Yves Simon par Arsenic, le 15 décembre 2001

Yves Simon est né à Contrexéville, en 1945, et a grandi à l'intérieur d'une famille modeste dans la région de Nancy. A 19 ans, il s'embarque pour Paris où il s'inscrit à la Sorbonne et prépare le concours d'entrée à l'IDHEC .

Le Paris de votre livre est-il le reflet du Paris dans lequel vous vivez?

Oui, je vis à Paris et c'est ce Paris que je décris. En fait, j'ai voulu que Paris soit un personnage à part entière dans le roman. Je me suis souvent servi, quand j'écrivais, de Paris comme décor, mais sans aller plus loin. Cette fois, c'est différent, j'ai voulu parler de son passé, de son présent. Donc je parle beaucoup de Paris la nuit, Paris le jour. Les endroits dont je parle sont des endroits que je fréquente. J'aime me balader dans Paris. L'an dernier, j'ai fait un livre avec un aquarelliste et j'ai donc arpenté les rues de Paris à ce moment-là. Lui dessinait et moi, je rentrais dans les cafés, je parlais avec les gens. Je rentrais dans les décors de Paris.

J'aime particulièrement les cimetières…Il y a des morts dans Paris, qui "vivent" dans les cimetières. Les cimetières de Paris sont très impressionnants. L'histoire littéraire et artistique de France est là! Serge Gainsbourg côtoie Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Gérard de Nerval se trouve près de Flaubert, Alexandre Dumas est entouré de presque tous ses nègres…

Paris est autant faite de vivants que de morts.

Pourquoi, de temps en temps, il y a un "je" qui apparaît? C'est vous ou c'est un autre "je"?

C'est un autre "je". C'aurait pu être moi, mais j'avais envie qu'il y ait la voix de celui qui est censé écrire ce roman. Le narrateur. La Voix perdue des hommes, c'est à la fois des personnages de roman, ces personnages dont j'ai recueilli la voix en les rencontrant pour certains en les imaginant pour d'autres, et puis aussi cet écrivain afghan à qui j'ai demandé d'écrire quelques pages, sur ce qu'était la perte de sa patrie, quand on est en exil. J'avais envie de mélanger toutes ces voix. Il y a aussi des extraits de poèmes très courts, qu'on a lus ou pas, mais qui représentent des phrases subliminales qui sont à l'intérieur du récit. On y retrouve du Gainsbourg, du Saint-Augustin, du Rimbaud, du Jim Morrison, et d'autres. Ce sont aussi des voix perdues d'hommes…

Votre livre contient-il un message particulier?

Il y a deux envies qui ont fait naître ce roman. La première est effectivement cette envie de décrire Paris d'une certaine manière, la deuxième est une raison un peu plus… poétique disons.

Une ville est le lieu des extrêmes. C'est un endroit où se côtoient la grande richesse et la grande pauvreté. C'est là qu'il y a une abondance de sexe pour certains et une absence totale de sexe pour d'autres. Il y a la solitude au milieu de millions de gens. C'est le lieu des paradoxes, des oppositions. La laideur côtoie la beauté, humaine ou architecturale. Il y a beaucoup d'émotion dans les villes. C'est dans les très grandes villes que se nouent et se dénouent le plus de destins. C'est un vrai lieu poétique, romanesque, dramaturgique.

Les raisons cachées de ce livre, c'est autre chose encore. Je pense qu'on arrive à la fin d'un monde. Un monde de l'humanisme, lié à la Renaissance, un monde des lumières, né au XVIIIe siècle, est en train de s'effilocher sous nos yeux et les événements liés au 11 septembre en sont simplement un exemple.

Mais vous ne croyez pas que c'est déjà fait depuis longtemps ça???

Non. Non, non! Parce que dans les faits, on agit comme si de rien n'était. On fait des discours profondément humanistes. Mais aujourd'hui, il y a un monde plus cynique qui arrive. D'ici un an ou cinq ans, je ne sais pas faire de pronostic, un clone humain va arriver. Ce n'est pas vraiment effrayant en soi, tout ce qui arrive, mais en même temps, il faut le contrôler, parce que ça peut mener très loin. Il faut des comités d'éthique nationaux, internationaux. Il faut se méfier.

Etes-vous allé dans le désert?

Je suis parti dans le désert du sud tunisien. Le désert est un lieu où l'on se sent relié au cosmos, alors que justement, par définition, le désert, c'est le rien, mais je m'y sens relié au ciel et à la terre.

Que vient-il faire dans un roman qui se déroule en plein Paris?

Il y a eu, il y a deux-trois ans une tempête énorme en France. Je ne sais pas si le sable est remonté jusqu'à Paris, mais il est remonté très haut et ce que j'écris est tout à fait plausible. On retrouve parfois du sable sur les voitures, à Paris, mais surtout dans le sud de la France.

C'est la symbolique de ces deux mondes, dont un se termine. Alors, ça peut représenter la fin d'un monde, parce que le désert, c'est la fin des choses, parce qu'à des endroits où il y a le désert aujourd'hui, il y avait de la verdure, la mer, etc. Mais c'est aussi le début, parce que certains déserts se couvrent de végétation, je pense à des déserts comme la Californie qui est aujourd'hui l'état des Etats-Unis le plus puissant.

Donc le désert peut être la fin ou le début.

Vous avez un frère?

Non.

Votre description de la relation entre les deux frères est pourtant particulièrement bien décrite…

Je suis fils unique, mais j'ai toujours rêvé d'avoir un frère et j'aurais aimé que les choses se passent ainsi. . J'en ai vu autour de moi. Mais bien sûr, c'est imaginé. Ils ont des idées antagonistes, mais des valeurs communes. Cela représente également les deux mondes dont je parlais plus haut. Je ne souhaite pas, bien sûr, que l'ancien disparaisse. Je voudrais que les deux cohabitent. Un peu comme au Japon. Ce que j'aime là-bas, c'est le mélange d'une extrême modernité et d'une extrême tradition, qui cohabitent parfaitement. Ils ont réussi quelque chose de très fort. Bien sûr, c'est une île, donc ils ont toujours été en quelque sorte protégés. Ils n'ont jamais été envahis, sauf lorsque la bombe atomique est tombée sur leur territoire. C'est une sorte d'envahissement, mais le Japon n'a jamais été envahi par des troupes, n'a jamais été occupé, géré par une autre culture.

Par quoi avez-vous été attiré le plus tôt: la musique ou l'écriture?

J'ai d'abord écrit avant de devenir chanteur. J'ai écrit, avant de devenir chanteur, deux livres qui n'ont pas bien marché, par contre, la chanson a bien fonctionné. Depuis, je n'ai jamais cessé d'alterner les deux. Je pense que j'ai beaucoup appris de la chanson pour écrire mes romans, et pas le contraire. Parce que dans la chanson, l'écriture doit être précise, poétique, avec des images très fortes. Dans l'écriture des romans que j'écris, on doit sentir cette écriture serrée de la chanson…


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