Christophe Lamoure par Agnes Figueras-Lenattier, le 16 décembre 2018

Professeur de philosophie, auteur de plusieurs livres dont " Petite philosophie du tennis", Christophe Lamour rêvait enfant de devenir champion de tennis. Puis grâce à l'aide d'un professeur de lettres, il n'a plus juré que par la philosophie. Une occasion de parler de ces deux mondes l'un physique, l'autre plus intellectuel et de les comparer. Un petit détour sur la marche est également présent dans cet entretien...

Vous avez écrit " 365 petits bonheurs philsophiques" et " Lettres à un jeune philosophe". Pourriez-vous déjà nous parler du premier livre!

365 petits bonheurs philosophiques" est le premier livre que j'ai fait aux Editions Milan. C'est un recueil de 366 citations, une par jour avec un petit texte de conclusion où je présente l'idée d'une philosophie au quotidien en relation avec ces citations qui constituent une approche par éclair de la pensée. Chaque fois que je trouve une citation qui me plaît, je la note sur un petit carnet. J'aime bien cette manière de s'exprimer. La philosophie selon moi n'est pas simplement une forme de pensée exceptionnelle à laquelle on a recours lors de circonstances elles-mêmes exceptionnelles. Elle est là pour développer notre réflexion au jour le jour à partir d'expériences quotidiennes. Je parle d'une philosophie de la semaine opposée à une philosophie du dimanche, cette dernière étant pratiquée uniquement par certains individus intéressés par des problèmes un peu abstraits et difficiles

Vous souhaitez que la philosophie soit davantage ouverte à tous!

Oui. Il y a une formule de Diderot que j'aime beaucoup " Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire". Je ne suis pas sûr qu'elle soit populaire au sens où il l'entendait c'est à dire que chacun puisse s'en saisir sans être effrayé ou intimidé par des textes ou un vocabulaire ésotérique.

En quoi consiste " Lettres à un jeune philosophe"?

Ce livre englobe au sens littéral du terme une suite de lettres que j'adresse à quelqu'un qui serait curieux de philosophie. Pas nécessairement d'ailleurs de manière enthousiaste, mais qui se demanderait ce que représente le continent philosophique, comment on y accède et ce que l'on y trouve. Dans cet ouvrage, je me propose comme on envoie une carte postale depuis un pays étranger d'envoyer des lettres depuis le pays de la philosophie en racontant mes trouvailles. Les plaisirs et les expériences que l'on peut en dégager, avec parfois les déceptions qui peuvent joncher ce parcours. De temps en temps, le ton est un petit peu humoristique. J'ai aussi imaginé alors que Socrate n'a rien écrit que l'on avait retrouvé des lettres de lui et qu'elles étaient publiées ici. J'ai introduit une notion ludique pour désamorcer l'idée que la philosophie est quelque chose de forcément austère et grave. Il peut aussi y avoir du jeu dans la philosophie.

Avant de vous passionner pour la philosophie, vous ne juriez que par le tennis et vous avez d'ailleurs écrit "Petite philosophie du tennis". Vous n'aimiez ni l'école, ni lire. Quel a été le déclic qui a fait de vous un philosophe et un amoureux des livres?

Je n'aimais pas l'école qui représentait pour moi un univers fermé et une forme d'immobilité, de passivité au moins sur le plan physique. Les deux choses que j'appréciais c'était la récréation et les cours de sport. Enfin, on pouvait bouger. Avec le tennis au contraire, j'étais à l'air libre avec le corps au cœur de l'affaire. Des règles existaient bien sûr, mais malgré les limites du court, je pouvais donner libre cours à une certaine forme de créativité lors des échanges. Cela m'enthousiasmait et depuis l'âge de 9 ans jusqu'à 17 ans, le centre de gravité de ma vie c'était ce sport. Jusqu'au jour où à 16 ans, en 1ère j'ai eu une révélation grâce à un professeur de lettres qui m'a littéralement fasciné. On a travaillé des textes de Montaigne, Lévi-Strauss, Diderot qui jusque là ne m'avaient jamais vraiment captivé. Or ce professeur, nous a présenté la lecture comme un dialogue qui se déroulait avec l'auteur et cette façon d'enseigner a produit en moi un déclic. Pour la première fois, j'ai eu la sensation que ces auteurs me parlaient à moi, que je pouvais entrer avec eux dans une sorte de dialogue à travers un art de lecture. A partir de ce moment là, j'ai commencé à explorer cet univers d'abord timidement car le monde des livres, des idées est intimidant quand on ne l'a jamais exploré. Puis petit à petit, je suis allé de découverte en découverte et d'éblouissement en éblouissement et cet univers ne m'a plus quitté. La passion tennistique a reflué au fur et à mesure que la passion du monde des livres augmentait. La philosophie s'est mise à occuper mes journées, ma pensée de façon quasi exclusive. C'est peut-être un peu extrême, mais c'est mon mode de fonctionnement.

Vous vous sentiez dans le monde de la philosophie comme vous vous sentiez sur un court!

Oui, je me sentais aussi libre et pour moi les deux incarnent l'expérience d'une forme de liberté. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les contraintes n'existent pas. Mais la liberté de penser est au cœur même de l'entreprise philosophique avec le fait de penser par soi-même. Le tennis est évidemment moins intellectuel, mais c'était la liberté d'être moi-même. A l'école par exemple, je n'avais pas cette impression. On me demandait des choses qui ne m'intéressaient pas, que je ne voulais pas faire, ou que je ne me sentais pas capable de réaliser. J'étais donc contraint de porter des masques et de jouer à l'élève intéressé.

Votre expérience en tant que joueur de tennis et en tant que philosophe vous a amené à écrire " Petite philosophie du tennis". Quels sont pour vous les points communs? On peut déjà parler d'un dialogue pour les deux !

Oui, dans les deux cas c'est un dialogue qui comprend plusieurs dimensions. Un partenaire dans le cas du tennis, et un auteur que l'on lit dans le cas de la littérature ou de la philosophie. Un dialogue en compagnie du réel s'établit à travers eux. On expérimente un tas de choses, et on dialogue aussi avec soi-même. On a affaire à soi dans le rapport avec un texte, avec un partenaire de tennis. On découvre sa propre identité dans cet échange. Pour moi, c'est très lié et c'est un peu ce que j'ai essayé d'explorer dans ce livre tout en me demandant ce que j'ai appris au sein de ces deux mondes.

C'est à dire?

Le tennis ne m'a pas appris seulement des gestes et l'accomplissement d'un certain nombre de performances. Il m'a aussi donné une bonne notion du réel, des autres et de moi-même. Que nous apprend le tennis et le sport en général? Que la dimension du réel est une dimension irréductible. J'ai des désirs, des rêves, éventuellement des fantasmes, et dans l'univers du sport j'observe si ces désirs, ces ambitions sont réalistes ou contraire prématurées, voire irréalisables. A un moment donné, je rêvais d'être champion de tennis et je me suis rendu compte que c'était illusoire. J'avais un certain nombre d'ambitions et j'ai réalisé ce qu'il était possible de faire selon mes propres moyens. Je réussissais des choses intéressantes comme la qualification pour les championnats de France minimes, mais je me rendais bien qu'un compte qu'il existait un palier que je ne pouvais franchir. Donc avec cette expérience sportive, on est peut-être moins tenté de se raconter des histoires, on tient compte du réel de manière plus lucide. Les stoïciens disent qu'il faut distinguer ce qui dépend de soi et ce qui n'en dépend pas et dans le sport on l'éprouve très clairement.

Il faut effectivement prendre en compte un certain nombre de paramètres!

Je me rappelle par exemple une compétition à Fos- sur-Mer avec un vent très fort. Le temps ne dépendait pas de moi, et j'avais beau râler, pester, il fallait que je compose pour dans ce contexte arriver à jouer le mieux possible. Ce sont des événements très banals mais la plupart du temps, la vie est constitué d'épisodes de cet ordre là. Les grands événements traversant la vie sont relativement rares. Banal ne signifie pas pour autant insignifiant, ou sans intensité. Au cours d' un match très disputé, il se passe beaucoup de choses. Sur le plan du plaisir, des doutes qui nous traversent, ou de la joie qui nous transporte lorsque tout nous réussit, lorsque tout semble facile… Une partie de tennis est un événement relativement ordinaire mais ce que l'on y vit est marqué d'une intensité très particulière.

Il existe une remise en question que l'on trouve aussi en philosophie!

En philosophie, elle constitue le point de départ. On dit souvent qu'en philosophie, l'origine est l'étonnement dans le sens où l'on discerne des particularités, où l'on fait des expériences dont on ne comprend pas la signification. L'on est déstabilisé, et éventuellement l'on doute. On avait au départ un ensemble de certitudes et l'on constate que celles-ci ne tiennent pas l'épreuve du réel. Donc, on doute ce qui représente le moteur de la réflexion. Si je ne doutais de rien, je n'aurais évidemment pas besoin de réfléchir. Là aussi, il règne le même processus qui paraît dynamique, c'est à dire engagé dans un devenir, dans une évolution. De ce point de vue là, un parallèle peut être fait. Le tennis il me semble, engendre une foule de réflexions intérieures, de doutes extraordinaires. C'est un des sports où on peut le moins se reposer sur des certitudes.

Les nerfs sont souvent soumis à rude épreuve! Le résultat se joue parfois à rien. Un faux-rebond, une erreur d'arbitrage sur un point très important…!

Oui, et cela est moins flagrant dans les autres sports. Il arrive que lors d'un match un joueur domine de la tête et des épaules et finalement suite à des événements vraiment anodins, la partie bascule totalement. C'est d'ailleurs un des aspects fascinants du tennis et qui explique la passion qui entoure ce sport

Sur un court, il existe des joueurs qui jouent plus ou moins intelligemment, qui attaquent ou au contraire qui renvoient. En philosophie, on peut aussi trouver des philosophes nantis de styles très différents et qui s'expriment de manière plus ou moins habile!

Effectivement on peut aussi faire ce parallèle et le terme qui m'a semblé convenir c'est le terme de style. Platon écrit des dialogues, c'est très littéraire et l'on y trouve une part d'humour. Certains auteurs sont beaucoup plus austères et techniques, d'autres privilégient la forme courte, ou la forme ample, ou se servent davantage du côté intuitif avec des formules fulgurantes qui surgissent au détour d'un texte. On trouve aussi le mode démonstratif. Cette variété s'applique aussi bien à l'univers du tennis qu'à l'univers de la philosophie. En tennis, avec la manière d'aborder un match, de le vivre et en philosophie avec le style d'écriture et la forme de pensée qu'elle évoque. Ceci pour dire qu'il existe des formes de pensées très offensives, créatives et des formes de pensées défensives dans le sens où la pensée se tient près du réel, et ne se montre pas nécessairement inventive mais plutôt analytique. On ne dialogue pas de la même manière avec un joueur qui vous " agresse" qu'on ne dialogue avec un joueur de fond de court. On ne dialogue pas de la même manière avec un auteur comme Platon qui nous invite à un dialogue comprenant une part de plaisir et de jeu qu'avec un auteur comme Hegel qui écrit des textes massifs et un peu ésotérique. Ou avec Nietzsche dont le style est fulgurant et très original.

Et les femmes? `

Evidemment dans l'univers de la philosophie, les femmes ont été longtemps tenues à l'écart pour la simple raison qu'elles n'avaient pas accès à la formation que suppose la pratique de la philosophie. Depuis que les choses ont heureusement évolué deux des plus grands philosophes du XXè siècle sont à mon sens des femmes : Hannah Arendt la philosophe allemande dont l'œuvre est vraiment géniale et la française Simone Weil avec une pensée également très puissante. Il a fallu que la philosophie se décloisonne ou que les mentalités évoluent pour qu'elles puissent révéler leur génie dans ce domaine là. En tennis, les joueurs et joueuses n'ont peut-être pas été traités de la même manière pendant longtemps, mais à présent il me semble que c'est presque égal côté rémunération. Je me souviens quand j'étais jeune, de deux joueuses Evert et Navratilova. Elles ont fait preuve du même talent que les hommes. Aujourd'hui, je prends souvent plaisir à regarder les matches féminins. Les points sont construits, le dialogue riche, nourri, varié et parfois plus passionnant que les matches entre hommes où le dialogue parfois très abrégé allié à la puissance masculine est par moment un peu lassant.

Vous qui assimilez les joueurs de tennis à des philosophes à quelle joueuse assimileriez-vous Hannah Arendt?

Difficile, je n'y ai jamais pensé. (Il réfléchit assez longuement). C'est une pensée offensive sans aucun doute, donc plutôt une attaquante. Elle a suscité la polémique. C'était une femme très courageuse, très audacieuse, très vivante aussi, une femme de plaisir et sensuelle. Elle me fait penser à Martina Navratilova avec cette audace, ce jeu d'attaque et puis aussi dans le parcours. Navratilova a fait des choix difficiles, et a quitté son pays d'origine. HAnnah Arendt dans un contexte beaucoup plus tragique a été pourchassé par les nazis et a du se réfugier aux Etats-Unis où elle a fait ensuite carrière. Je ferais donc ce parallèle.

Et Simone Weil?

C'est une jusqu'au boutiste, une femme de passion, radicale, très éprise de pureté, d'absolu. Il y a une joueuse, évidemment mes références ne sont pas très récentes que j'aimais beaucoup, c'est Hana Mandlikova. Elle avait une sorte de grâce dans son jeu qui me plaisait énormément. C'était une joueuse fascinante que je pourrais comparer à Simone Weil. Le livre le plus célèbre de cette dernière est un livre de citations intitulé " La pesanteur et la grâce". A partir de cette notion de grâce, je ferai le lien entre les deux femmes.

Le tennis est révélateur du caractère du joueur. Et en philosophie peut-on cerner la personnalité d'un philosophe d'après ses écrits?

Je pense qu'il existe une unité de la personne qui implique que l'on peut trouver des aspects très différents dans une personnalité. Des lignes de force sont présentes et ce qui constitue le style littéraire ou tennistique révèle quelque de très profond de la personnalité. . Cela révèle une manière d'être, de se tenir au monde, d'évoluer, d'agir. J'en suis convaincu. De la même façon que certains joueurs sont retors et s'accrochent coûte que coûte ce qui reflète aussi une partie intime de l'individu et sa façon d'être sur ses rapports avec les autres. Au fur et à mesure des matches et des compétitions, on rencontre des gens très différents aussi bien dans la manière de jouer que dans la manière de se comporter sur le court. Par exemple des joueurs qui essaient de déstabiliser l'autre, ou trichent.

En philosophie peut-on aussi tricher?

Oui je pense car on peut tricher avec le langage. On peut bluffer, de la même manière qu'il existe des joueurs qui bluffent sur le terrain. Il me semble cela dit que les chez les grands champions, la part du bluff est très réduite, sinon ils ne seraient pas là où ils sont. Chez les grands philosophes, le bluff est également assez rare. Mais pour les joueurs ordinaires et ceux qui s'intéressent à la philo sans être de grands auteurs, la possibilité de bluffer est réelle.

En tennis, il y a des adversaires que l'on aime bien jouer et au contraire des " bêtes noires". En philo, on doit ressentir la même chose avec les penseurs?

Absolument; c'est très frappant. On rencontre un adversaire, mais on rencontre aussi un livre, un texte, avec des rencontres qui se passent bien, et d'autres moins bien et c'est vrai dans la vie de façon générale. Il existe des textes avec lesquels ça ne passe pas. Des textes qui vous restent obscurs, fermés et hermétiques et l'on n'arrive pas à rentrer en dialogue avec l'auteur. Quelque chose fait barrage, l'écriture nous est hostile. Et puis d'autres au contraire nous inspirent. Dans ce cas là, le dialogue n'aboutit d'ailleurs pas forcément à un accord avec l'auteur, mais on a plaisir à échanger avec lui. Il vous stimule, de la même manière que l'on peut être confronté au tennis à un adversaire qui paraît coriace et éventuellement plus fort que nous et avec qui on prend plaisir à jouer un match car il nous fait progresser. Alors qu'un adversaire plus à notre portée permet de triompher mais pas de progresser. C'est la même chose avec les textes. Certains écrits nous résistent, mais nous intéressent, nous stimulent car ils nous intriguent, et l'on a envie d'aller plus en avant. D'autres nous semblent être comme une porte fermée et l'on a beau essayer d'introduire telle ou telle clé, rien n'y fait. Platon par exemple m'a captivé d'entrée alors que Spinoza pendant un bon moment m'est resté complètement étranger. A la limite, je ne comprenais pas de quoi il parlait. Un déclic s'est finalement mis en place mais il y a certains auteurs pour qui le blocage est toujours là. Il faut un intermédiaire pour y remédier.

Sur un court de tennis on peut parfois en arriver à une perte de lucidité sur la tactique à adopter et ne plus s'amuser à cause de la saturation. Cela peut sans doute arriver aussi en lisant!

Cela peut arriver même si l'exercice philosophique suppose que l'on soit lucide puisque c'est à priori un travail de réflexion. Les joueurs semblent le dire, ils en ont parfois marre, ils ne peuvent plus, ils n'ont plus de distance. C'est un peu la dimension de l'excès et il faut arriver un trouver un équilibre entre une pratique assidue destinée à arriver à un niveau intéressant et en même temps savoir doser pour ne pas perdre ses moyens.

Vous avez aussi écrit " Petite philosophie du marcheur". Quelles sont les différences entre jouer au tennis et marcher?

A la différence du tennis, on peut marcher et penser en même temps. Parfois, il existe même un accord entre les deux, et tout en marchant, l'on réfléchit à un certain nombre de choses. Se met alors en place comme une espèce d'adéquation entre le rythme du corps, la marche à une vitesse modérée et le rythme de la pensée. Une sorte d'osmose entre le corps et l'esprit fait naître un état propice à penser. Des problèmes pas toujours philosophiques mais survenant dans la vie de tous les jours se délient au fur et à mesure de la marche, et on les envisage d'un point de vue différent que celui que l'on avait auparavant. Un déblocage s'amorce.

Le fait que ce soit une activité lente doit jouer!

Oui la lenteur imposée par la marche permet d'en tirer de grands bénéfices. On fait une marche d'une heure et le corps s'en trouve bien. Une sorte de bien-être s'ensuit. L'esprit se met au diapason du corps, ce qui engendre une forme de sérénité qui favorise l'exercice de la pensée.

Nietzsche a d'ailleurs dit que les plus belles pensées se font en marchant!

Oui et l'on trouve de très grands marcheurs chez les philosophes. Nietzsche effectivement, Kant philosophe allemand du XVIIIè siècle qui faisait sa promenade tous les jours, Rousseau dont les pages sur la marche sont les plus belles que j'ai lues. Il associe cette activité à une forme de liberté incroyable. Contrairement à la voiture, lorsque l'on marche, on peut aller pratiquement partout. Cioran aussi marchait beaucoup, mais la nuit. Cela me semble une expérience très intéressante de découvrir à pied la ville la nuit et de voir l'envers du décor. Une autre dimension d'une existence très fascinante s'ouvre à soi, avec aussi l'occasion de rencontrer des profils de personnes différentes de celles du jour. Les individus ont un autre rapport au temps, un rapport moins acéré. Cioran a également écrit de magnifiques pages et c'est un écrivain hors pair.

Il y avait aussi les péripatéticiens!

Oui si l'on remonte à l'Antiquité. C'était une pratique assez répandue que d'enseigner en marchant. Celui qui a porté cette méthode à son degré le plus haut, c'est Aristote, ce qui lui a valu le nom de péripatéticien qui en grec veut dire " celui qui marche autour de". Il se promenait dans un jardin suivi de ses disciples et de ses élèves. L'alliance de la marche et de la pensée était manifeste. Dans un autre registre, Platon parlait de l'importance de la musique et de la gymnastique au sein de l'éducation et était lui-même un lutteur redoutable. D'ailleurs Platon veut dire " l'homme aux larges épaules"…

D'où l'expression "un esprit sain dans un corps sain"!

Exactement. A cette époque là, on ne laissait pas le corps de côté et l'on essayait de mettre en place un mode de vie permettant à l'individu de s'épanouir plus pleinement à la fois en tant que corps et esprit.

Dans cette " petite philosophie du marcheur" qu'avez-vous voulu démontrer?

Ce qui m'intéressait c'était d'évoquer ce que disaient les philosophes sur la marche. Je me suis demandé quel était le lien entre la marche et la philosophie. Ensuite, j'ai essayé de développer toute une série de considérations en particulier sur la lenteur et la vertu qu'elle pouvait représenter dans un monde plutôt attiré par la vitesse. Puis j'ai évoqué ce que la marche avait représenté dans la vie de ces nombreux philosophes.

Pour finir, existe t-il beaucoup de philosophes attirés par le tennis?

Le livre " Petite philosophe du tennis " m'a valu contrairement aux autres un important courrier des lecteurs par l'intermédiaire de mon éditeur. J'ai pu me rendre compte que de nombreux philosophes étaient des joueurs de tennis. Certains à un niveau modeste, d'autres à un stade plus élaboré. Raymond Aron par exemple était un passionné de ce sport, et il en parle dans ses mémoires. Philippe Mengue est très bien classé. J'ai eu aussi l'occasion de rencontrer Marc Jimenez qui m'a félicité pour mon livre et Heinz Wisman un grand philosophe qui m'a avoué être fan de tennis. . André Scala un universitaire a rédigé il n'y a pas si longtemps un livre sur Federer. A l'époque, une idée m'avait traversé l'esprit c'était d'organiser une rencontre sur la côte basque pendant deux jours avec des philosophes qui évoqueraient le tennis. Ceci d'autant plus que dans cette région se trouvent Amélie Mauresmo et Nathalie Tauziat. Cette éventualité fait partie de mes rêves…

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