Jacques Lacarrière par Arsenic, le 7 décembre 2001

Né en 1925, écrivain de grande renommée, Jacques Lacarrière est l'un des observateurs les plus attentifs de la Grèce. Toujours accompagné de son " Leica " lors de ses diverses marches à travers ce pays, il en a ramené des images d'une très forte sensibilité.

Qu’est-ce qui vous a donné cet amour de la Grèce ? C’est en vous depuis que vous êtes petit, je pense ?

Tout petit non, parce que j’ai grandi dans une famille modeste où il n’y avait aucun livre, donc la Grèce m’était totalement inconnue. Par contre, j’ai toujours voulu être poète quand j’étais enfant, donc j’étais doué pour tout ce qui était rédaction, écritures de textes, etc. Les professeurs ont beaucoup insisté auprès de mes parents pour que je fasse des études dites classiques, c’est-à-dire les lettres : latin d’abord et grec ensuite. Le latin me plaisait moins que le grec, mais ce que j’aimais dans celui-ci, c’était moins la langue elle-même que l’histoire qui se cachait derrière. Parce qu’on étudiait la mythologie, ce qui était fascinant. La nature était très importante dans la mythologie, et puis il y avait l’étonnante liberté sexuelle des dieux, qui pour un adolescent était quelque chose de fascinant.

Ensuite, il y a eu un concours de circonstances : en octobre 44, je me suis inscrit à la Sorbonne pour une license de lettres, et je rencontrai là un groupe de théâtre antique auquel je me suis inscrit tout de suite. En 46, je jouais Antigone, et puis d’autres rôles, et en 47, le groupe fut invité à aller jouer à Epidaure…

Et comment en êtes-vous venu à l’écriture ? Parce qu’on peut aimer un pays, l’explorer, etc., mais écrire est une autre étape. Aimez-vous écrire depuis toujours ?

J'ai fait beaucoup de traductions de livres que personne sinon n'aurait traduit. Des auteurs exilés, déportés, que j'ai rencontrés. C'était la guerre civile (le coup d'état de 67). C'est un tout petit pays où il s'est passé plein de choses. Une sorte de labo de la future Europe: on y a essayé le théâtre, la démocratie…Donc l'image du poète que j'avais étant enfant s'est un peu effacée…

Vous habitez en Bourgogne. Mais j’imagine que vous ne pouvez passer beaucoup de temps sans aller en Grèce. Découvrez-vous encore des choses?

Oui, mais pas de la même manière. Je suis parti à Chypre, lieu de naissance d'Aphrodite, et je l'ai fait classer patrimoine mondial par l'Unesco. Je collabore d'ailleurs à plusieurs associations de défense du patrimoine et de l'écologie.

Avez-vous un endroit préféré en Grèce ? Et un dieu (ou une déesse) préféré ?

Mon endroit préféré, c'est l'île de Spetze, où je retourne souvent. C'est une île plate remplie de fleurs. Très protégée, sans voiture. Mes amis y habitent surtout…

Ma déesse préférée? Athena. Elle n'est pas très romantique, avec son casque et tout, mais je l'aime. C'est la sagesse, mais en même temps, elle sait se battre pour l'imposer. C'est unique d'associer la sagesse et les armes. Mais attention, pas la guerre, le combat. Elle a une lance, pas une épée, c'est une arme plutôt défensive.

Y a-t-il un personnage de l'antiquité que vous auriez aimé rencontrer?

Orphée et Icare. Mais Icare, c'était difficile. Après sa chute, eh bien, il était tombé et ne pouvait plus parler, tandis qu'avant, il n'avait probablement rien d'intéressant à raconter. Orphée par contre peut raconter les enfers. Ce sont deux beaux mythes bien incarnés dans ces personnages. Poétiques.

Votre séjour au mont Athos, parmi les moines, a dû être une expérience fabuleuse : parlez-en un peu.

J'ai vécu comme eux, ce fut dur parce que je ne parlais pas la langue, mais très intéressant. Ce fut une expérience hors du temps, une sorte de deuxième naissance. Trois fois j'y suis allé, et à chaque fois, j'apprenais d'autres choses.

Un Dictionnaire amoureux de la Grèce… Qu’est-ce qui a dicté les noms qui y figurent et ceux qui n’y figurent pas ? Et pourquoi " amoureux " ?

C'est l'amour qui l'a dicté. J'ai écrit sur des choses que j'aimais, dont j'avais envie de parler. Après, on se rend compte qu'il en manque mais bon…Je pourrais faire un second livre avec les choses que j'ai oubliées. Il y en a aussi que j'ai délibérément laissées. J'ai redécouvert des choses, des auteurs que j'ai traduits et qui dormaient, que j'avais un peu oubliés. C'était difficile à l'époque de traduire et j'ai réalisé des anthologies inédites.

J'ai mis dans ce dictionnaire amoureux ce qui m'est venu à l'esprit, des choses qui m'avaient personnellement frappé, comme des recettes, des airs, des petites choses comme ça, spontanées, des bouffées révélatrices de la Grèce d'aujourd'hui.

Pourquoi amoureux? Parce que j'y ai mis seulement ce que j'aime…


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