Biologie et structure
de Henri Laborit

critiqué par Khayman, le 27 août 2005
(Chicoutimi - 44 ans)


La note:  étoiles
Spécificité du comportement humain
Citation :

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« Un mot reviendra dans cet ouvrage d’une façon lassante. Nous n’avons pu faire autrement. C’est le modèle sémantique d’un concept essentiel. Il est donc nécessaire d’en donner d’abord une définition qui nous assurera de la précision de l’information transmise grâce à lui. Il s’agit du mot « structure ». Nous emprunterons sa définition à la théorie des ensembles. Une structure est alors « l’ensemble des relations existant entre les éléments d’un ensemble ». Structurer consiste donc à tenter d’établir l’ensemble de ces relations. Comme l’ensemble des relations entre les éléments d’un ensemble est souvent hors de portée de notre connaissance, le mot de structure désignera souvent les structures imparfaites, des sous-ensembles ou des parties de l’ensemble des relations. »
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Cet avant-propos de l’auteur résume le sujet entier du livre, à savoir la description de la vision de sujets aussi variés que la sociologie, l’enseignement, le travail, les loisirs, la douleur, la science, le langage, la recherche institutionnalisée, la femme, la binarité(2), l’évolution(3), finalement de la mise en perspective de la société, en ramenant toujours cette vision dans le cadre de la théorie des ensembles, de la recherche des structures.

J’ai bien apprécié ce livre. Même si, pour certains, Laborit ne fait qu’y exposer sa vision habituelle des choses, que c’est la « même bouillie habituelle », je crois qu’une personne intéressée par cette vision y puise des détails, des arguments, des exemples supplémentaires la concernant. Laborit ramène constamment à la théorie des ensembles les sujets abordés, ce qui nous remet toujours en tête l’idée, selon moi juste, qu’il faut aborder le monde, qu’il faut se l’expliquer à l’aide de la causalité non-linéaire(1).

J’ai bien apprécié l’allusion au gouffre de Padirac faite par Laborit dans ce livre. L’ayant moi-même visité, cette allusion a renforcée mon sentiment d’appartenance, de compréhension de l’œuvre.

(1)Prenons un exemple pour illustrer que la causalité linéaire, si elle est une étape afin de mieux comprendre les structures, n’est finalement qu’une simplification de la « réalité », comme la mécanique classique est une théorie plus simple, moins précise que la relativité générale. Ainsi, prenons l’exemple de l’eau. Une tentative de description linéaire de l’eau par l’addition de ses composantes, deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène, est une « bonne » approximation pour certaines choses (comme l’évaluation de sa masse). Mais elle n’est pas appropriée pour la compréhension de certaines propriétés émergentes de la molécule composée (l’hydrogène et l’oxygène, indépendamment, se consument, alors que l’eau ne se consume pas). Certains y voient une preuve que « le tout est plus que la somme des parties » et en concluent que la description scientifique des choses ne peut pas expliquer les propriétés émergentes. Ces personnes semblent croire que la démarche scientifique se limite à la causalité linéaire alors que ce n’est pas le cas. Par la chimie organique, ou de manière plus précise par la résolution partielle de certaines équations de mécanique quantique, on peut prévoir les propriétés émergentes de l’eau par la configuration spatiale des éléments la composant, par l’agencement de ses parties. Ainsi, il semble que la phrase : « Le tout est plus que la somme des parties » doive se prendre de manière littérale. Le tout est plus que la somme des parties, mais pas plus que l’agencement des parties. Il faut toujours garder en tête la phrase de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme.».

(2)« Ce que nous appelons bon ou mauvais, vrai ou faux, beau ou laid, etc., n’est pas tel dans le monde, en nous et autour de nous. Il ne devient tel que parce que cette énergie a laissé des traces mémorisées en nous et que notre survie, à quelque échelon de notre organisation qu’on l’envisage, de la molécule au comportement, exige que nous émettions ces jugements de valeurs. Ceux-ci n’ont donc pas d’autre valeur que celle que l’égoïsme individuel ou social, nécessaire à la survie, lui attache. »

(3)« Mais ce qui paraît essentiel de comprendre est que l’évolution, c’est l’espèce tout entière qui en prend la responsabilité et qui en est l’objet. Ce qui évolue essentiellement dans la courbe de Gauss dans laquelle s’inscrit l’ensemble des individus humains, c’est le « mode », ce n’est ni la moyenne ni la médiane, qui ne seront entraînées que secondairement. Si l’humanité ne répondait pas à une courbe de Gauss, elle cesserait d’être un système biologique et ce qui évolue c’est la valeur de l’observation dont la fréquence est maximum. […] Le « mode » n’est pas encore représenté par l’homo sapiens. Nous avons vu quelles étaient les raisons optimistes qui nous poussent à croire que cette époque approche. Mais aujourd’hui le « mode » est un type d’homme qui a faim et dont la culture relativiste n’est pas très différente de celle de l’homme préhistorique. »
Un livre fondateur... 10 étoiles

Comme tous les autres livres écrits par Henri Laborit, celui-ci, édité d'emblée dans la collection Idées de Gallimard en 1967, est fondateur d'une pensée non aristotélicienne qui nous fait encore en grande partie défaut et qui même, avec le retour programmé des intégrismes de tout poil, pourrait bien devoir bientôt "entrer en résistance". Je considèrerais pour ma part bien volontiers HL comme l'un de mes mentors ou "maître à penser" si je devais m'en attribuer un... Son point de vue non conformiste non seulement sur les sciences mais aussi sur la société, les moeurs, la philosophie même, sa dialectique qui repose sur la "sémantique générale " d'Alfred Korzybski est toujours novateur...

Enzobernero - - 83 ans - 9 février 2006