L'agressivité détournée
de Henri Laborit

critiqué par Khayman, le 27 août 2005
(Chicoutimi - 44 ans)


La note:  étoiles
Mort du libre-arbitre
Le biologiste Henri Laborit utilise les dernières (1970) découvertes en biologie afin de développer les bases d’une biologie du comportement.

Fidèle à lui-même, Laborit tente, pour la énième fois, d’éveiller (hum, mot dangereux mais que j’utilise quand même) les lecteurs sur les bases biologiques de leur comportements, sur les automatismes acquis depuis leur naissance afin de s’intégrer dans une niche sociale quelconque et des conséquences, souvent oubliées/niées, que la forme de cet apprentissage a sur notre vie. Tous les livres de Laborit tournent autour de ce sujet et il est difficile de ne pas croire que L’agressivité détournée n’est qu’une partie plus détaillée d’un des chapitres de La Nouvelle grille ou de Éloge de la fuite. Cependant, il y a des variantes intéressantes.

Ainsi, Laborit nous expose une étude réalisée par J. M. R. Delgano (1967) concernant des groupes de singes. Ces singes étaient en liberté dans un espace clos et leur électrogénèse a été enregistrée par des électrodes implantées dans diverses aires cérébrales. Une hiérarchie s’établit et le chef est celui qui affiche le comportement le plus agressif. Cette agressivité étant fonction de l’électrogénèse du système limbique, on pu influencer la hiérarchie du groupe en stimulant les neurones de ce système, changeant les dominés en dominants. L’opération inverse s’effectue en stimulant la partie nommée le noyau caudé, ce qui diminue l’agressivité.

Citation :

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« […] les animaux ayant à leur disposition des manettes permettant de stimuler eux-mêmes les aires cérébrales des autres singes trouvent assez rapidement que la stimulation de son noyau caudé diminue l’agressivité du chef et le rétrograde dans la hiérarchie. Ils en usent largement dès que celui-ci devient trop dominateur. » (p. 81)

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Bon. Un singe n’est pas un homme et des singes ne sont pas des hommes. La comparaison est donc très limitée. Cependant, j’y vois un début, un intérêt pour la compréhension de notre comportement, une ligne directrice pour la recherche présente et future des « vraies » causes de nos actions.

Je crois fermement à cette vision de Laborit des choses et j’ai donc très apprécié ce livre. Étant fragmentaire et très difficile à avaler (qui peut supporter de ne pas avoir de libre arbitre ni d’âme ?), la vision de Laborit attire au mieux les véhémentes critiques, au pire l’indifférence. Quelques découvertes au niveau des automatismes de pensée impliqués dans certains cas spécifiques(1)(2) me solidifient dans ma croyance.

Autrement, j’ai apprécié retrouver dans ce livre plusieurs sujets dont la prise de position me semble cohérente avec mes pensées (où est-ce moi qui ait adapté mes pensées en fonction de ces prises de positions ? Allez donc savoir !). Ainsi, j’ai souvent dit que les recherches de Laborit mèneraient, dans le futur, dans un contexte (et non une réalité, il faut faire la nuance !) semblable au livre Le Meilleur des mondes d’Huxley, affirmation confirmée par Laborit en ce livre(3). Le développement de Laborit concernant le déterminisme(4) est savoureux et constitue, avec celui fait par Brian Greene dans The Elegant Universe, la meilleure vision de ce débat qu’il m’a été donnée de voir.

(1)http://www.exn.ca/Stories/2004/03/30/52.asp

(2) Renaud, J., Avril 1980, «Comment nos yeux prennent des vessies pour des lanternes », Science & Vie N° 751, p. 20-26 et 113.

(3) « La psychopharmacologie est ainsi appelée peut-être à jouer un rôle bien plus important que de thérapeutique des maladies mentales, à savoir celui de modification du comportement. Il n’est pas utile sans doute de signaler combien les choix dans ce cas seront difficiles. Le monde d’Aldous Huxley sera à la portée de notre main. »

(4)« Certains objectent parfois qu’avec le coefficient d’incertitude d’Heisenberg et le probabilisme, le déterminisme est dépassé. Certes, s’il enferment celui-ci, comme à la fin du siècle dernier, dans un étroit phénomène de causalité, une cause engendrant un effet. Mais les pages précédentes ont tenté de montrer que dans la vie cette causalité linéaire et simpliste ne pouvait être retenue. Les causes d’un même effet sont souvent si nombreuses, siègent à des niveaux d’organisation si variés, qu’il est impossible de les quantifier toutes.
[…]
En résumé, le déterminisme moderne est aussi un déterminisme de structure et non thermodynamique seulement. […] Quant au probabilisme, n’est-il pas aussi la conséquence de notre ignorance des facteurs trop nombreux qui régissent un phénomène? N’est-il pas seulement le moyen de prendre une mesure probable d’un déterminisme que nous ne pouvons analyser?
Tout cela fait que l’on ne peut se défendre d’un certain scepticisme lorsque l’on entend certaines analyses que nous dirons horizontales, parce que réalisées à un seul niveau d’organisation, le niveau sociologique par exemple, tirer des conséquences de l’observation de quelques facteurs, voire d’un seul. Ces analyses ont beau être dialectiques et logiques, elles ne sont pas moins le plus souvent fort éloignées des mécanismes auxquels la vie nous a accoutumés. »