De belles paroles
de Esther Croft

critiqué par Libris québécis, le 25 août 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Les Beaux Parleurs
« Paroles, paroles, » chantait Dalida. Esther Croft a relevé le défi d’aborder le thème de la parole sous forme romanesque. Elle a donc su créer des Orphées assez convaincants pour charmer la bête sauvage qui taraudait le cœur d’une femme enseignant à des élèves en difficultés d’apprentissage.

Cette dernière a toujours souffert de son inaptitude à traduire ses sentiments en paroles. Quand, dans une famille, on apprend à vivre selon la consigne du « motus et bouche cousue », le langage ne peut servir d'exutoire à ses oppressions. Comme l'héroïne en est très consciente, elle espère libérer le verbe de sa prison.

Pour y arriver, elle cherche l’homme qui la ferait naître à elle-même. Celui qui connaîtrait les mots libérateurs, ceux que l’on veut entendre pour sortir de sa cache. Le premier volet de ce diptyque est consacré aux ensorceleurs qui savent faire danser le serpent aux sons de leur flûte. Elle marie un journaliste, un habile communicateur, à qui elle accorde toute sa confiance. À la mort de son mari, elle apprend à ses dépens qu’elle fut le jouet de ses belles paroles comme elle le sera du nouvel homme de sa vie trois ans plus tard. Les sauveurs sont fort appréciés, mais la déception accompagne souvent la découverte de leur intention première.

Dans le second volet du diptyque, l’héroïne quitte son village pour se refaire une virginité. Elle décroche un emploi auprès des aphasiques. Grâce à ses connaissances de l’art théâtral, elle parvient à leur donner des instruments efficaces pour recouvrer la parole. Ce travail établit un pont entre son passé oppresseur et son avenir maintenant prometteur. Paradoxalement, c’est au sein de gens démunis comme elle que la rédemption se manifeste. Comme le dit l’héroïne, « il y a des gens qui, rien qu’à nous regarder, rien qu’à nous sourire, même au fond de leur fragilité, parviennent à nous offrir quelque chose de précieux. Il y en a d’autres qui, même les bras chargés, la bouche exubérante et l’œil éblouissant, réussissent à nous déposséder. En ayant l’air, pourtant, de nous avoir comblés. Pourquoi est-ce si souvent ceux-là qui nous séduisent? Avons-nous à ce pont besoin d’être trompés pour réussir à vivre? »

C’est un roman très bien ficelé. L’auteure a su éviter la chapelle réservée aux intellectuels pour présenter une femme en proie à un problème de communication. Et sa plume parfois incantatoire pare son oeuvre d’une aura très poétique. Bref, Esther Croft dénonce les beaux parleurs comme La Fontaine dans Le Corbeau et le Renard.