Joseph Joffo par Jules, le 2 mars 2001
J’en ai donc profité pour aborder notre entretien de façon plus vaste. J'allais bien voir s’il valait mieux faire machine arrière, ou s’il était disposé à me suivre. Je n'ai pas eu à me poser la question bien longtemps : il n’a pas hésité une seconde et quand je revenais au livre, il repartait vers le général, l’actuel. Après tout, c’est l’homme le plus intéressant. En ce qui concernait, le livre, je me débrouillerais bien seul pour en faire la critique !
Une question préliminaire : voudriez-vous me préciser quelle est la différence entre les Juifs Askenaze et les Sépharades ?
Je vous dirais que les Juifs Askenaze sont originaires de Russie, des Balkans, de Pologne et de l'ensemble du Nord de l'Europe. Les Juifs Sépharades viennent de Turquie, d'Afrique du Nord, d’Egypte, du Moyen-Orient et même d’Espagne. Il y a donc là un aspect géographique, mais il y a également l’une ou l'autre différence dans les rites. Je ne suis cependant pas assez religieux que pour pouvoir vous donner ces différences. Vous savez, je suis Juif de naissance, mais c'est une question que je ne me suis jamais fort posée. La région de Russie, dont ma famille est originaire, aurait vécu quelque chose que l’on pourrait qualifier de " hors du commun ". Son chef de l'époque, vers les années onze cents, aurait fait venir un prêtre orthodoxe, un Imam et un rabin. Il les aurait fait parler tous les trois et, après réflexion, il aurait décidé de choisir la religion juive pour son peuple. J'aurais donc pu être né chrétien ou musulman. Il se fait que je suis Juif, pas religieux, mais cette religion a un côté confortable : elle me semble être la mère des religions monothéistes, non ? Alors…
Dans votre livre, les Juifs orthodoxes refusent d’envisager la création d’un état juif en Palestine et donc d’aider ceux qui s'y sont installés.
Oui, parce que, selon eux, seul le Messie peut montrer à son peuple où est la terre sacrée. Comme ils ne voient pas le Messie en Erlz ou en Ben Gourion, ils ne peuvent pas accepter leurs positions. Pour eux ces gens violent les lois sacrées. Comme vous pouvez le constater aujourd’hui, ces mêmes juifs orthodoxes sont totalement intransigeants pour garder ce qu'ils avaient rejeté à l’époque.
J’ai découvert dans votre livre que les premiers Juifs installés en Palestine n’ont pas acheté leurs terrains aux Palestiniens, mais bien aux Turcs qui étaient des occupants. On peut mieux comprendre que ces Palestiniens ne se soient pas sentis tenus par ces ventes.
C’est vrai. Les Juifs ont payé à trois reprises leurs terrains. Une première fois à Massala, sous les Romains, par leur sang. Une deuxième fois en les payant en argent aux Turcs. Puis une troisième fois en les rachetant aux Palestiniens, et là au prix fort ! Il se fait que les Palestiniens n'avaient pas envisagé qu'ils allaient y rester !. Ils pensaient vendre, mais croyaient récupérer un jour.
Votre héros, Andreï, tente plutôt une voie moyenne avec les Palestiniens. Il n’est pas, comme Myscka, convaincu qu’ils ne comprennent que la force. Ce langage de Myscka est d’ailleurs très proche de celui de Sharon et des faucons d'aujourd'hui. Il choque…
Tout à fait ! Et d’ailleurs, dans mon livre, Myschka échoue. Vous savez, quand je suis en Israîl et que je suis choqué par la vue des soldats israéliens avec leurs mitraillettes au haut des miradors, mon chauffeur de taxi me dit " Je préfère être ici avec eux en haut, que d’y être avec des soldats palestiniens sur le mirador. " Vu comme çà, il ne peut qu’avoir raison, mais c'est un raisonnement un peu simpliste ! Discuter avec eux est très difficile, car ils vivent l'insécurité au jour le jour et une telle situation est très peu propice à une saine réflexion en profondeur. Se dire que la seule solution serait qu'il n’y ait plus de soldats du tout et plus de miradors, ils en sont incapables, cela leur paraît tellement utopique !. Pourtant il me semble que c’est la seule voie possible !
Et dans le contexte actuel, cela vous semble possible ? Ce serait étonnant, non ?… On ne peut pas vraiment dire que Sharon est l'homme idéal pour un tel scénario !…
C'est vrai !… Mais j’ai l'esprit de famille et je considère les Palestiniens comme mes cousins. Il faudra bien qu'un jour on s’arrange autrement qu'avec des fusils !. Je ne comprends pas comment les Palestiniens peuvent envoyer leurs enfants au casse-pipe comme ils le font, de la même manière que je suis bien souvent gêné du comportement des Israéliens. Des hommes comme Sadate, Begin et Luther King, pour d'autres raisons que celles qui nous occupent, ont été assassinés. Mais d'autres prendront le relais ! Je ne peux pas imaginer les choses autrement. Ils ont payé leur courage, leur ouverture d’esprit et leur réalisme de leur vie, mais ils ne sont pas les derniers hommes à avoir ces qualités, ou alors ce serait à désespérer de l'humanité. Un jour des hommes comme cela seront suivis !
Je ne peux que l'espérer et je crois que nous sommes nombreux dans ce cas. Pour un parti comme pour l’autre. Un jour un de mes amis juif me disait quelque chose qui m’a fort frappé : " Si Israîl venait à disparaître, je serais fort inquiet ! Même ici en Occident ".
Bien sûr, je le comprends. Tant qu’Isra‘l est là, aussi petit soit-il, je sais que, quoi qu'il arrive, je pourrai toujours me réfugier quelque part. Je serai accueilli.
Oui, mais n’est ce pas aussi une sécurité pour que rien n’arrive ailleurs dans le monde ? Personne ne peut malheureusement dire que l’antisémitisme a disparu. Tant qu'Israîl existe, il y a une autorité constituée, représentée à l’ONU, prête à intervenir en portant le problème devant les autorités internationales. Où qu'il puisse se passer ! Cela rassure, non ?
Oui, c'est un fait. Mais que valent ces autorités ? On a vu le temps qu’il a fallu pour qu'elles interviennent en Yougoslavie !…
Vous avez raison, mais elles ont fini par le faire.
C'est vrai. Elles ont le mérite d'exister et la présence de l'état d’Isra‘l aiderait fortement à faire bouger les choses. Il est exact que cette crainte des juifs est profondément ancrée en eux par des siècles de souffrances. Il faut pouvoir les comprendre, même si cela peut parfois paraître anachronique à certain. Il y a une chose qui me semble essentielle, fondamentale : qu’à l’école on cesse de distiller la haine aux petits palestiniens. Mais c'est tout aussi vrai pour le côté israélien. Les intégristes, d’un bord comme de l'autre, sont à blâmer et il faudrait arriver à casser leur engrenage. C’est eux qu'il faudrait arriver à faire taire !
J’ai suivi, il y a un an environ, à la télévision, un débat auquel assistait un professeur d'histoire de l'Université de Tel Aviv. Le professeur soulignait le danger des oppositions internes de la société israélienne. Les Askenaze devenant presque minoritaires et plus progressistes, les Sépharades majoritaires et plus conservateurs, les religieux de toutes tendances et les athées. L’entité pouvait être menacée par ces oppositions. Aujourd'hui, elles sont exacerbées par la situation. Quel est votre avis à ce sujet ?
Qu’il ne faut jamais oublier qu'Israîl est composé de populations venues de tous les coins du monde. Que des hiérarchies existaient déjà entre elles depuis bien longtemps. Elles étaient basées parfois sur l’origine, parfois sur l'instruction, parfois sur les moyens financiers, parfois sur l'aspect religieux ou non et sur d’autres choses plus subtiles encore. Ben Gourion a dit qu'Israîl deviendrait un véritable état le jour où il aurait toutes les catégories de populations qu'ont tous les autres peuples. Cela va des savants aux commerçants, des agriculteurs aux artistes, des professions libérales aux voleurs et aux criminels. C’est déjà une merveille d'être arrivé à créer une langue commune et moderne avec l’hébreux. Une démocratie vit malgré ces divergences. Elle n'est pas toujours évidente à faire évoluer, mais elle existe profondément. La France aussi a ses problèmes et sa diversité. La différence, c'est ce qui fait évoluer. L’intégrisme c'est l'exacerbation des différences. C'est une maladie et elle, elle est à combattre. D’où qu’elle vienne.
J’ai quitté Monsieur Joffo sur ces paroles et j’estime avoir passé un très bon moment. Un de ces moments privilégiés durant lequel quelqu’un d'ouvert et d'intelligent vous a parlé de choses qui touchent parce qu’elles abordent ce qu'il y a de profond dans l’homme.
