Lobe
avatar 30/04/2020 @ 12:16:29
J’allais me coucher très troublé de cette journée. Troublé, c’est peu dire : j’avais appris que la femme avec laquelle j’avais cru m’entretenir cinq jours d’affilée était morte et enterrée depuis deux ans. Sa remplaçante, une mystificatrice de premier rang, enfilait des mensonges en collier. Mensonges qui eux-mêmes sortaient tout droit d’une autre bouche mythomane, celle de sa feue patronne !

Je peinais à m’endormir, et eus l’impression qu’un rêve me happa dès que ce fut le cas. Je me retrouvais attablé dehors, la nuit, face à Baptiste. L’air du plein été montpelliérain était encore lourd dans nos nuques. Baptiste, le regard fixé au mien, la voix sourde, me racontait des choses qu’il ne m’avait jamais dites, mais que je reconnaissais. Le sortilège qui avait pesé sur sa naissance, les esprits polynésiens liés au sien, l’absolue nécessité qu’il avait de retourner au plus vite sur l’île où il avait été conçu, l’erreur de ses parents d’avoir accepté un don sans contre-don. Il parlait en se penchant vers moi, en m’implorant de l’aider dans cette quête, et quand son visage se trouva à quelques centimètres du mien, son visage s’épaissit, sa bouche se fit de plus en plus large et ourlée, et ses yeux devinrent deux billes de lune nacrées.

Je n’ouvrais les yeux, hagard, que pour mieux replonger. Cette fois, un fou à pieds bleus tapait de son bec à l’encadrement de ma fenêtre. Je me levais pour lui ouvrir. A sa patte fascinante était attachée une enveloppe, barrée d'un « M. Pierre ». L’encre de mon nom brillait encore, comme si elle n’avait pas eu le temps de sécher. L’enveloppe, cachetée à son dos d’un sceau que je brisais, contenait une vieille photographie en noir et blanc. Deux femmes se tenaient debout devant un grand voilier. Elles souriaient au photographe en se tenant la main. Au bout de leur bras libre, chacune tenait une mallette noire. Leur apparence et leur regard évoquaient deux sœurs siamoises. Comme lassé d’attendre, le fou se mit à pousser un cri résonnant, sifflant. Je me réveillais pour de bon.

Il était à peine une heure du matin. Replonger dans ces cauchemars insensés n’était pas une option, mais je n’arrivais pourtant pas à les écarter de mon esprit. Je repensais à cette photo qu’elle m’avait montrée, le premier jour, celle où elle posait devant le Hawaikinui. Quel audace elle avait eu, cette Sidonie Larcher, de dévoiler la photo d’une autre femme qu’elle ! Pourtant, j’avais cru retrouver des traits communs entre mon hôte et cette fringante jeune femme de la photographie : la pommette haute, le sourcil fier… Je me levais d’un bond. La gendarmerie avait dû déserter la maison de Mme Lartigue du Pontet à cette heure, et j’étais pratiquement sûr que la porte qui donnait sur la terrasse arrière où nous avions déjeuné serait ouverte. Mon idée fixe était simple : j’avais besoin de me rasséréner en retrouvant la photo, et en voyant que ces ressemblances que j’avais fabulées n’en étaient pas. Je sortais de l’hôtel et montais dans ma voiture. Un sourire m’échappa : j’allais aussi pouvoir régler cette question de mes honoraires, en prélevant une ou deux bouteilles de ce fameux rhum. Ça ne ferait de mal à personne.

Radetsky 30/04/2020 @ 13:15:44
Bien, Lobe ! Qui donc a écrit "le faux est un moment du vrai" ? Mais alors le vrai est aussi un moment du faux....? On est dans un tunnel et tu as montré la petite lueur, tout au bout...C'est excellent !

Débézed

avatar 30/04/2020 @ 13:27:56
Excellent Lobe, cette histoire est décidément pire que tonneau des Danaïdes, on n'en verra jamais la fin, elle rebondit, rebondit, rebondit, court, flotte...

Tistou 30/04/2020 @ 17:26:49
Alors toi, Lobe, tu parviens à nous remettre une louche d'exotisme, à nous faire revenir un peu sur les aventures initiales par le biais de rêves, prémonitoires ou, à défaut éclairants, et à faire un clin d'oeil au MM précédent en remplaçant un pic-vert par un fou à pieds bleus (ça fait rêver un fou à pieds bleus ! Manquerait plus qu'il vienne tambouriner ... ah mais oui, justement il vient taper l'encadrement de la fenêtre ! Bien joué (et peut-être qu'on va s'apercevoir in fine que le fou à pieds bleus, du rêve, était en fait un fou épeiche, à cul rouge ??).
Donc rêves et pistes ouvertes. Les desseins de Baptiste restent mystérieux. Et qui peut bien être cette mystérieuse alter ego sur la photo - rêvée ?
Mais voici que notre Pierre de notaire envisage sans frémir violer chouïa la loi en projetant de s'introduire nuitamment dans la demeure du Pontet. Et qui plus est de se payer sur la bête en prélevant quelques bouteilles d'un précieux breuvage. Fichtre. Et c'est donc à Evaetjean de relever le flambeau. Et n'en reste plus que deux derrière ? On va se poser la question de "est-ce qu'on conclut dans ces 3 derniers épisodes" ou "est-ce qu'on tourne pour un second tour" ?

Cyclo
avatar 30/04/2020 @ 19:21:31
Voilà le supplément le plus bref mais pas le moins intéressant. On sent que tout ça va se dénouer. Le Baptiste va-t-il enfin paraître ? Quelles relations entre la baronne et sa bonne ?
Et si tout n'était que fantasmes ?
C'est très bien écrit et bien relié au précédant : gages = rhum !

Magicite
avatar 04/05/2020 @ 20:20:15
Une photo, un oiseau voyageur et pas mal de confusion. Subtile.
Mine de rien il se passe pas mal de choses et la frontière entre le rêve et le rhum/l'oiseau/la photo plutôt floue(en bien je veut dire).
Une saga vers son dénouement en effet Cyclo.
J'avais tellement pensé à ce qu'il y ait une intrigue de ce genre entre la dite baronne et sa dite servante après la révélation de leur duplicité que tout me semble s'enchaîner parfaitement.

Garance62
avatar 04/05/2020 @ 21:11:33
Parfait parfait ! On croit le dernier qui parle ici, mais après ce dernier le suivant remet le doute ahaha !
Les rêves amènent quelquefois à des pistes, ici les deux femmes du rêve servent de déclencheurs ? Oui, parfait parce qu'encore une fois les pistes sont brouillées !
Les pensées calculatrices du notaire ne le sont pas elles, brouillées... :)
Deux épisodes restent... ouille ouille, bon courage aux suivants !

Nathafi
avatar 05/05/2020 @ 13:40:40

Le pauvre notaire est bien opressé, il a fait des promesses à son copain Baptiste qui vient le hanter...

Moments de confusions qui offrent plusieurs pistes, rêves prémonitoires ?

Darius
avatar 06/05/2020 @ 11:32:06
mensonges ! mensonges ! ou Bugia ! Bugia ! comme disent les Italiiens ... :-)

quel rêve prémonitoire de Monsieur Pierre qui a soudain une idée de génie ! Retrouver la photo que cette Sidonie lui a montrée et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la fausse baronne... et le mystère des mallettes noires ! accepter un don sans contre don ? un mystère de plus...

Voyons comment le suivant va s'en tirer... pas évident cet écheveau...

Marvic

avatar 06/05/2020 @ 16:52:07
Nous repartons dans l'univers onirique entre rêve et cauchemar de Monsieur Pierre toujours tracassé finalement par cette(s) mallette(s) noire(s) du début. Un peu perdu...
Et je le comprends !

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