La terre ferme
de Christiane Frenette

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 18 septembre 2005
(Montréal - 54 ans)


La note:  étoiles
Vivre avec la mort
Un jour, deux adolescents s’embarquent sur un radeau de fortune pour ne plus jamais revenir. La communauté ne peut pas se résigner à la tragédie, à faire son deuil, car les corps ne sont jamais retrouvés. Mais surtout, la communauté ne veut pas se résigner à l’idée que les deux garçons se sont suicidés, à trouver le rationnel dans ce geste inexpliqué.

Dans une première partie, l’après-coup est évoqué de façon admirable avec une distance qui reflète parfaitement le malaise de gens qui n’ont pas su voir et qui ne peuvent pas comprendre. L’auteur fait circuler les deux frères en fantôme dans la ville, les place dans la vie des éraflés par cette décision, pour leur montrer les répercussions. Les personnages n’ont pas de noms, les sentiments, même masqués par le voile poétique, sont presque palpables. C’est magnifique.

Puis l’écriture devient plus boitillante dans une deuxième portion où nous suivons « la jeune fille », une copine des deux adolescents. Elle est en fugue, à la recherche de réponses et confrontée à sa propre fragilité. En s’enfuyant, elle laisse derrière elle une mère, déjà meurtrie par l’incident initial, qui doit faire face à la détresse de peut-être perdre sa fille aux griffes de ces mêmes démons.

Essentiellement un roman d’atmosphère, le lecteur est entraîné tout en douceur dans ce sanctuaire des silences, de blessures vives à l’âme, dans cette période avant l’oubli, celle des eaux troubles de laquelle nous avons tous dû émerger un jour pour pouvoir rejoindre la terre ferme.

(Prix du gouverneur général)