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C’est une bien vieille histoire mais je ne l’ai jamais oubliée. Ce petit monsieur, je le croisais presque tous les jours à la boulangerie. Un petit monsieur tout ce qu’il y a de comme-il-faut, discret, poli et tout. Et cela depuis des années. Quand d’aventure, je le croisais en rue, nous nous faisions un petit salut bien poli. Rien de plus, rien de moins.
Cela aurait pu durer des siècles à ce train là. Mais bon, pourquoi pas, ça ne mangeait pas de pain, cela ne faisait de mal à personne …
Mais tout de même, en le regardant chaque matin s’éloigner de la boulangerie, je me demandais quelle pouvait être sa vie ? Car c’est bien long une vie quand elle est faite de si peu de chose… Quelle vie ? A faire quoi ? Rien ou pas grand-chose. Car, quand on est un pareil petit monsieur gris et qu’on passe comme ça dans les rues, dans un costume couleur muraille, on est comme un caméléon, on prend la couleur du décor, mieux : on devient ce décor. Alors, que reste-t-il de soi ?
Il était gris, me semblait-il, jusque dans le fond de lui-même. Avec son petit chapeau boule démodé, il me faisait penser à un Maigret … un peu plus maigre, justement. Car le commissaire de Simenon avait, lui aussi, une vie privée bien rangée, petite bourgeoise, avec la brave madame Maigret qui l’attendait le soir avec un pot-au-feu dont elle savait qu’il raffolait !
On ne le voyait nulle part dans le quartier. Pas même lors de la fête locale, ni au club de billard, ni même à la messe - des fois qu’il aurait été catholique – ni au football, alors que notre club avait une belle position dans le championnat…
Donc un petit monsieur gris au dernier des degrés. Que devait-il penser de la vie ? Pensait-il seulement ?
Vraiment, j’étais choqué de tant de banalité. Comment cet homme s’acceptait-il ? Que pensait-il en se regardant dans la glace, le matin, en se rasant ?
Et son épouse était pareille. Gentille et grise. Incolore, inodore et, je suppose, insipide…
Et quand je parlais d’eux à la boulangère, je n’en tirais pas grand-chose. Un petit couple bien convenable, qui ne fait pas de vagues. Tout au plus savait-elle qu’il était peintre.
- En bâtiment ?
- Mais non, cher monsieur : artiste peintre. Amateur. Il barbouille, si vous voulez. Un peintre du dimanche, quoi !
Jusqu’à ce jour du 8 septembre 1967 ! Ce jour-là, il n’est pas venu chercher son pain. Et quand je questionnai la dame du magasin elle me répondit :
« Comment, vous ne savez pas ? C’était dans le journal de ce matin : Monsieur Magritte est mort »
Jacques van de Weerdt
Cela aurait pu durer des siècles à ce train là. Mais bon, pourquoi pas, ça ne mangeait pas de pain, cela ne faisait de mal à personne …
Mais tout de même, en le regardant chaque matin s’éloigner de la boulangerie, je me demandais quelle pouvait être sa vie ? Car c’est bien long une vie quand elle est faite de si peu de chose… Quelle vie ? A faire quoi ? Rien ou pas grand-chose. Car, quand on est un pareil petit monsieur gris et qu’on passe comme ça dans les rues, dans un costume couleur muraille, on est comme un caméléon, on prend la couleur du décor, mieux : on devient ce décor. Alors, que reste-t-il de soi ?
Il était gris, me semblait-il, jusque dans le fond de lui-même. Avec son petit chapeau boule démodé, il me faisait penser à un Maigret … un peu plus maigre, justement. Car le commissaire de Simenon avait, lui aussi, une vie privée bien rangée, petite bourgeoise, avec la brave madame Maigret qui l’attendait le soir avec un pot-au-feu dont elle savait qu’il raffolait !
On ne le voyait nulle part dans le quartier. Pas même lors de la fête locale, ni au club de billard, ni même à la messe - des fois qu’il aurait été catholique – ni au football, alors que notre club avait une belle position dans le championnat…
Donc un petit monsieur gris au dernier des degrés. Que devait-il penser de la vie ? Pensait-il seulement ?
Vraiment, j’étais choqué de tant de banalité. Comment cet homme s’acceptait-il ? Que pensait-il en se regardant dans la glace, le matin, en se rasant ?
Et son épouse était pareille. Gentille et grise. Incolore, inodore et, je suppose, insipide…
Et quand je parlais d’eux à la boulangère, je n’en tirais pas grand-chose. Un petit couple bien convenable, qui ne fait pas de vagues. Tout au plus savait-elle qu’il était peintre.
- En bâtiment ?
- Mais non, cher monsieur : artiste peintre. Amateur. Il barbouille, si vous voulez. Un peintre du dimanche, quoi !
Jusqu’à ce jour du 8 septembre 1967 ! Ce jour-là, il n’est pas venu chercher son pain. Et quand je questionnai la dame du magasin elle me répondit :
« Comment, vous ne savez pas ? C’était dans le journal de ce matin : Monsieur Magritte est mort »
Jacques van de Weerdt
Gris au dernier des degrés, une partie du tableau. De l'autre, les fulgurances de pipes, de fenêtres ouvertes, de malice, de pomme sur sa pomme. Est-ce qu'il faut être gris pour mieux être multicolore? Ton texte me réjouit.
Merci, Lobe !
Ah bravo Catinus ! Il se trouve que je "baigne" dans Magritte et que de couleurs, de clins d'oeil' , de poésie aussi et de questionnements ! Je mange avec Magritte au petit déjeuner et c'est bien le premier boost de la journée ! Ton petit homme gris est une merveille et ta chute "réjouissante" comme le souligne Lobe . Si tu pouvais venir plus souvent ici Catinus avec ton humour et ton talent !
Merci Pieronnelle pour c'es mots gentils. Tu as raison : Magritte est de bonne compagnie. Bel été surréaliste à toi !
Cette courte ‘nouvelle’ si s’en est une ? Est tout à fait réaliste, car j’ai connu en effet un couple (Mais ils doivent être plus nombreux, qu’on croit ?) sans enfant, ayant vécus toute leur vie, dans un trois pièces au petit confort bourgeois, un peu comme (Hastings et son poireau), pratiquement incognito, sans tambour ni trompette, du genre modeste en somme, et qui peut-être traumatisé par la disette de la guerre, on vécut ensuite en dedans toute leur existence? Et sont partis à petit feu, sur la pointe des pieds, sous un ciel gris…
*Ou Sherlock Homes et Watson
*Ou Sherlock Homes et Watson
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