Garance62
avatar 28/03/2020 @ 11:37:09
Cinq heures et 41 minutes. Germaine sursauta. Ouvrit les yeux. Mit son sens auditif en alerte.
« Fernand, Fernand, ça recommence ! »
Fernand grommela, souffla, se retourna puis finit par se résigner.
« Je dormais ! »
« Moi aussi je dormais ! Qu’est-ce que tu crois ? Ecoute »
Afin de mieux écouter, Fernand alluma, signal visible de l’intérêt qu’il était censé porter à la parole de Germaine. Effectivement ça recommençait !
Germaine était déjà debout, robe de chambre enfilée et se dirigeait d’un pas décidé vers la salle de bains. A cette époque de l’année les volets restaient ouverts. La clarté du dehors était largement suffisante pour se rendre compte de la chose. Elle poussa un soupir, revérifia l’information puis se décida à avancer de quelques heures le petit-déjeuner.
« Café ou thé ? » le « mon chéri » habituel était passé à la trappe, signe supplémentaire s’il en eut besoin que ce début de journée s’annonçait perturbé. « Café, pourquoi pas ? » répondit Fernand d’une voix lasse. Et pour lui-même « j’aurais préféré thé dans deux heures mais bon… »
A travers la fenêtre de la cuisine, Germaine pouvait apercevoir les maisons des voisins. En haut à droite, chez Jean-Pierre et Aline, il y avait de la lumière, à la droite de chez eux, c’était Jean-René que l’on pouvait voir sur le pas de sa porte. Germaine se déplaça légèrement et pût constater que chez Milène et Marc les nouveaux arrivés dans le village, plusieurs fenêtres étaient éclairées, sans doute les enfants étaient-ils encore endormis, du moins elle l’espérait, à cet âge le sommeil vous berçait de toutes les belles illusions, il serait bien temps ensuite de plonger dans ce qu’elle appelait le principe de réalité.
Germaine tendit le cou pour regarder vers chez Maximilien, et comme elle s’y attendait, l’obscurité régnait. Comment eut-il pu en être autrement ? Un soupir plus grand que les autres vint ponctuer l’allumage de la cafetière électrique. Y avait-il de la résignation, de la colère qui ne tarderait pas à sortir, de la lassitude ? Germaine n’en savait trop rien, ne s’étant jamais vraiment posé la question mais le soupir était là. L’odeur du café aussi, qui prit le dessus sur ce soupir envolé.

En effet, des habitants de ce petit village, Maximilien était le seul à dormir sur ses deux oreilles. Même les enfants de Marc et Milène, José et Arthur, avaient pris la cuisine d’assaut ce samedi matin d’avril, alors qu’il n’y avait pas classe. Marc et Milène auraient eux aussi préféré boire un thé deux heures plus tard.

Jean-René était rentré chez lui, après avoir déposé sur le rebord de la fenêtre un enregistreur qui datait d’un autre temps mais qui ferait bien l’affaire. Jean-René était bien conscient que les bandes son ne serait d’aucune utilité pour résoudre ce que la plupart des habitants considéraient comme une nuisance insupportable mais ils lui permettraient d’apporter sa contribution.
Jean-René était homme à aimer la compagnie de ses semblables à la seule condition qu’on ne le prit pas en otage d’une opinion qu’il aurait dû se mettre à défendre. Jean-René aimait les gens mais bien encore plus sa tranquillité. Avec cet évènement il allait devoir une fois de plus se méfier des réactions des uns et des autres, rester vigilant à ne pas émettre le moindre avis, à ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre, à ne pas proposer d’aide à qui que ce soit mais à rester dans un rôle satisfaisant pour la cohésion de cette petite communauté. Car, nul doute que les apéros du village allaient redevenir le lieu de discussions animées.

Ces apéros c’était son idée. Tous les samedis, jeunes et moins jeunes se retrouvaient chez les uns ou chez les autres, à tour de rôle. Chacun apportait de quoi se sustenter suffisamment pour faire durer la soirée et les discussions. Les chants et les blagues allaient bon train. Quand l’évènement avait commencé, quelques mois auparavant, les apéros avaient servi d’exutoire. Les semaines passant, les nuisances avaient exacerbées les sens de certains, chez d’autres elles avaient permis de découvrir des facettes inattendues, chez d’autres encore, tel Maximilien, la chose n’avait donné lieu qu’à un amusement affiché, amusement qui se déclinait la plupart du temps en déconnade libératrice quand les tensions montaient d’un cran.
Jean-René, lui, ne se situait pas dans le creux de la discussion, ni en bon ni en mauvais, il restait bien à l’écart des avis et des légères échauffourées des samedis soirs. Mais il avait une direction, un cap qu’il avait identifié très nettement : il souhaitait, mieux, il voulait que le village garde son unité, que tous les habitants continuent de se fréquenter, de se retrouver, de s’apprécier le plus possible en se connaissant de mieux en mieux. Jean-René avait un credo, plus on écoutait, plus chacun se sentait bien compris et plus cette compréhension amenait à de l’estime mutuelle. Jean-René était un utopique convaincu qui vivait depuis des décennies sans les images du monde, sans télévision qui vous apportait les horreurs du monde entier. Il croyait fermement que si la paix, le respect étaient possibles dans ce petit village, un jour, peut-être admettait-il en baissant la voix, peut-être que les hommes deviendraient sages, s’écouteraient vraiment, arrêteraient de se foutre sur la gueule.

Jean-René était songeur. Tout en versant le thé dans son bol, il réfléchissait. Tout de même, qu’est-ce que ça pouvait bien signifier ? C’était si étrange. Si incroyablement étrange. Ce phénomène était si particulier que, lors d’un apéro, tous les habitants avaient décidé que le village aurait été mis en danger si la presse venait à s’emparer de la chose. A n’en pas douter, les caméras, micros, paroles inutiles répétées à l’envi, gloses insignifiantes reprises sans cesse ne pourraient que les enquiquiner bien plus que la chose. Tous, ils avaient donc convenu que leur histoire ne concernait qu’eux. Aucune explication scientifique venue de l’extérieur n’était donc à attendre.

Le thé remplissait doucement le bol de Jean-René quand il les entendit. Quand même… Qu’est-ce que ça voulait bien pouvoir signifier, ces dix pics verts qui, ensemble, dans un concert dirigé de main de virtuose, faisaient claquer à la même seconde leurs dix becs sur les arbres qui entouraient le village, exactement dans le même tempo, et s’arrêtaient pile poil au même dixième de seconde, quarante-trois minutes plus tard ? Quarante-trois minutes c’était long….

Evaetjean
avatar 28/03/2020 @ 11:49:31
Wahou Garance au taquet ! Top de top car tout d'abord le champ d'action est immense et peut laisser aller bon train l'imagination de tous. Ensuite, évidemment, c'est bien écrit, clair et concis... On glisse doucement dans les maisons de chacun. Texte clair, pas alambiqué et perso j'aime ça. Lu d'une traite !

Merci Garance de ce début très prometteur !!!

Lobe
avatar 28/03/2020 @ 11:54:24
Qu'il est alléchant ce début... Une galerie de personnages à préciser, un cadre clos mais qui peut être détaillé, un mystère très mystérieux, puis une chute de nature à ouvrir l'imagination. Bravo Garance, pas la tâche la plus facile, mais je trouve que ce que tu proposes est saisissant et réjouissant!

Cyclo
avatar 28/03/2020 @ 12:04:04
Mystérieux et en même temps concret... Très bon début !
J'aimerais bien dans ma tour organiser un de ces apéros, mais chacun se calfeutre chez soi, on ne croise presque plus personne sur les paliers même ! Et quand ça arrive, j'ai l'impression d'être devenu un pestiféré que l'on évite et à qui on ne dit même plus "bonjour" !

Débézed

avatar 28/03/2020 @ 12:21:27
Beau début Garance on sent bien l'inspiration gauloise : un petit village d'irréductibles (on ne sait pas encore les suivants préciseront). La place est large pour l'imagination des autres auteurs, je suis impatient de savoir dans quel monde ils vont m'emmener. Pour le moment l'apéro ça m'inspire pas mal !

Pour le reste, j'ai déjà dit à Garance ce que je pense de son écriture, ce texte ne fera pas changer mon opinion.

Je vais me faire un petit pense bête pour bien situer tous les personnages, c'est ma hantise de ne plus me souvenir de qui est qui.

Magicite
avatar 28/03/2020 @ 12:25:06
Super cette première partie. Bravo Garance, je n'étais pas sûr des contraintes ou de leur absence relative qui permettent de donner cohérence à l'ensemble mais cette belle introduction laisse en effet le champ libre(et m'a fait découvrir ce qu'était un pic vert que j'ai pris pour pivert au début) à la suite.
C'est alléchant tout ça, hâte de lire la suite.
Les dés sont jetés et c'est un beau résultat, ouvert et mettant en place tout ce qu'il faut pour s'amuser ensemble avec ce village et ses habitants.

Marvic

avatar 28/03/2020 @ 12:41:15
Si je ne risque pas d'oublier le nom de Germaine (prénom de mes deux grands-mères), je vais moi aussi prendre des notes sur les habitants du village.
C'est curieux, cela me renvoie au roman que je termine pour le Prix CL, Brandebourg de Juli Zeh. Il peut s'en passer des choses dans un village quand au fur et à mesure des événements, on fait connaissance avec ses habitants !

Arundhati
avatar 28/03/2020 @ 13:34:46
Merci Garance pour se texte très inspirant et plein de détails et d'idée pour jouer avec.
Je suis prêt à poste moi-même

Darius
avatar 28/03/2020 @ 13:49:01
je viens de le lire et relire pour bien me souvenir de tous les personages et j'ai fait mon petit pense - bête..
Cet apéro, c'est comme une fête de village, non ? Ou une fête de rue ? Enfin je vais voir la suite, car cela m'échappe que la presse ne soit pas la bienvenue..
Pour le pivert, est ce différent du pic vert ? c'est bien cet oiseau qui tape sans cesse son bec sur un arbre, non ?

Tistou 28/03/2020 @ 18:52:02
Le staccato du pic-vert - ou du pivert, on a bien affaire au même ziozio - ou plutôt des pics-verts, et même 10 pics-verts sur une durée de quarante-trois minutes (tiens chez moi c'est trente-neuf minutes, seraient-ils petits bras par chez moi ?). Qu'est-ce que c'est que ce bazar ?
Bon sinon on a l'ébauche d'un petit village, allez on dirait plutôt un hameau de forêt (où habite un "Maximilien", décidément un prénom "Garancien" !) qui s'estime brimé parce que de braves volatiles viennent répéter leurs percus chez eux dans le cadre du prochain concert du Nouvel An à Vienne. C'est vrai que ça ouvre un champ large de supputations et de délires (déjà, les 43 minutes ... !).
On ne va pas se plaindre, on a un lieu bien identifié, on a déjà des personnages positionnés ... Tout baigne. Si ce n'est qu'on a 10 malades du bec qui sont réglés sur 43 minutes. (M'est avis que tu dois avoir un hôte pic-vert dans ton terrain ?) Et ça ça ne va pas être coton ...
Oh ! Mais la suite est parue. Allons voir ce qu'Arundhati en a conclu ...

Et merci d'avoir parfaitement lancé ce MM sur les rails !

Minoritaire

avatar 29/03/2020 @ 10:31:18
Bon. Décor planté, quelques personnages et caractères apparaissent.
Tout ça a la mérite d'être clair *, n'était le mystère des pics verts.

Belle intro. Merci garance.

Nathafi
avatar 29/03/2020 @ 11:14:04

Ah l'apéro !!! Belle idée de rassemblement d'une petite communauté qui refait le monde ou débat des sujets polémiques.
Beaucoup de personnages, un mystère qui paraît, intriguant tout ça...
De quoi me rappeler quelques lectures, les microcosmes s'avèrent parfois surprenants.

Merci Garance pour cette introduction !

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