Première communion de Julie Guerlan

Première communion de Julie Guerlan

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 25 septembre 2005 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 682ème position).
Visites : 4 034  (depuis Novembre 2007)

Première communion ratée, premier roman réussi

Le petit monde de l'édition belge avait retenti, ces derniers mois, des échos de quelques faillites : celle du "Grand Miroir" (Stéphane Lambert avait dû jeter l'éponge comme, quelques années plus tôt, pour "Ancrage") et, plus attristante peut-être, celle de la "Renaissance du Livre", un fleuron du "beau livre" dont la réputation dépassait largement les frontières de notre petit royaume.
Mais "rien ne se perd et rien ne se crée" jamais vraiment. Luc Pire (soutenu par RTL...) passait par là. Il rachète les maisons faillies, ranime le Miroir terni et veille à la Renaissance de la Renaissance. Corollaire : "Embarcadère", la collection romanesque de Luc Pire, passe à la trappe. Mais son catalogue pourra se retrouver au "Grand Miroir", à commencer par "La seconde vie d'Abram Potz", le titre phare de la collection, auréolé de son récent prix des Lycéens.

Et le nouveau "Grand Miroir" décide de donner aussi sa chance aux jeunes. Ainsi, ce premier roman de Julie Guerlan, pour lequel Réjane Peigny, directrice de collection, dit avoir joué le beau rôle d'"éditrice obstétricienne : "Après la première lecture, d'une traite, pour la magie, relire crayon en main et élaguer, ranger, éclaircir. Laisser reposer. Prendre le temps de se questionner. Avant de relire encore, pour vérifier et fignoler. Et surtout, surtout, s'émerveiller de le redécouvrir, chaque fois, plus riche et plus fort encore."

Du beau travail, vraiment. Le lecteur est happé par le livre et voyage de trouvaille en trouvaille, d'émotion en amusement, de pétillements d'yeux à serrements de coeur. Un roman? Oui, bien sûr, pourquoi pas. Mais d'abord un livre. Un vrai livre. Un témoignage ancré dans le réel et qui décolle du réel. Une tranche de vie exprimée dans un style. Julie Guerlan n'est pas de ces gens qui ont des choses à dire mais n'ont pas d'écriture, ni de ces artistes au beau style mais à l'imagination indigente. Elle raconte, et elle écrit, tout le temps. Et ça donne un vrai livre.

Bien sûr, le récit a des côtés "Amélie Poulain", et l'on craint un moment que Julie Guerlan cède à la vague du joli à la Jeunet, avec la grand-mère concierge en tablier bleu, papa, maman, la petite soeur et le poisson rouge Boule d'Or. Et, bien sûr, la narratrice, petite fille merveilleuse qui rêve d'un mariage en blanc. Et puis non, Julie réussit à être elle-même, reconnaissable déjà, rien qu'en un livre, à cet amour de l'enluminure, du texte bref et ciselé, à la chute virevoltante, qui s'enchaîne aux suivants presque sans transition, en un chapelet de trouvailles où le jeu sur les mots est toujours au service du travail sur le fond.
Sur la grand-mère concierge dont le tablier bleu semble toujours dire "j'arrive" : "Le tablier bleu j'arrive a la couleur triste de cette forme de mensonge qu'est la promesse jamais tenue. Il a l'usure d'une joie si longtemps attendue qu'elle nous arrive délavée, reprisée et délestée pour finir de toute la saveur du bonheur."
Sur le papa joyeux, fou, violent, torturé : "Avec ses cils noirs et épais, papa a les yeux très doux d'un chien perdu qui aime le sucre."
Sur la maman qui « fait son possible » : "Tu te trompes de tram comme tu te trompes de vie. Tu t'es trompée de mari et ton mari te trompe."

L'enfant, là-dedans? Née par accident, il paraît. "(Un accident, c'est quand on roule en voiture et qu'on ne regarde pas devant soi sur l'autoroute. Alors on fonce dans une autre voiture, et il y a du sang et des blessés.)
Papa dit que je suis vraiment mal tombée, parce que maman voulait un garçon, et que j'ai tout fichu par terre une deuxième fois en arrivant. Il dit que maman avait déjà trouvé un nom pour ce garçon : elle l'aurait appelé Oswald. Je suis bien plus qu'un accident. Je suis un sinistre total."
Et l'enfant sinistré se débrouille, entre joie et souffrance, entre départ en vacances genre "guerre des boutons" et anniversaire gâché façon "Poil de Carotte". Et la petite fille hypersensible s'invente une mariée en voile blanc, un ami fidèle, un Dieu...
Au fond, elle n'en veut pas vraiment à ses parents, qui la font souffrir, parfois, comme ils ont souffert : "j'étreins cette main qui m'a donné les coups qu'elle a reçus, parce qu'elle ne savait pas quoi en faire."

La petite boule dans la gorge et la formule qui fait mouche, à chaque page ou presque. La petite fille qui n'a pas fait sa première communion a fait un beau premier roman. De quoi la consoler, sans doute...

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Auto-thérapie par le livre

9 étoiles

Critique de Bafie (, Inscrite le 19 juillet 2004, 62 ans) - 8 avril 2010

A la lecture des premières pages de ce livre, j’ai ressenti de l’ennui. Ennui vite dissipé car la vivacité des mots de Julie Guerlan permet à la narratrice de nous prendre par la main pour nous emmener dans son univers d’enfant. Rêveries, imagination sans failles mais aussi blessures d’une âme trop sensible nous sont contées au fil de ce récit. Nous devenons confidents de cette enfant, rions avec elle, frémissons au plus sombre du récit lorsqu’elle se confronte aux démons de sa famille.
Petite musique d’une vie qui se construit et qui entre en résonance avec notre vécu. Une thérapie par le livre ?

Une communion? Oui, avec un très beau roman...

8 étoiles

Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 44 ans) - 8 février 2006

"La petite boule dans la gorge et la formule qui fait mouche, à chaque page ou presque."
Je me permets de citer Lucien tant cette affirmation tient en elle seule toute la présence du roman de Julie Guerlan. Des mots trop indulgents pour être du fait d'un adulte (même si...), trop lucides pour être ceux d'un enfant. Tout est la conscience d'un amour incompris, d'un secours non donné, d'une solitude enfantine, d'un chagrin jamais aigre.
"Gaston sait que je suis bien plus qu'un enfant, et je sais qu'il est bien plus qu'un chat. C'est pourquoi on se préfère."
Un portrait de famille sur fond de belgitude et "d'allégresse triste", de tendresse et de dévouement. Parce qu'il ne faut pas rendre les autres plus malheureux qu'ils ne le sont déjà, même si ces autres, Papa, Maman, Grand-Mère, savent où mettre le doigt quand il s'agit de faire mal. Oui, ils sont très habiles pour ça...
Un livre donné, comme on offre un souvenir, un livre nécessaire, sans doute.
Et l'on ne peut qu'apprécier le geste...

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