Maugis de Christopher Gérard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Grafvonk, le 13 octobre 2005 (Inscrit le 13 octobre 2005, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 951ème position).
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INCITATUS

INCITATUS

N°1 – 10 septembre MMV
Contact: L’Annonce littéraire, BP 65, 77160 Provins

Le bruit avait filtré. Christopher Gérard préparait une suite à son premier roman Le Songe d’Empédocle paru à L’Age d’Homme en avril 2003. L’insensé ! Nous en avons éprouvé des sueurs froides. La cruauté d’Apollon ne se dément donc pas ! Pour quelle obscure raison notre auteur prenait-il le risque de rompre le précieux et parfait équilibre de cet opus majeur par un interminable codicille qui ne saurait rien apporter de décisif à la geste païenne d’Oribase ? Nous en étions à redouter le pire lorsque le facteur nous glissa le service de presse entre les mains.
A prêter une oreille complaisante aux médias, nous serions dans cette propice période que le petit monde étriqué de l’édition francophone nomme la rentrée littéraire. Oserions-nous espérer que justice et reconnaissance soient rendues à ce livre inactuel et intempestif, au sens nietzschéen de ces termes, qui écrase de toute son incomparable originalité l’anémique production contemporaine ?
Ne cherchez pas des yeux le volume sur les éventaires des libraires. Laissez-vous transpercer par le froid regard de la couverture. Une des plus belles, et des mieux réussies de l’année, avec en plus cette totale adéquation entre l’esthétique du peintre et le thème abordé. Le Pèlerin de l’Absolu de M. Eemans y darde ses métalliques prunelles sur votre personne. Vous n’échapperez plus à ce bleu cobalt de l’âme qui vous poursuit comme l’implacable nostalgie de votre présence au monde.

Maugis, 181 p., septembre 2005, L’Age d’Homme

Ne dites pas : la belle image. Songez plutôt à ces quatre volets du tableau que, dans le premier tome de ce qu’il faut entendre désormais comme la pierre angulaire d’une architecture polyphonique, Padraig était chargé de rassembler afin de subir les premiers degrés de son initiation dans la Phratrie des Hellènes. Nous avons cette chance d’assister, en temps réel, à l’érection d’une de ces structures quadriphoniques que le génie de Lawrence Durell avait initiées avec son fabuleux Quatuor d’Alexandrie. Les colonnes du péristyle sont à peine dressées que déjà nous nous perdons d’impatience propitiatoire et en conjonctures propédeutiques quant à la forme finale du monument.
Avant de nous aventurer plus avant dans le livre nous recommandons aux lecteurs de rester l’esprit aux aguets et d’ouïr les subtiles résonances qui se répondent. La littérature est parfois comme un temple dans la crypte duquel des parfums d’écho obligent à de profonds recueillements. En racontant l’histoire de Maugis l’Enchanteur, Christopher Gérard a surmultiplié la linéarité épisodique de l’intrigue romanesque : en effet il a toujours pris garde d’englober cette dernière, de par une sculpture des temps géographiques et des espaces chronologiques, selon la technique de ces feux de miroirs se réfléchissant à l’infini, dans une quatrième dimension que l’on pourrait appeler littéraire, un peu comme ces statues de bâtiments antiques qui se mettaient à chanter quand le soleil les caressait.
Pour ce qu’il nous en semble, Maugis pose sous une forme romancée un des problèmes théoriques les plus ardus qui soient. Entrevu sous son aspect religieux, le paganisme n’est en aucune matière tributaire d’un lieu privilégié. Des rivages occidentaux de l’Irlande aux lointains indiens, pour rester dans l’orbe pangique du roman, partout les Dieux diffèrent et coexistent sans que cela ne soit un drame. Seules les rigidités prosélytiques du monothéisme et leur étroitesse de vue doctrinale forment un obstacle à ce foisonnement des cultes et des rites. Mais lorsque les païens de notre modernité en arrivent à se remémorer les temps anciens de leur triomphale présence, le legs politique de leur empire du monde porte un nom romain.
Dès le premier volet de l’épopée, la référence philosophique au penseur d’Agrigente et le titre de la Phratrie des Hellènes ne trompent personne. Cette société secrète revivifiée par l’Empereur Julien pour préserver des fureurs chrétiennes, au cours des siècles futurs, les enseignements sacrés des Dieux, est de par sa nature même d’obédience gréco-romaine. Mais s’il était une certitude dans l’esprit des derniers païens des IVème et Vème siècles, c’est que les Dieux ne reviendraient que pour assurer la refondation de l’Imperium.
L’Histoire se joue des hommes et de leurs attentes. Seize siècles plus tard la donne initiale s’est complexifiée. Déjà les légions de Julien étaient constituées de Celtes pétulants… Mieux vaut ne pas s’attarder sur la composition wisigothique des effectifs qui parvinrent à casser l’élan des hordes barbares d’Attila ! Si plus tard l’idée et le rêve de l’Empire refleurirent, la stricte réalité historique nous force à admettre que c’est chez ces mêmes peuples et nations barbares qui en furent les fossoyeurs, qu’ils renaquirent. A tel point que de nos jours nombre de penseurs et de journalistes font remonter l’idée européenne à la seule royauté carolingienne. Imperium exit.
L’action du Songe d’Empédocle est entée sur le substrat culturel de la civilisation latine. Delphes est encore le nombril du monde de la renaissance païenne. Maugis coupe le cordon. Pour Christopher Gérard le cœur de l’empire bat au nord de la Sequana Juliana. Ce n’est plus l’Apollon solaire qui préside au destin des hommes mais l’Apollon hyperboréen, le dieu loup des origines totémiques. Très symboliquement Maugis se demande s’il est plutôt celte ou saxon. La filiation d’une romanité mythique ne l’interroge point.
De la théorie à la pratique il n’y a souvent qu’un faux pas. Celui que Maugis sera à son destin défendant obligé de franchir. La direction collégiale de la Phratrie des Hellènes a été sans équivoque. L’on ne pactise pas avec le diable. Celui-ci se vanterait d’être un anti-chrétien convaincu. Plus que les discours, les gestes se doivent d’être beaux. La simple observation des faits démontre à l’excès que malgré quelques proclamations paganisantes les Sections Spéciales de la nouvelle Germanie agissent avec une rigueur idéologique toute monothéiste.
Difficile de rester neutre en ces temps de grandes conflagrations. Surtout lorsque la défaite de votre pays vous contraint à l’inaction. Maugis ne manque pas de courage, sa guerre à la hussarde, désespérée et flamboyante sur les arrières de l’ennemi nous en convaincra. Mais revenu chez sa mère le sang bouillonnant du jeune guerrier s’exaspère. Bien sûr l’on peut tromper son impatience en s’impliquant dans un réseau de renseignement et d’aide aux Hébreux persécutés mais les temps sont longs et si erratiques que Maugis reprend contact avec des frères perdus et exclus de la Phratrie des Hellènes. L’on peut trouver de réelles et même de nobles excuses à sa conduite : un sentiment de solitude et d’abandon dû aux circonstances, le culte de l’amitié, et peut-être plus que tout, un désir inconscient de continuer le combat en se jetant dans la gueule du loup…
Peu de grain à moudre : quelques rares articles dans des revues spécialisées, une ou deux participations à des colloques, une ou deux photos compromettantes qui paraîtront dans la presse de collaboration. Mésaventures et imprudences gionesques qui en des ères avancées de libération peuvent se payer très cher, et qui d’ailleurs transformeront notre héros en un clandestin de la mondialisation naissante… Mais cela a suffi pour faire de Maugis un égaré. Maugis a perdu le sens de l’Empire. Le dérèglement des sens aura induit celui de l’esprit. Dionysos est un dieu dangereux à chevaucher.
D’ici quelques années, lorsqu’il sera évident pour un large public que nous sommes en face d’une œuvre d’importance il ne manquera pas de bonnes âmes pour tenter de récupérer notre personnage dans le giron du catholicisme : l’on parlera de la tentation et puis de la rédemption de Maugis. N’est-ce pas l’Eglise qui le cachera de monastère en monastère et lui permettra de quitter les rivages européens ?
Mais la partie sera déjà jouée. En Irlande. Où Maugis renouera avec la pratique virgilienne de la convocation des morts. Lorsque tout s’écroule il ne reste qu’à descendre au fin fond des soubassements des tutélaires et infernales fondations. Dans le labyrinthe intérieur et extérieur de son âme et du monde, Maugis a cédé à la fascination du Minotaure. A la puissance et à la force, un soupçon d’instant il avait préféré le pouvoir et la brutalité, le voici revenant à lui-même après s’être trempé dans les eaux lustrales et fondatrices de l’exemplarité énéenne. Maugis est désormais l’enchanteur, l’aède inspiré, l’Orphée thracique, le Väinämöinen magique.
Ce n’est pas une surprise. Si la silhouette décalée et légèrement oblique de Cavafy hante l’Alexandrie de Durell, et il y aurait tant à dire sur le choix symbolique de ce chantre des grandeurs perdues de la Grèce, ce sont les vers de Nerval et d’Hölderlin qui scandent et orientent les pérégrinations de Maugis. Deux poëtes intimement liés à l’Allemagne. Deux poëtes de la folie, mais aussi de l’enracinement, dans le terreau ésotérique d’une culture universelle pour le premier, et dans l’attente du retour des anciens Dieux pour le second.
Par un de ces coups de théâtre comme seuls les romanciers peuvent en abuser, Maugis se retrouve investi d’un sang glorieux. L’Empire carolingien coule dans ses veines. Vieille défroque trop serrée pour habiller le nouveau Maugis qui se réserve pour de plus authentiques accomplissements…
A défaut d’être une exquise chronique ces lignes sont à peine une esquisse critique. Christopher Gérard nous a livré un chef-d’œuvre, un livre d’une richesse incroyable et d’une densité extraordinaire. Craignons qu’il n’agisse comme ces fameux trous noirs qui attirent et confisquent la matière de l’univers : plus d’un commentateur risque d’y laisser la matière grise de ses neurones. Maugis soulève mille fois plus de questions qu’il n’en pose. Le tâcheron qui s’en tiendra quitte en proposant comme piste de lecture l’étude contemporaine d’un itinéraire spirituel païen restera en deçà des enjeux du roman. Les temps ont changé. Il n’est plus utile de se tourmenter sur le pourquoi métaphysique d’une réappropriation de l’Empire. Christopher Gérard aborde avec le deuxième tome de sa tétralogie l’étude théorique des modalités opératoires de son déploiement.

André Murcie

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Merveilleux

8 étoiles

Critique de Tamara (, Inscrite le 12 janvier 2006, 47 ans) - 12 janvier 2006

"Nerval aussi bien qu’Hölderlin apportent leur caution à un itinéraire temporel et spirituel qu’alimente tout un réseau de correspondances et de mythes empruntés à toutes les traditions.
Rencontres des plus fructueuses. A travers les errements et la réappropriation de soi vécus par Maugis, c’est une voie royale (ou impériale) qui est ici suggérée. Une manière de conquête individuelle, de victoire sur « un inconscient gangrené par l’utopie collectiviste ».
On ne jaugera pas ce roman, second volet d’une œuvre ambitieuse que l’on devine seulement en gestation, à l’aune du réalisme. Ni même de la vraisemblance. On le prendra pour ce qu’il est, une réhabilitation du merveilleux. Une tentative, à travers la fiction, de réenchantement du monde. "
P.M. Moudenc, dans Rivarol.

Initiatique

8 étoiles

Critique de Zinaïda (, Inscrite le 17 novembre 2005, 46 ans) - 17 novembre 2005

"Christopher Gérard fait prendre le chemin qui fut le sien à Maugis, le personnage qui donne son nom à son nouveau roman. Ce poète, nourri à la tradition littérale de la culture antique, appartient à une société secrète qui se réclame de ce patrimoine immémorial. Christopher Gérard impose à Maugis l’épreuve maîtresse de sa suprême initiation, à savoir le maintien des valeurs sacrées du paganisme au cœur de la barbarie mercantile du monde moderne. Bref, autour de l’énigme du monde, le voyage initiatique et la quête d’un illuminé de la plus lointaine histoire poétique comme de la plus haute sagesse intemporelle. "

Pol Vandromme, dans Valeurs actuelles, 10/11/2005.

Envoûtant

10 étoiles

Critique de Ganieda (, Inscrite le 13 octobre 2005, 51 ans) - 13 octobre 2005

Sitôt acquis dans la belle librairie L'Age d'Homme de la rue Férou, à deux pas de la place Saint-Sulpice, j'ai lu ce roman d'une traite. De quoi s'agit-il? D'un roman initiatique où l'on suit un jeune poète dans la tourmente du XXè siècle: à Oxford juste avant la guerre, sur le front en 1940, à Paris (place Furstenberg) et à Bruxelles sous l'Occupation, à Rome et même en Inde. Amours , quête chevaleresque, amitiés, tout est rare et fascinant dans ce livre, à commencer par le style de l'auteur.

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