La route d'Ithaque de Carlos Liscano

La route d'Ithaque de Carlos Liscano
( El camino a Ítaca)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Jules, le 29 août 2005 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 79 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (24 807ème position).
Visites : 4 213  (depuis Novembre 2007)

Un monde des plus durs

L’éternelle question se pose ici pour ce livre. Il est présenté comme un roman alors que l’on se pose vraiment la question de savoir s’il n’est pas une biographie. Cela n’enlève en tout cas rien à son intérêt.

Soulignons au passage que Liscano est né en Uruguay et y a fait plus de dix ans de prison comme « politique ». Aujourd’hui, il vit entre Montevideo et Barcelone.

De par son écriture, faite de phrases courtes et un peu hachées, nous entrons dans ce livre comme si nous écoutions le personnage en direct. A part quelques dialogues, le livre est en long monologue dans lequel le personnage nous raconte ce qu’il voit, ce qu’il pense et ce qu’il ressent.

Il se définit d’emblée comme un « métèque » vu qu’il est sans papiers. Il n’a aucun accès au milieu du travail, a toujours peur de la police et du renvoi dans son pays et n’a aucun droits sociaux.

Il arrive d’abord en Suède. Pourquoi la Suède ?... Tout simplement parce que, au Brésil, il a rencontré une suédoise. Il la retrouve et finit par lui faire un enfant. Mais il la quittera, poussé par son éternelle envie de bouger. Mais pendant son séjour là-bas il aura déjà appris beaucoup de choses, notamment les castes qui existent au sein de la catégorie des sans-papiers. Il aura aussi travaillé dans un asile psychiatrique et aura ainsi acquis une certaine idée de ce qu’est ce monde bien particulier.

Arrivé en Espagne, il découvrira que tout n’est pas aussi simple qu’il ne le pensait. Tout d’abord, à Barcelone on parle catalan et non l’espagnol comme il le pensait. Ensuite, il ne s’était pas rendu bien compte que l’Espagne c’était l’Europe et qu’elle appliquait les mêmes règles.

Là-bas, il sera exploité comme ailleurs et sa vie sera des plus difficiles. Par manque d’argent il ne pourra même pas se payer une chambre dans une pension et il vivra dans la rue. A deux reprises ce seront des femmes qui le sauveront. D’abord Conchita qui a son mari en prison en Galice. Elle l’hébergera et lui donnera une vraie chaleur jusqu’au jours où son mari est libéré. Par la suite, ce sera une vieille putain, Dolorès, qui lui donnera la même chose mais elle mourra. Son dernier secours avant de sombrer lui viendra d’un transsexuel dénommé Olga. Mais la rupture sera brutale.

Pour survivre il aura fait pas mal de choses, dont la manche et la récupération de nourriture dans les poubelles de restaurants. Encore lui faudra-t-il lutter contre ceux qui sont attirés par les mêmes poubelles…Il envisagera même le proxénétisme, mais il semble ne pas attirer les femmes qui préfèrent se donner à des blacks.

L’écriture est très vive et directe. Un défaut : il a tendance à se répéter et parfois à s’étendre un peu longuement. Avec ce livre nous apprenons cependant beaucoup de choses sur la condition des sans papiers et il nous amène à regarder ces gens autrement. Nous voyons aussi que, parfois, ils choisissent de refuser du travail et préfèrent se laisser aller. Il faut avouer qu’au-delà d’un certain niveau d’exploitation les choses ne sont plus tolérables. C’est une question de dignité !

Un livre dur mais aussi intéressant.

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Les éditions

  • La route d'Ithaque [Texte imprimé] Carlos Liscano trad. de l'espagnol (Uruguay) par Jean-Marie Saint-Lu
    de Liscano, Carlos Saint-Lu, Jean-Marie (Traducteur)
    Belfond / Littératures étrangères (Paris)
    ISBN : 9782714440112 ; 3,17 € ; 23/01/2003 ; 317 p. ; Broché
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Malheureux qui comme Ulysse a fait un long voyage

6 étoiles

Critique de Faby de Caparica (, Inscrite le 30 décembre 2017, 62 ans) - 30 avril 2020

" La route d'Ithaque" de Carlos Liscano ( 324p)
Ed. 10/18

Bonjour les fous de lectures ....

Pour une affaire de drogue, Vladimir a dû fuir l'Uruguay.
Il se retrouve en Europe.
Nous allons suivre ses errance de Stockholm à Barcelone.
Immigré parmi les autres, plongé dans un monde de marginaux et de clochards, fréquentant les prostituées et les asiles psychiatriques, Vladimir s'interroge et se morfond.
A la fois fataliste et désespéré, essayant de survivre, Vladimir essaye de trouver sa place dans la société.
Comme Ulysse cherchant Ithaque, Vladimir cherche le lieu qui l'apaisera et l'épanouira.
Quête désespérée pour un homme au mal-être trop profond, à la limite de la folie.

Autant j'avais été enthousiasmée par " le fourgon des fous" du même auteur, autant j'ai eu plus de mal avec ce récit.
Beaucoup de longueur et peu d'empathie pour Vladimir et ses perpétuelles errances et remises en question.
Je reconnais cependant certaines analyses subtiles de la société de l'époque ( post mur de Berlin)

Voyage au bout du néant

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 11 octobre 2013

Vladimir (comme Vladimir Ilitch Oulianov, Lénine ?)a entrepris un long voyage comme Ulysse qui a accompli un long périple pour rejoindre son royaume d’Ithaque mais que cherchait-il lui, Vladimir, dans ce voyage entre Montevideo, Asunción, Rio, Stockholm et Barcelone ? A fuir le pays qu’il l’avait emprisonné ? A fuir sa famille qui l’avait élevé au biberon du parti communiste ? A fuir la faillite des deux idéologies qui s’affrontaient en Uruguay ? Un lieu où il aurait pu vivre libre, construire une vie possible ? Mais le voyage ne résout rien, on emporte toujours ses ennuis, ses défauts, ses problèmes avec soi, on transporte sa misère partout où l’on va, tout est toujours partout pareil.

Vladimir raconte son échec à Stockholm où il a retrouvé Ingrid qui lui a donné un enfant dont il ne voulait pas, il ne veut pas s’accrocher à un lieu, à un pays, il veut rester libre de partir quand il en a envie, n’importe où ailleurs. Il raconte ses petits boulots dans une maison de retraite, dans un asile, … car pour les « métèques » il ne reste que les tâches d’entretien ou de cuisine, sa plongée dans le monde des expatriés qui se structurent en deux clans : Latinos et Polonais eux-mêmes répartis en plusieurs groupes qui organisent toutes sortes de trafics : marchandises diverses, main d’œuvre et même prostituées.

Il fuit la Suède, abandonne sa fille, pour se fixer à Barcelone, dans un quartier où il aurait pu croiser le héros de Mathias Enard (Rue des voleurs) ou le fantôme de Jean Genet, où il pense pouvoir trouver du travail parce qu’il partage la même langue que les Espagnols mais un métèque reste un métèque partout où il se déplace surtout s’il est sans papier. De situation précaire en situation encore plus précaire, il finit par se retrouver à la rue pour une descente aux enfers inéluctable qu’il revendique même en n’acceptant plus aucune solution à son drame personnel, préférant la liberté absolue à la moindre marque de confort. Il ne veut plus être obligé de gagner sa vie mais seulement la vivre.

Fuyant les responsabilités, esquivant les opportunités favorables, Vladimir choisit toujours la solution la plus avilissante, la moins contraignante, pour s’enfoncer de plus en plus dans la marge de la société comme s’il voulait surtout ne pas en sortir. Une montée au calvaire voulue, décidée, en faisant le choix de porter la croix toujours plus haut pour que personne ne puisse l’inciter à redescendre et à renoncer à son auto destruction. Il est devenu un homme déçu, aigri, désabusé, désespéré, il ne croit plus en rien ni en personne, il s’enfonce corps et âme dans ce monde où les fous sont peut-être les plus sensés, dans ce monde sans issue, dans cette impasse que les Européens ont colonisée et que les communistes de son père n’ont jamais su libérer, faillissant lamentablement, seule une guerre purgative pourrait sauver la planète du marasme dans lequel elle s’enfonce inexorablement. « Oui, j’avais coupé tous les liens, je m’étais obstiné à rester seul, seul. Ingrid, ma fille, Conchita, ma famille, tous je les avais eus, tous je les avais abandonnés. C’était peut-être à partir de ça qu’il fallait construire, à partir du néant ».

Dans ce texte dépouillé, assez banal, qui transpire bien l’ennui dans lequel s’englue le héros, cet ennui que l’auteur s’évertue à nous faire ressentir de manière presque palpable, Carlos Liscano tient un discours digne du Tupamaros qu’il a été : dénonciations de l’hégémonie européenne, du colonialisme, du rejet des émigrants par les Européens, du capitalisme, du communisme qui a échoué… Une réflexion sur le déracinement, l’exil, la solidarité, la solitude, l’abandon et pour finir le mépris. « Ils sont partout dans le monde, les Européens, comme s’il leur appartenait. Ils ont émigré vers tous les points du globe, ils ont volé tout ce qui leur est tombé sous la main, qu’est-ce qu’ils croient, qu’on ne va pas leur rendre visite ? Maintenant, ils n’ont qu’à en prendre leur parti. Arabes, Africains, Asiatiques, Latino-Américains, tous vont l’envahir, leur Europe. » « Depuis toujours le Blanc pense qu’il n’y a que lui qui soit descendu de l’arbre, et que le reste est toujours là-haut, en train de manger des noix de coco et de s’épouiller ». Cette diatribe se conjugue mal avec le refus d’assistance que le héros manifeste de plus en plus pour s’enfoncer dans le néant".

La folie revient souvent dans cette œuvre (l’auteur lui a aussi consacré un autre ouvrage), le héros travaille en Suède dans un asile et refait la même expérience à Barcelone, une façon de constater que les fous et les vieillards séniles ne sont peut-être pas les plus dérangés de la planète parce qu’ils ont compris l’illusion qu’est la vie comme l’explique un vieux, interné volontaire, : « … la vie consiste à se créer un leurre et à s’y ajuster jusqu’à la mort, où jusqu’à la vieillesse, âge où l’on commence à être excusé de ne pas se conduire comme il faut, parce qu’un vieux, un sénile et un fou jouent dans la même équipe ». Et peut-être que les fous extrairont le monde du néant dans lequel il plonge inéluctablement ?

sans papiers sans avenirs et pourtant ?

10 étoiles

Critique de Printemps (, Inscrite le 30 avril 2005, 65 ans) - 14 juillet 2010

Liscano nous fait découvrir l'univers des sans-papiers, des sans-grades de notre société. Par la bouche de Vladimir, Uruguayen, réfugié "économique", nous sommes "percutés" par la dureté de la vie, de la naissance à la mort. Quel sens donner à la vie, si sens il y a ?
Un parcours noir, parsemé d'éclairs roses, fournis principalement par des femmes, elles aussi broyées par la société du plus fort. Une reconnaissance pleine d'humanité de ces laissés pour compte.

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