Harraga
de Boualem Sansal

critiqué par Clarabel, le 18 septembre 2005
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Un beau roman, une belle histoire...
"Harraga" signifie "brûleur de routes", autrement dit l'exilé de son plein gré, qui quitte sa famille, sa ville, son village et son pays pour un ailleurs plus mirifique. Le Maroc, l'Espagne, la France, l'Angleterre... les "harragas" sont prêts à tous les riques pour atteindre l'eldorado et fuir l'Algérie qui saigne, souffre et n'offre plus rien. Surtout plus de rêves. L'héroïne de ce roman en sait quelque chose, car son frère Sofiane a tout quitté pour l'ouest et "brûler la route". Elle n'a aucune nouvelle de lui, si ce n'est qu'un jour elle reçoit la visite de Chérifa, une jeune fille de seize ans, enceinte jusqu'aux dents, envoyée par celui-ci. Lamia, elle, a trente-cinq ans, elle est docteur en pédiatrie, elle vit seule dans sa grande maison hantée par les fantômes du passé, et d'elle on peut facilement dire que c'est une vieille fille méchante, grincheuse et vilaine. Jalouse aussi de la pétulance de Chérifa qui déboule chez elle, chamboule ses habitudes et lui renvoie à la face sa cruelle solitude et le vide de son existence. Entre elles deux, la cohabitation est difficile, Lamia mène la vie dure mais finalement elle est très attachée à Chérifa. Du moins, avec sa langue de vipère qui bave trop, Lamia va commettre un impair qui fera disparaître la jeune Chérifa du jour au lendemain.

Et il s'en passe encore dans ce foisonnant roman, mais je me garde d'en dire davantage! C'est exaltant, passionnant, ça raconte du vrai, du beau, du touchant et ça met en décor une Algérie réaliste, tenaillée par l'islam nouveau, ses rigueurs et ses inepties. J'ai du mal à croire qu'un homme puisse être l'auteur de pareil roman ! Boualem Sansal s'est mis dans la peau d'une femme "aigrie, intolérante, méchante, querelleuse, intempestive mais romantique" - Lamia est tout ça et à la fois elle reste attendrissante, touchante et attachante. Elle dit les choses vraies, elle est cynique et franche, drôle aussi. C'est un beau portrait de femme. Et puis, son amour pour sa maison fait aussi partie d'elle. Ses fantômes, son voisinage, sa solitude cultivée avec minutie et jalousie... C'est une femme complètement seule, abandonnée par ses parents, ses frères, sans nouvelles du seul survivant de la fatrie. Normal qu'elle s'accroche à la Chérifa comme à une bouée ! Il y a dans le roman un instinct de survie qui concerne les clandestins, mais aussi les femmes d'Algérie. "Harraga" rend une très honorable peinture à tout ce petit monde. De la poésie aussi teinte l'écriture de Boualem Sansal... Pour une première approche de l'univers de cet auteur, je suis éblouie, complètement séduite!