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Forums  :  Vos écrits  :  Ferdinand

Fd
avatar 04/03/2018 @ 15:36:19
Je suis une grande bâtisse de bois avec une porte cochère au-dessus d'un pont de terre sur lequel montaient les chars de foin qu'il fallait vider à coups de fourches et entasser dans ma grange aux poutres larges, puissantes, chevillées entre elles, soutenant un immense toit de tuiles beiges et brunes, certaines recouvertes de fleurs de lichen.

Dans ma partie est, faite de briques rouges, habite Ferdinand, seul maintenant ; il a tant d'années qu'il ne les additionne plus. Le savez-vous, je l'ai vu naître et il doit bien avoir 70 ans ou plus, je ne sais pas compter ; enfin il me semble que c'est encore jeune pour notre époque. Les enfants sont partis à la ville, il n'y a plus de cris autour de la maison, plus de rires étouffés dans le foin ; les tracteurs se sont tus, le fourneau reste trop souvent bien froid.

A côté, dans la dernière maison du village, vit Zozote, enfin c'est ainsi que tout le monde la surnomme, au point d'en avoir oublié son nom de baptême, parce qu'elle zézaie un peu. Garnements qu'étaient alors Ferdinand et ses copains, ils en riaient, se moquant ouvertement d'elle, alors que leurs aînés chuchotaient entre eux qu'elle devait être un peu « retardée ».

Faisant des va-et-vient incessants dans les escaliers, arpentant ma grange vide, regardant tristement son jardin potager où subsistent quelques poireaux jaunis et deux choux levés, Ferdinand me fait de la peine ; il doit se demander que faire de sa vie si solitaire. De tous mes yeux en façade, je le vois jeter un coup d'oeil d'abord indifférent à sa voisine la Zozote, puis s'attarder, prenant soudainement conscience qu'elle bêche son potager. Il y remarque de grosses tomates murissantes, une alignée de haricots, de si belles salades. Puis des yeux, lentement, il parcourt, comme pour la première fois, les lézardes dans les murs, le toit dangereusement incliné, les fenêtres de guingois de cette vieille maison qu'elle habite, si près de la sienne.

Une lueur de joie subite a dû le visiter, me dis-je, car aujourd'hui je les observe, lui, serrant sa main à elle dans la sienne, tous deux faisant le tour de mes communs, se disant enchantés par ma solidité, ma vastitude, mon confort et je les vois monter les escaliers et disparaître dans mon intérieur.

Cette affaire se répend dans tout le village : « vous pensez la Zozote avec le Ferdinand, c'est'y dieu pas possible ! Et tu as vu son jardin potager et toutes les courses qu'il fait au marché le samedi à l'étal du boucher, on sent de bons fumets quand on passe sous les fenêtres de sa cuisine. Et ça zozote, ça zozote sur la grande place, au café, parfois même on entend des chuchotements à l'église le dimanche matin : « T'as vu la Zozote avec sa nouvelle robe et la ferme rénovée du Ferdinand ? »

Avec mes volets repeints de neuf, je suis une grande bâtisse de bois et sous mon toit protecteur monte des rires et des chants ; j'entends des petits pas qui courent sur mon plancher. Les enfants et petits-enfants sont de retour pour la fête. Dehors des tables aux nappes blanches attendent les convives, sur chacune d'elles un bouquet de fleurs des champs. Mon coeur de ferme chante le renouveau, mon coeur n'est pas de bois.

Minoritaire

avatar 05/03/2018 @ 17:54:53
Une jolie petite fable sur le temps qui passe et sur la mémoire des pierres.

Pieronnelle

avatar 05/03/2018 @ 23:38:17
Et joliement composé, j'adore quand on humanise les objets ou les choses...

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