Pieronnelle

avatar 18/02/2020 @ 22:44:55
La question arriva comme une fusée : Qu'est-ce que c'est papa ? Le regard qui l'accompagnait était un mélange de supplication et d'angoisse ; mais le ton autoritaire que sa fille avait coutume d'utiliser atténua le stress du père et lui permit de calmer pour un temps les battements de son coeur.
Mais la peur s'engouffra en lui et s'empara de son corps tout entier, lui paralysa la machoire et il baissa la tête pour cacher à l'enfant son incapacité à lui répondre. Il souffla un grand coup, se pencha en avant et il ne comprit pas comment il eut la force de tendre le bras la main levée pour lui faire comprendre de s'arrêter.
Elle était là devant eux, plus exactement à quelques centimètres de leurs pieds, beaucoup plus près en fait de ses pieds à elle. Comment lui dire, comment faire en sorte qu'elle ne bouge pas d'un milimètre, qu'elle ne se mette pas en colère à cause de son silence, ou qu'elle soit prise de panique en soupçonnant la peur de son père ? Lui, le héros qu'elle croyait invincible, rescapé d'une guerre monstrueuse qui avait failli l'engloutir.
Quand elle l'avait vu dans l'encadrement de la porte alors qu'ils étaient tous réunis autour de la table de la salle à manger, mère, frère et soeur, elle avait cru que son coeur s'arrêtait. Le cri n'avait pu sortir de sa gorge, son père adoré était là, vivant, maigre, un drôle de regard et encore plus de sourire ; mais là ! Elle avait couru vers lui avant même que les autres aient eu le temps de réaliser et s'était littéralement collée à ses jambes. Elle avait senti l'odeur bizarre de ce tissu marron verdâtre des uniformes qui l'impressionnaient tant. Puis elle s'était sentie soulevée par les bras puissants et préssée contre la poitrine de ce père tant attendu.
Pour l'heure son héros semblait comme pétrifié et avant qu'elle eu le temps de réaliser elle le vit se redresser comme un automate, la saisir presque violemment et la rejeter en arrière. Ils tombèrent sur le sol à même pas un mètre de la chose. Elle eut mal mais ne pleura pas, partagée entre la colère et la déception mais également la conscience qu'il se passait quelque chose de grave .
Alors son père se mit à lui parler, tout doucement, la voix tremblante, une voix qu'elle ne lui connaissait pas : "Viens, il nous faut partir de cet endroit : c'est comme un mauvais rêve, comme celui de cette maudite guerre que je croyais finie depuis 2 ans et qui pourtant m'a explosée au visage. Tu vois, j'en ai vu tomber des bombes, certaines vraiment pas loin de moi, mais celle-là, juste devant nous était la pire de toutes."
Mais ne crains rien , maintenant ici ça va...

Cyclo
avatar 18/02/2020 @ 22:47:35
presqu'un récit d'horreur, bien mené !

Darius
avatar 19/02/2020 @ 12:58:22
Oups, Piero, je l'ai relu deux fois et je n'ai pas compris... c'est quoi cette chose ? "Ils tombèrent sur le sol à même pas un mètre de la chose"

Avant que je ne commente plus et être dans l'erreur totale, pourrais tu me donner plus d'explication sur ce qui se passe ? Hormis le fait que le père revient de la guerre, sans doute défiguré ? Ou avec une prothèse ? Une jambe de bois ? oui, c'est çà, il a perdu l'usage d'une jambe...?

Pieronnelle

avatar 19/02/2020 @ 13:24:16
Darius c'est une bombe qui est restée au sol et qui date de la guerre. Malheureusement il en reste encore beaucoup et qui font l'objet d'enlèvement par des spécialistes...

Tistou 19/02/2020 @ 18:54:39
J'ai dû également relire mais j'avais bien compris qu'il s'agissait d'une bombe ... égarée en quelque sorte. La confusion vient, à mon avis, du paragraphe relatant le retour du père, qui n'est pas vraiment dissocié du récit au présent : la rencontre de la bombe.
Oui, c'est presque un récit d'horreur, une horreur qui, hélas, a existé et coûté des vies mais une horreur qui existe encore du côté des montagnes du Laos et du Cambodge proches de la frontière vietnamienne où il y a encore mines et bombes, qui vous enlèvent une jambe comme pour rire. Ah l'ingéniosité des hommes ! On est forts hein ?
Récit original, qui se positionne bien à la période demandée et, pour toi également, je n'ai pas l'impression que l'imposition des phrases de début et de fin ait posé souci ?

Lobe
avatar 20/02/2020 @ 18:24:32
J'ai lu un peu vite une première fois, et directement après les commentaires (tendance boulimique!), donc je ne sais pas si j'aurais compris seule. Mais à la relecture, de fait, la première phrase sonne drôle: tu écris "fusée", mais on ne peut pas s'empêcher d'y lire "bombe"!
Quand tu dis "celle-ci était la pire de toute", c'est en parlant du modèle, ou justement du contexte dans laquelle il la voit? En tout cas tu as très bien rendu l'angoisse de la situation. Et puis, à une autre échelle, je te remercie d'avoir proposé cette date des années 1920, ça nous a permis à chacun à sa manière de faire un tour dans l'histoire (et à moi pour une fois de ne pas chercher à esquiver la contrainte temporelle d'une pirouette...)!

Pieronnelle

avatar 20/02/2020 @ 23:53:42
C'était la pire des bombes car elle pouvait tuer son enfant. Paradoxe d'un homme qui a connu l'horreur de la guerre avec à coup sûr la peur au ventre et qui connaît là la peur de sa vie...
On est souvent clair dans sa tête mais sans arriver à le faire passer : -)

Minoritaire

avatar 21/02/2020 @ 12:13:44
Pour moi non plus, la "chose" n'était pas claire. Tistou en a bien analysé la cause, je crois. Mais rétrospectivement, l'idée de nommer ainsi l'ingéniosité des hommes dans la destruction de leurs semblables m'a paru plus effrayante encore.
Comme souvent, les exos me ramènent des références. Ici, c'est au magnifique film de B. Tavernier que je pense :"La vie et rien d'autre". On y voit précisément, et presque de façon anecdotique, un passage où le soc de la charrue d'un agriculteur heurte un obus non explosé...

Pieronnelle

avatar 21/02/2020 @ 15:31:34
Mais le paragraphe sur le retour du père n'est là que pour montrer l'attachement de l'enfant et son admiration pour son père. (amour filial) et donc sa surprise devant son attitude , et pour introduire la guerre de 14 (indice sur la chose),donc 1918 puisque le père revient apres une trop longue absence. La decouverte de la bombe restée au sol se situe 2 ans après comme le dit le père à la fin...
Heureusement que je me comprends par mon explication de texte : -)

SpaceCadet
avatar 22/02/2020 @ 10:34:43
Un suspense qui me semble fonctionner plutôt bien. Le texte est court et on sent la tension tout au long de la lecture. Entre la découverte de l'objet, la réaction du père, puis l'explication, il ne se passe en fait qu'une minute ou deux et c'est le temps qu'il faut à l'auteur pour mettre la situation en contexte. A mon avis, il ne manque que le petit détail, l'indice devrais-je écrire, qui agisse comme un marqueur de temps.

Pieronnelle

avatar 22/02/2020 @ 10:52:40
Un suspense qui me semble fonctionner plutôt bien. Le texte est court et on sent la tension tout au long de la lecture. Entre la découverte de l'objet, la réaction du père, puis l'explication, il ne se passe en fait qu'une minute ou deux et c'est le temps qu'il faut à l'auteur pour mettre la situation en contexte. A mon avis, il ne manque que le petit détail, l'indice devrais-je écrire, qui agisse comme un marqueur de temps.

Tout à fait d'accord avec toi Space. J'ai cru que l'uniforme et le retour du père seraient suffisants comme indice mais c'était manifestement pas suffisant c'est clair.
Merci de ta lecture !

Pieronnelle

avatar 22/02/2020 @ 10:58:29
Et merci à tous ceux qui m'ont lu ! C'est super de pouvoir s'analyser à travers d'autres regards !

SpaceCadet
avatar 22/02/2020 @ 13:31:01
Un suspense qui me semble fonctionner plutôt bien. Le texte est court et on sent la tension tout au long de la lecture. Entre la découverte de l'objet, la réaction du père, puis l'explication, il ne se passe en fait qu'une minute ou deux et c'est le temps qu'il faut à l'auteur pour mettre la situation en contexte. A mon avis, il ne manque que le petit détail, l'indice devrais-je écrire, qui agisse comme un marqueur de temps.


Tout à fait d'accord avec toi Space. J'ai cru que l'uniforme et le retour du père seraient suffisants comme indice mais c'était manifestement pas suffisant c'est clair.
Merci de ta lecture !


Pour ma part, je le trouve assez clair.

Peut-être suffirait-t-il de marquer le changement de temps en jouant sur la présentation du texte (si on n'a que trois paragraphes deux au présent et un au passé, ça rend les temps plus visibles) sinon, peut-être en ajoutant un mot (je pense par exemple à un 'pourtant' placé en début de phrase, devant 'Quand').

Parce qu'à 'trop' préciser, tu risquerais de casser cette forme particulière au texte où l'on voit apparaître ce souvenir fugace alors que le temps est comme suspendu entre deux points et ça serait vraiment dommage.

Tistou 24/02/2020 @ 09:53:50
Un suspense qui me semble fonctionner plutôt bien. Le texte est court et on sent la tension tout au long de la lecture. Entre la découverte de l'objet, la réaction du père, puis l'explication, il ne se passe en fait qu'une minute ou deux et c'est le temps qu'il faut à l'auteur pour mettre la situation en contexte. A mon avis, il ne manque que le petit détail, l'indice devrais-je écrire, qui agisse comme un marqueur de temps.


Tout à fait d'accord avec toi Space. J'ai cru que l'uniforme et le retour du père seraient suffisants comme indice mais c'était manifestement pas suffisant c'est clair.
Merci de ta lecture !



Pour ma part, je le trouve assez clair.

Peut-être suffirait-t-il de marquer le changement de temps en jouant sur la présentation du texte (si on n'a que trois paragraphes deux au présent et un au passé, ça rend les temps plus visibles) sinon, peut-être en ajoutant un mot (je pense par exemple à un 'pourtant' placé en début de phrase, devant 'Quand').

Parce qu'à 'trop' préciser, tu risquerais de casser cette forme particulière au texte où l'on voit apparaître ce souvenir fugace alors que le temps est comme suspendu entre deux points et ça serait vraiment dommage.

Juste.

Pieronnelle

avatar 25/02/2020 @ 10:40:26
Merci à Space et Tistou pour ce regard approfondi, ça me touche...

Magicite
avatar 23/03/2020 @ 04:11:29
l'angoisse, l'intrigue est prenante directement. Peut-être à cause de cette forme ramassé/courte(l'intrigue du qu'est ce que à juste le temps d'être posée qu'elle doit avoir sa réponse) la clarté du texte s'en trouve amoindrie.
Ou peut-être c'est l'effet de :'émotion qui submerge tout et rend la réalité flou et difficilement perceptible. En tout cas ils y sont ces personnages: la petite fille qui comprends pas son papa en choc mais qui le ramène quand même les 2 pieds sur terre vers un passé terrifiant et pas si lointain.

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