout y est... quelle description du métier de notaire avec son jargon ! Et fûté en plus ce Monsieur Pierre ! Bien plus fûté que l'on n'aurait pu le penser au départ ! Et quel retournement de situation, c'était donc lui qui avait éliminé Eleanore..çà alors !!

Et cette statuette oubliée qui revient tout à coup ? Pourquoi la voler pour la détruire ? Mais bon sang, le trésor était à l'intérieur... !!!

Merci, je vois que mon rhum Santa Teresa du Vénézuéla en a inspiré plus d'un... :-)

En tout cas, un grand bravo à Arundhati, on n'aurait pu mieux trouver pour terminer l'histoire enchevêtrée...

Elle est bonne à publier à mon avis...

Radetsky 07/05/2020 @ 14:11:02
Un bien triste sire, ce notaire chafouin et criminel.et dire qu'il va s'en tirer... Chapeau en tout cas pour le"clap" de fin, Arundhati !

Garance62
avatar 07/05/2020 @ 21:11:10
Superbe ! Ah, mes aïeux, quelle fin, quelle imagination, quel coup de maître... si je peux me permettre...
Espérons que dans cette joyeuse petite bande d'écrivailleurs et écrivailleuses que nous sommes (pour tenter de mettre tout le monde d'accord sur le féminin...:), personne n'a dans ses proches un notaire... si c'est le cas, nous sommes bien contents de les trouver pour naviguer dans nos lois, décrets et autres joyeusetés imbuvables pour le citoyen lambda. Ouf, sauvés !

Ceci étant dit, la boucle est bien bouclée !... sur une fin immorale au possible, c'est à signaler.
Arundhati, vous nous ferez la relecture du code pénal !
On t'aidera ! :)

@ Darius, C'est vrai qu'elle est bonne à publier cette histoire ! C'est d'ailleurs ce qui vient de se passer non ? :) Tistou en directeur de collection et la joyeuse équipe qui veille sur chacun de nos écrits en éditeurs ! :)

Merci à tout le monde, j'ai passé d'excellents moments à vous lire !!!!

Le confinement se termine, on est dans le tempo. Tu as réussi à bien nous mobiliser Tistou, et dans les temps. Une ola pour Tistou ? ;)

Bon, et maintenant on fait quoi ? :)

Radetsky 07/05/2020 @ 22:18:33


Bon, et maintenant on fait quoi ? :)

On prépare un sac à dos, pour aller en des endroits où il n'y a personne...

Mais merci au "maestro" Tistou pour sa direction d'orchestre !!

Magicite
avatar 07/05/2020 @ 22:44:29
Aussi étonnant qu'épatant bravo pour la conclusion Arundhati.
Je ne suis pas sûr que ce soit si immoral comme fin:
"Le cœur de la déesse allait enfin reprendre sa place.
Et l’océan allait pouvoir recommencer à battre et à vibrer à son rythme.
"
L'appât du gain de personnages révélés tous aussi faux les uns que les autres débouchant sur quelque chose d'encore plus mystérieux.
C'est l'océan qui a gagné tel un épaulard en chasse.
Excellents moments bravo à tous comme dit notre initiatrice.

Tistou 07/05/2020 @ 23:30:11
Il aura été dit que rebondissements après rebondissements, tous nous aurons eu l'échine souple, apte à rétablir des mouvements périlleux ... Jusqu'à ce dernier épisode, souvent le plus périlleux de tous puisqu'il faut finir, agréger tout ce qui a été semé et que ça tienne.
He bien ça tient. Et bien encore. Ca en fait une histoire qui pourrait s'intituler "Le bal des faux-culs", mais qui n'est pas si immorale que cela, je suis d'accord avec Magicite.
Au final un MM très différent du précédent mais qui me parait marqué du sceau de la maturité. Avec le recul ça parait incroyable qu'on ait tous pu inventer par petits bouts cette histoire, sans savoir - et pour cause - comment elle allait se terminer ... et ça le fait pourtant !
Merci Arundhati de ta célérité et de ton efficacité !

Tistou 07/05/2020 @ 23:32:57


Bon, et maintenant on fait quoi ? :)

On prépare un sac à dos, pour aller en des endroits où il n'y a personne...

Mais merci au "maestro" Tistou pour sa direction d'orchestre !!

D'accord pour le sac à dos mais moi je dis merci aux compositeurs. C'est toujours à eux que revient le mérite d'une oeuvre.

Marvic

avatar 09/05/2020 @ 12:22:16
Le notaire assassin ! Quelle superbe idée ! De rebondissements en rebondissements, une nouvelle policière palpitante avec une fin parfaite. Bravo !

Débézed

avatar 11/05/2020 @ 17:27:33
Affaire conclue de plume de maître ! Un vrai polar !

Débézed

avatar 11/05/2020 @ 17:28:21
Arundhati comme Arundhati Roy ?

Arundhati
avatar 11/05/2020 @ 22:24:52
Arundhati comme Arundhati Roy ?

Oui, par exemple ;)

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