Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy

Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cuné, le 12 juin 2004 (Inscrite le 16 février 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 322ème position).
Visites : 12 138  (depuis Novembre 2007)

"à la française"

C'est donc le tout premier roman que Gabrielle Roy ait écrit. , il a été publié pour la première fois durant l'été 1945, elle l'a donc écrit en plein dans la guerre.
Et ça ressort dans son écriture !
Ce livre est assez désespéré. C'est une approche de la grande pauvreté dans un quartier de Montréal, et la guerre est présente de bien des façons.

On suit le destin de plusieurs personnages très différents, chacun cherchant son bonheur de diverses manières, aucun n'est parfait, aucun n'est pourri, tous sont humains mais tous se fourvoient.

Florentine débute le livre, c'est la fille de Rose-Anna et Azarius, elle fait serveuse et son salaire passe entier à faire vivre sa famille. Elle s'éprend de Jean, qui répond plus ou moins à son amour mais s'en défend. Lui, il veut s'élever dans la société, il a sa revanche à prendre sur une jeunesse où il a été nié, bien que matériellement hors de soucis. Son ami Emmanuel lui est un être pur. Il a côtoyé ce milieu d'enfants d'ouvriers à l'école primaire, puis s'en est éloigné, ses parents étant plus aisés. Mais il n'a aucun préjugé, et devenu soldat, il ressent le besoin de les revoir à nouveau. D'ailleurs ils ne sont que 2 enfants dans la famille, mais chez lui le climat est triste, lourd. Rose-Anna n'en peut plus. Grossesse sur grossesse, elle porte sa famille à bout de bras et s'use pour assurer un minimum de quotidien à chacun. Et ce n'est pas suffisant. La famille a faim, est fatiguée, est négligée. Elle en oublie l'affection et même, elle se perd dans tous ces problèmes.
Et il se passe beaucoup de choses pour tous ! Leurs histoires sont liées.

Oui, c'est vraiment un livre dur. Il en ressort beaucoup de choses.
Quant à dire que l'approche en est féminine, je ne sais pas trop. Les femmes y portent un peu à bout de bras le côté raisonnable, sans elle tout se déferait dans le chaos... mais en même temps elles sont engluées dans le pratique, et la théorie, la pensée, les grandes idées sont développées du côté masculin. Rose-Anna par exemple tout au long du livre ne fait que saisir instinctivement et subrepticement les vérités profondes, sans mener de réflexion. Alors que Azarius est un champion d'éloquence, il en impressionne même Emmanuel. Il comprend beaucoup de choses, mais est incapable de se prendre en main pour faire les choses.
En conclusion, je dirais qu'il manque la toute petite lueur d'espoir.

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Les éditions

  • Bonheur d'occasion [Texte imprimé], roman Gabrielle Roy
    de Roy, Gabrielle
    Boréal / Boréal compact
    ISBN : 9782890525757 ; 11,00 € ; 01/11/1976 ; 413 p. ; Broché
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Vie de misère, vie humaine?

10 étoiles

Critique de DomPerro (, Inscrit le 4 juillet 2006, - ans) - 6 janvier 2014

Avec beaucoup de finesse, Gabrielle Roy semble avoir saisi l’esprit même du quartier populaire de Saint-Henri des années 1940, à un niveau si élevé de précision que le lecteur d’aujourd’hui peut croire – à tort – qu’elle y passé sa jeunesse. Or, comme nous le rappelle Corail dans sa critique, cette grande écrivaine, originaire de Sainte-Boniface, au Manitoba, s’installe à Montréal, après un séjour en Europe, seulement six ans avant la publication de Bonheur d’occasion, qui recevra plusieurs distinctions, notamment le Prix du Gouvernement général du Canada en 1947.

Personnellement, c’est avant tout l’écriture parfaitement travaillée de ce premier roman de Gabrielle Roy qui m’a séduit. Pour les jeunes romanciers en devenir d’aujourd’hui, lire Bonheur d’occasion est aussi enrichissant que suivre une classe de maître, une véritable leçon littéraire sur l’art de bien construire une histoire et ses multiples intrigues où s’entremêlent plusieurs personnages.

D’ailleurs, le chapitre X, dans lequel Florentine rencontre Emmanuel et sa famille illustre très bien cette maîtrise de Gabrielle Roy sur les mots; autant la description détaillée et vivante de tous les personnages, même ceux un peu secondaires, que la psychologie de Florentine m’apparaissent en équilibre, en accord et, surtout, toutes en nuances.

Au premier regard, certains lecteurs pourraient reprocher cette approche classique et réaliste de l’histoire, mais ici et là, Gabrielle Roy pointe notre attention sur des impressions sensorielles bien senties ou quelques détails, notamment visuels, comme dans l'exemple suivant : ''Au-dessus des toits planait une écharpe d’un bleu dilué qui tranchait sur la voûte encore sombre du ciel. Les étoiles reculaient.''

Ces attentions portées aux effets poétiques, disons-le comme ça, viennent ponctuer régulièrement les pages de Bonheur d’occasion.

Un autre moment fort est celui de la rencontre entre Rose-Anna et madame Laplante, sa vieille mère, dans son abondante vallée du Richelieu, qui avec sa voix pointue, sans émotion, avec ses conseils froids et sa manière sèche met en relief toute la distance et l’absence de communication qu'il y a entre elle et Rose-Anna. Jamais malaise n’aura été si bien décrit entre deux générations de mères et leurs styles de vie éloignés (milieu rural et milieu urbain).

Mais Bonheur d’occasion n’est pas seulement de jolis mots alignés; c’est aussi une universalité des thèmes explorés, par exemple, la famille, la guerre, l’amour, les classes sociales et leurs inégalités, la jeunesse, la misère ou la mort, comme en témoigne ce passage très beau : ''Du Mont-royal, s’allongeant jusqu’au-dessus de Saint-Henri, elle ne connaissait que l’oratoire Saint-Joseph et le cimetière où les gens d’en bas vont comme ceux d’en haut mettre leurs morts en terre. Et voici que dans la maladie les enfants des bas quartiers venaient aussi habiter cette montagne ouverte au flot salubre et protégée de la fumée, de la suie et du halètement des usines qui, dans les tristes creux, s’épandent autour des maisons basses comme une grande haleine de bête, tendue au travail.''

Sans trop développer, pour ne pas dévoiler des intrigues au futur lecteur de Bonheur d'occasion, je dirai seulement que Rose-Anna est, pour moi, la figure centrale et tragique du roman. À elle seule, elle incarne la dépossession la plus désolante...

La guerre... la misère... sont résumées ici dans quelques pensées de Rose-Anna, véritable sismographe de la faillite de l'humanité :

''Elle les connaissait bien soudain, toutes ces femmes des pays lointains, qu’elles fussent polonaises, norvégiennes ou tchèques ou slovaques. C’étaient des femmes comme elle. Des femmes du peuple. Des besogneuses. De celles qui, depuis des siècles, voyaient partir leurs maris et leurs enfants. Une époque passait, une autre venait; et c’était toujours la même chose : les femmes de tous les temps agitaient la main ou pleuraient dans leur fichu, et les hommes défilaient.''

Merci à Gabrielle Roy pour sa leçon de littérature.

Et merci aussi à Rose-Anna pour sa grande leçon de courage!

Réalité socio-économique d'un milieu défavorisé

8 étoiles

Critique de Saumar (Montréal, Inscrite le 15 août 2009, 90 ans) - 20 février 2011

L’auteure nous présente, la réalité socio-économique, dans le quartier pauvre de Saint-Henri, en hiver 1940, et ce, pendant la Seconde Guerre mondiale alors que le Québec souffre encore de la grande dépression. Florentine Lacasse, une jeune femme de 19 ans qui aide ses parents à subsister en travaillant comme serveuse au restaurant du « Quinze Cents » et qui rêve d'une vie meilleure, tombe amoureuse de Jean Lévesque. Après quelques rencontres, elle le reçoit chez elle alors que sa famille est à la cabane à sucre, chez les parents de Rose-Anna, dans le Richelieu. Lassé rapidement de cette relation, Jean Lévesque lui présente un ami, Emmanuel Létourneau, un soldat en permission, qui tombe amoureux de Florentine. L’attirance pour Jean aura d'importantes conséquences sur sa vie. l'histoire nous parle aussi de Rose-Anna et Azarius, les parents de Florentine. Le livre dresse un portrait de ces gens défavorisés, et de la condition féminine, de cette époque, que l’auteure dénonce.

D’une écriture sobre et douce, on distingue deux niveaux de langue : littéraire, écrite de l’auteur et la langue populaire, parlée des personnages. Tout au long du roman, on constate des contrastes frappants qui rendent l’histoire intéressante et véridique. D’abord, Florentine représente la lutte et Rose-Anna, la résignation. R.A. réaliste et Azarius, rêveur. Saint-Henri et Westmount : la pauvreté/la richesse. La raison pour Jean Lévesque d’aller à la guerre est d’éviter le chômage tout en pouvant gravir les échelons sociaux; tandis que l’idéaliste Emmanuel veut détruire la guerre. De cette guerre arrivent toutes les intrigues: elle est destructrice, pour les hommes forcés de s’enrôler dû à la conscription, en séparant la famille. Pour d’autres, la guerre devient salvatrice, c’est le cas d’Azarius et de son fils Eugène, car les pensions que recevront Florentine et Rose-Anna, rendront possible de prendre un logement plus salubre et de se sortir de la misère. Véritable époque de transition, propice au réalisme. Le départ précipité de Manuel pour la guerre, permettra à Florentine de se marier, en hâte, pour dissimuler sa grossesse non désirée. Tout est réussi dans ce roman, si bien qu’on en oublie les quelques longueurs. Bonheur d’occasion est le premier roman à sujet urbain et montréalais. Pour nous, Québécois, c’est un chef d’oeuvre que l’on considère comme celui de la famille Plouffe de Roger Lemelin et le roman du terroir, le Survenant, de Germaine Guèvremont.

Le Montréal des petites gens

8 étoiles

Critique de Corail (Ottawa, Inscrite le 8 mars 2008, 63 ans) - 29 mars 2008

Bonheur d’occasion

par

Gabrielle Roy



Le Montréal des petites gens

La vie, la religion, le monde et surtout la guerre vus par les petites gens du Montréal des années 40 ; voilà le fil qu’on ne fait que pressentir d’abord mais qui se précise à travers l’histoire romantique et banale de Florentine et à travers celle de sa mère, Rose-Anna, tout aussi quelconque et tout aussi facile à oublier.

Ces petites gens qui ne peuvent porter un regard sur le monde qu’en fonction de leur propre vie avec ses petites misères :

« Étaient-ce là les chômeurs d’hier ? Étaient-ce là les petits gars qu’il avait vus sans ressort, misérablement soumis, et découragés jusqu’à la moelle de leur corps ? Était-ce là Pitou, le musicien, qui avait trompé les années d’oisiveté avec les chants de sa guitare ? (...) Ainsi donc le salut leur était venu dans le faubourg ! Le salut par la guerre ! (p.397) »

Et encore :

« Parfois elle éprouvait encore cependant comme un saisissement à la pensée de cet argent qui leur serait donné à elles, les femmes, pendant qui les hommes risqueraient leur vie ; et puis, n’aimant pas ces réflexions, elle recommençait ses calculs ; elle se trouvait riche, elle se proposait d’acheter ceci et cela, elle se réjouissait au fond de la tournure des événements, car sans la guerre où seraient-ils tous ? (p.404) »

Cette vision qui s’accentue de plus en plus fermement alors que progresse la lecture plaît énormément, le lecteur découvrant petit à petit l’intelligence et la clairvoyance de l’auteur bien qu’à prime abord, le style semble un peu forcé : excès de descriptions des gestes quotidiens ; excès d’analyses et d’imagerie des états d’âme des personnages ; excès de monologues intérieurs. Tout compte fait, ce style ultra minutieux du début nous permet de voir ou mieux encore, de sentir l’extrême étroitesse de la réalité de ces pauvres gens.

Comment Gabrielle Roy, une Manitobaine qui ne s’est installée à Montréal qu’en 1939 et qui n’a publié “Bonheur d’occasion” qu’en 1945 a-t-elle pu se couler avec autant de doigté dans cet “univers” qui n’était pas le sien ? Elle aura sans aucun doute été bénie de la touche des grands écrivains.

La Famille urbaine du Québec

9 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 20 février 2005

Roger Lemelin et Gabrielle Roy sont deux écrivains qui ont amorcé un courant littéraire urbain. Avant eux, la littérature se limitait à la paysannerie puisque les dirigeants politiques et religieux rappelaient continuellement à leurs ouailles que la société québécoise se devait d'être française, catholique, prolifique et rurale. Hors de ce circuit, point de salut. La ville entraînerait la perte de l'âme et du corps du malheureux qui s'y aventurerait. Clément Marchand dans Les Soirs rouges déplorait amèrement l'exode des campagnards vers la ville, ce lieu de perdition et de fatalité par excellence. Dans Bonheur d’occasion, Gabrielle Roy perpétue le mythe de la malignité urbaine. D’aucune façon, l’urbanité ne peut supporter le rêve de la famille québécoise nombreuse. C’est donc un espace à fuir comme la peste.

Ceux qui y restent sont condamnés à la pauvreté et à la maladie. L’équation fut maintenue par de nombreux écrivains. Un petit voyage à la campagne de la famille Lacasse rappelle aux lecteurs du temps, les années 30 et 40, comment l’aire agricole peut être salutaire pour la survivance du peuple québécois. Vivre à la ville pour un homme, c’est vendre sa santé aux suppôts de Satan. Et ce serait vendre son âme que de vouloir tenir les rênes de l’économie. L’argent, c’est du fumier diabolique auquel il ne faut pas toucher. Cette dialectique faisait plaisir aux âmes protestantes anglaises, qui d’ailleurs ne sont pas gênés pour exploiter l’aspect sacrificiel du bon Québécois qui ne cherchait qu’un terreau pour planter sa croix. Après la rébellion de 1837, le peuple s’est isolé sur des terres agricoles ou s’est livré à vil prix aux entreprises qui se sont enrichies aux dépens de sa santé. L’homme, vidé de son âme, a passé le flambeau à sa femme, qui, du mieux qu’elle a pu, a sauvegardé notre cohérence en transmettant les valeurs reçues des ancêtres. La tâche était lourde, d’autant plus que l’analphabétisme était monnaie courante. Il est bien difficile d’imaginer une société nouvelle quand on est coupé de toute vie intellectuelle ou culturelle. Au milieu de la ville, ces femmes ont navigué avec courage pour empêcher qu’elle se fragmente en îles.

Gabrielle Roy a bien choisi son quartier, Saint-Henri, pour illustrer cette dynamique de la pauvreté de la famille urbaine d’origine française. Pauvreté qui s’accentue en tous sens parce que les Montréalais sont en fait des déracinés presque illettrés, venus s’établir dans une ville presque entièrement anglophone au 19e siècle. Son roman trace un tableau triste, mais juste de notre société, muselée dans ses projets sociaux et ne vivant que de bonheurs d’occasion. Il va falloir attendre 1960 avant que le Québec prenne son destin en main avec Jean Lesage, un nouveau premier ministre, dont le slogan était « Maître chez nous ». Déjà, le personnage de Jean, curieuse coïncidence, annonce ce tournant qui va se manifester quinze ans après la parution de ce grand roman qui donne l’heure juste. Pour en saisir toute la richesse, il faut être familiarisés avec l’Histoire du Québec et, surtout, avec les aspirations déçues du peuple que l’on a traité comme l’a écrit Albert Memmi comme des colonisés sous-doués. L’écriture est d’un classicisme qui feront bayer quelques-uns aux corneilles, mais pour les Québécois, c’est une bible que l’on vénère comme La Famille Plouffe de Roger Lemelin ou Le Survenant de Germaine Guèvremont. Ces auteurs véhiculent l’âme canadienne-française comme un précieux trésor. Et ce, nous en leur serons reconnaissants ad vitam aeternam.

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