François Cérésa par Arsenic, le 7 juin 2001

Fançois Cérésa est né à Cannes en 1953 et vit aujourd'hui à Paris. Il a écrit une dizaine de livres dont plusieurs ont été couronnés par des prix littéraires. On parle beaucoup pour l'instant de son dernier livre, "Cosette ou le temps des illusions", la suite des Misérables de Victor Hugo.


Quand on vous a proposé d’écrire la suite des Misérables, quelle a été votre réaction ?
C’est une réaction qu’on peut imaginer : " C'est pas pour moi ! ". Je ne suis pas un écrivain qui écrit des récits historiques. J’en ai écrit un seul, le dernier de mes livres, " les Trois Hussards ", et c’est sans doute à cause de celui-là qu’on m'a fait cette proposition. Mes autres livres étaient des romans, bien sûr, mais un peu autobiographiques, un peu mémorialistes, sur des choses qui n'avaient rien d’historique. Mais j'ai toujours été un passionné du XIXe siècle ; notamment, j’aime beaucoup Stendhal, j’ai adoré Alexandre Dumas quand j'étais jeune. Victor Hugo, j'ai beaucoup d'admiration pour lui, mais je n’aime pas tout. Ce que j’aime dans Victor Hugo, c'est qu’il est une sorte de tragédien grec, c’est-à-dire qu’il a crée des personnages qui maintenant appartiennent à la mythologie, ce sont des héros grecs ! Donc vraiment, quand on m’a proposé d’écrire la suite des Misérables, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Mais on m’a dit de bien réfléchir, alors. j’ai réfléchi et. vous voyez le résultat !

Qu'est-ce qui vous a fait changer d’avis ? Vous n’aviez pas un peu peur ?
Si on a peur, on ne fait rien. Moi, je n'ai pas eu peur. Bien sûr, il faut être un peu prétentieux. Pourtant, je ne suis pas trop prétentieux… Mais quand on aime quelque chose, on ne le fait pas trop mal ; on ne parle bien que de ce que l'on aime. Mais ça ne suffit pas. Il faut faire, derrière le travail de romancier, un travail presque d'historien, de documentaliste.

Vous avez dû faire beaucoup de recherches ?
J’ai lu une vingtaine de livres sur l’époque, sur le bagne, la monarchie de juillet, etc., qui ne sont pas toujours passionnants.

Il n’y a pas, chez vous, les " longueurs " (si j’ose dire !) qu'il y avait chez Victor Hugo, quand il décrivait, par exemple, pendant cinquante pages, la bataille de Waterloo…
Il n’y en a pas, parce qu'il n’était pas question de faire " à la manière de… ", de faire comme Victor Hugo. Il était question de faire comme moi j'ai toujours fait, c'est-à-dire avec un style un peu plus cursif, un peu plus rapide, et avec un peu moins de " pathos ". Le pathétique dans la littérature, je n’aime pas trop. Et aussi surtout, je suis incapable d'avoir de grandes envolées lyriques, comme Victor Hugo en avait, et qui étaient parfois fulgurantes. C'est quand même quelqu'un qui appartient au patrimoine, c’est un grand écrivain. Les Misérables sont un des livres les plus lus au monde. Il n'y a pas beaucoup de livres comme ça, qui ont cette importance. Peut-être plus à cause de ce qu’il véhicule : qu'est-ce que c’est les Misérables ? C'est un type qui est dans la merde, Jean Valjean, et qui tend la main à une petite fille, Cosette, qui est encore plus dans la merde que lui. Comment imaginer une image plus belle que celle-là ?

Quand vous avez lu pour la première fois les Misérables, et que vous l'avez refermé, est-ce que vous trouviez qu'il manquait quelque chose ? Est-ce que vous vous imaginiez une suite, déjà ? Est-ce que vous vous demandiez ce que devenaient les personnages ?
Quand j'ai lu les Misérables pour la première fois, j'avais 17 ans. Mais ce n'est pas le livre qui m’a marqué, c’est le film. Le premier film parlant qu’on en a fait, de Raymond Bernard, avec Harry Baur. Ce film suivait admirablement le livre, et en le voyant, on avait l'impression de lire les Misérables, donc c'était formidable. Et moi, comme je suis plus un enfant du cinéma que de la littérature, j'y ai été très sensible. J'avais 12 ans, mes parents n'avaient pas la télévision, parce qu'on n’avait pas beaucoup d'argent, et j’avais vu ce film un dimanche après-midi, chez mon grand-père. Et à la fin du film, j'étais très ému et bouleversé. Comment ne pas l’être ? Alors que Jean Valjean meurt abandonné de tous, même de Cosette et de Marius & même s'ils reviennent après, mais qu'il est trop tard & alors que Thénardier s'en va pour les Amériques, impuni, et que Javert se suicide un peu trop vite ? Donc oui, il y avait de petits " manques ", ce que je n'ai pas réalisé au moment où j'ai vu le film (j’étais très jeune), mais plus tard, en lisant le livre. En arrivant à la fin et en y réfléchissant, je me suis dit qu'on pourrait aussi imaginer une autre fin… Une fin qui soit moins dramatique, même si cette fin était voulue par Victor Hugo qui disait qu'il voulait une fin émouvante. Mais… mais qu'allaient devenir les personnages ? Marius a 23 ans, Cosette 18, la vie commençait pour eux. Qu’allaient-ils faire ? Vivre d'amour et d’eau fraîche ? C’était tout ?

On a écrit des suites à de nombreux romans très célèbres. Pourquoi pensez-vous que l’on fasse cela ? L’auteur n'en a pas écrit, donc c’est qu'il n’en voulait pas.
Oui, c'est une bonne question : pourquoi ? On n’a pas besoin de suite en fait. Sauf que ça participe d'un sentiment populaire qui est : " et si on prolongeait la vie des héros que l’on a aimés ? " C'est la réaction du lecteur qui est parfois frustré, non pas que ça se termine comme ça se termine, mais simplement frustré parce que ça se termine. Quand on aime un livre, on n’a pas envie qu'il se termine. On lit de plus en plus lentement en espérant qu’il ne se termine pas. ‚a, c’est la première raison, le sentiment populaire. La deuxième raison, c’est l’exercice littéraire. C'est-à-dire de me mettre au même niveau que Roger Nimier (d’Artagnan amoureux ou cinq ans avant) ou Jacques Laurent (qui a terminé Lamiel de Stendhal). C’est un peu le fait de se dire, tiens, moi aussi j’ai envie de m’amuser. Il y a un côté ludique, c’est un jeu littéraire agrémenté encore une fois d’une documentation sérieuse, sans quoi ce ne serait pas crédible. C'est donc ce qui m'a décidé en fin de compte : l'exercice littéraire. J’allais dire le défi, mais ce serait un peu prétentieux. Il y a un peu de ça, bien sûr, parce qu’il faut avoir les couilles de le faire ;-), mais ce n’est pas le principal.

C'est vrai que c’était quelque part un peu " osé " de donner une suite à un chef-d’Ïuvre. On a dû vous le dire souvent, d'ailleurs. La comparaison est inévitable, n’en aviez-vous pas un peu peur ou bien vous vous en fichiez complètement ?
Oh ! on ne s'en fiche pas, parce quand on a fait un gros travail, c’est désagréable d’entendre des ricanements. Il y a ceux qui disent avec mépris que ça ne ressemble pas à Hugo. Eh bien, pour moi, c’est un compliment. Je n’ai certainement pas envie que ça ressemble à du Hugo. Victor Hugo c’est Victor Hugo et François Cérésa c'est François Cérésa. D’ailleurs, sur la couverture, il est marqué Cérésa et pas Hugo…

De toute façon, je crois qu’en général, votre livre a été bien accueilli, non ?
On est toujours sensible un peu plus aux mauvaises, critiques, mais les trois quarts sont positives, c'est vrai. De toute façon, c'est le jeu, et le fait d’avoir accepté de faire ce livre m’exposait à ce genre de choses. Il aurait été naïf de croire le contraire. J’ai relevé le gant et maintenant, je dois assumer. Si ça ne marche pas, que le livre ne se vend pas, qu'on dit que ce n'est pas bien, eh bien, je me serai planté et puis c'est tout !

C'est une expérience, mais je ne la réitérerais pas. Comme je le disais, c’est un jeu, un exercice, et une fois que c'est terminé, on n'en parle plus.

Comment s'est passée, pratiquement, la réalisation du livre ? Vous avez vu le scénario se dérouler devant vous comme dans un film ou bien avez-vous dû réfléchir soigneusement à chaque étape ?
Vous l’avez dit : comme un film. Une des seules qualités que je peux avoir, c'est l'imagination. Je l'ai beaucoup cultivée dans mon enfance. Comme je n'avais pas beaucoup de jouets, j'ai été obligé de m’amuser avec ce qui me tombait sous la main et de me raconter des histoires. Et ça, c'est venu sur le tard, quand j'ai commencé à aller au cinéma. Quand j’ai découvert le cinéma. ah ! la vache ! ce fut un véritable émerveillement ! Je suis toujours resté un amoureux du cinéma.

Et le destin des personnages, il est aussi apparu clairement ?
Il fallait bien sûr respecter ce qu'ils étaient, leurs données psychologiques, physiques, chronologiques, etc. J’ai fait des fiches, véritable travail d’archiviste, de documentaliste. Mais une fois que j'ai eu tout ça, je savais ce que je voulais faire. Cela tient d’ailleurs en deux ou trois points.

Comme la résurrection de Javert.
Oui, je voulais ressusciter Javert et lui permettre de vivre la rédemption qu’il avait amorcée à la fin des Misérables. C’est ce que je répète tout le temps peut-être, mais je ne peux pas dire autre chose, c’est la vérité ! C’est aussi un type qui vient de rien, comme Jean Valjean. C'est une sorte de frère jumeau, il y en a un qui est le bien et un qui est le mal. Enfin, pas le mal, mais disons le devoir, la justice, sans se préoccuper des circonstances. Et puis un jour, il s'aperçoit que ce n'est pas comme ça, le doute se met en lui et d'un seul coup, tout s’effondre. Il aurait pu réagir d’une autre façon, mais comme il est absolu, il décide d'en finir avec la vie. Et moi, je le récupère ! Et le fait d'avoir raté son suicide, ça en fait un désenchanté, une sorte de mystique sans église. Et ensuite, cette capacité qu'il a de se mettre au service d’une cause, au lieu de la mettre au service de l’état, de la police, il va la mettre au service de Cosette. Il va se faire son défenseur, devenir, d’une certaine façon, pas le Jean Valjean bis, mais un personnage un peu lointain et présent en même temps, et grâce à lui, elle va éviter le pire.

Et justement, Cosette, elle n'est pas un peu… heu. ennuyeuse ?
Nunuche, gnangnan…

Oui ! Pourquoi ? À la fin des Misérables, on ne pouvait pas bien dire ce qu’elle allait devenir, mais elle aurait pu être différente, plus forte.
Il fallait quand même être fidèle à Victor Hugo, parce que j'hérite en réalité de personnages qui ont déjà une existence et un caractère propres. Et Cosette est une petite niaise qui a été gâtée, protégée par son père et préservée. Il la garde jalousement. Et les gens qui vivent ainsi ont cette sorte de caractère. Elle est dévorée par son amour pour Marius. Même si elle a vécu une expérience traumatisante avec les Thénardier (et, dans le deuxième volume, elle aura de nouveau affaire à eux…), tout cela est refoulé dans de lointains souvenirs d'enfance que Valjean est parvenu à lui faire surmonter. Elle est, et reste, une enfant surprotégée. Elle est prête à tout sacrifier pour son mari, mais cependant, quelques fois, elle lui dit qu’elle ne sera peut-être pas toujours là.

Pour moi, il était important que Cosette soit le personnage central du livre, mais sans qu’elle soit omniprésente et sans que ce soit le premier rôle. Mais d'une certaine façon, l'héritage de Jean Valjean, c'est elle. Elle aurait pu prendre un amant, mais elle ne le fait pas parce qu’elle est fidèle au souvenir de Jean Valjean.

Vous aimez, je crois, particulièrement le XIXe siècle. Pourquoi ce siècle ?
D’abord, c'est la fin de l'épopée napoléonienne. Là, il n’y a pas de place pour les lâches, pour les cauteleux, pour les madrés, les affairistes comme Thénardier. Après l'empire, j'aime un peu moins, parce que c’est moins épique, moins héroïque ; apparaissent des gens qui sont la troisième aristocratie. Après la noblesse traditionnelle et la noblesse d'empire, c'est la noblesse de l’argent. Ceux-là, j'ai moins de sympathie pour eux, parce que c'est la spéculation, etc. Il y a un aspect du romantisme de ce XIXe siècle passionnant, c’est qu'on peut faire des personnages comme Marius, ou comme Javert, qui tiennent face à cet assaut de médiocrité. On ne peut pas tout avoir avec l'argent, hé non !

Dans le XIXe siècle, j’aime les héros sombres, un peu ténébreux, comme Marius. Il est ténébreux, il se trompe. Mais on a le droit de se tromper dans la vie. A partir du moment où l’on récupère et où l’on fait la vie au lieu de se laisser faire.

Quels sont les auteurs contemporains que vous appréciez particulièrement ?
Céline, Marcel Aymé, Henri Calais, Antoine Blondain...

Qu'est-ce qui vous a amené à écrire un jour ?
Une femme… la première ! J'avais 19 ans, elle en avait 16 et demi, et je lui ai écrit des poésies ! J’aimais beaucoup Aragon et d’autres poètes, et mon premier livre, ce fut donc un recueil de poésies (la Fête océane). J'en ai écrit d'autres, mais celui-là, je l'ai édité, parce que je l’avais fait pour elle.

En écrivant de la poésie, j'ai eu envie de raconter des histoires dans lesquelles il pourrait y avoir des sentiments aussi forts que ceux qu’avait suscités chez moi cette jeune fille…

Je trouve cela très beau. Quelle chance elle a eue.


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