Une affaire personnelle
de Kenzaburō Ōe

critiqué par Saule, le 7 mai 2001
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Un livre poignant
Un jeune marié, pas trop heureux dans son mariage, se dirige vers l’hôpital ou sa femme vient d'accoucher.
Il redoute la naissance de cet enfant qui va définitivement fermer la cage de son mariage et le priver de liberté.

A l'hôpital, il apprend que son fils est gravement anormal, ce qui va engendrer un sentiment de honte (d'avoir enfanté un "monstre") et un violent désir de rejet de l'enfant. Il va lutter contre une envie féroce de laisser mourir ou même de faire mourir l'enfant.

Évidemment, à première vue, ça n'a pas l'air très marrant, mais le livre en vaut vraiment la peine. L'aventure intérieure du jeune père, style de personnage anti-héros auquel on s'attache de par le drame qu'il vit, est réellement poignante.

Kenzaburo Oé, un auteur japonais, a eu le prix Nobel en 1994. Une affaire personnelle est son livre le plus connu. Le roman est en partie autobiographique, l'auteur ayant lui-même eu un enfant anormal.
Dérive affective 6 étoiles

Pas vraiment simple, Kensaburo Oé. Il semblerait néanmoins que l’histoire d’ « une affaire personnelle » soit un écho ce qu’il a pu connaître dans sa propre vie : la naissance d’un enfant anormal.
Bird est encore un jeune homme de 27 ans, pas encore bien mature et dont le vœu le plus cher est d’aller voyager en Afrique. Mais voilà Bird s’est marié – on n’est pas sûr qu’il en soit ravi – et sa femme – complètement absente, de manière curieuse, du roman – vient d’accoucher d’un bébé … anormal. Sa femme n’est pas encore au courant de ce qu’il se passe – le bébé a officiellement été emmené dans un hôpital pour subir des soins – et nous vivons avec Bird ces trois jours d’incertitude durant lesquels, tout à son immaturité, il va devoir gérer une situation abominable.
Bird est tiraillé entre son envie de bien faire (sous-entendu d’assumer …), de tout plaquer et f… le camp, de tuer le bébé (après avoir compris qu’il serait viable après qu’on lui eût laissé penser l’inverse …), … Tiraillé est le mot. Bird ne sait pas. Bird ne peut pas.
Rentre dans le jeu Himiko. Il fait sa connaissance pendant ces trois jours d’errance psychologique et il est sur le point de tout bazarder pour fuir, en Afrique, avec elle.
La fin est surprenante. Comme si, en trois pages, Kenzaburo Oé avait voulu nous faire oublier toutes les mauvaises pensées qu’avait pu avoir Bird. Bird, ou Kenzaburo Oé lui-même ?

« Sous la carte d’Afrique occidentale, tachée de sang et de boue, qu’il avait épinglée au mur, Bird dormait, roulé en boule, dans la chambre à coucher conjugale. Le berceau blanc du bébé à venir était posé entre les deux lits, toujours enveloppé dans sa housse de vinyle.
Bird rêvait et grognait, dans son sommeil, contre la fraîcheur de l’aube. Il était sur un plateau de la rive ouest du lac Tchad, à l’est du Nigeria. Que faisait-il en un tel endroit ? Soudain, un phacochère géant l’aperçut et fonça sur lui. Parfait ! Bird était venu par goût de l’aventure, pour rencontrer de nouvelles tribus et des dangers mortels, pour découvrir ce qu’il y avait au-delà de l’horizon d’une vie quotidienne trop paisible et constamment décevante. …/…
La sonnerie du téléphone le réveilla en sursaut. C’était l’aube – et il pleuvait toujours. Bird se leva et se précipita vers le téléphone. Une voix d’homme, après avoir prononcé son nom, lui dit sèchement :
- Venez immédiatement à la clinique, s’il vous plaît. L’enfant est anormal. Le médecin vous expliquera.
Brusquement, Bird se sentit à la dérive. Il aurait voulu retrouver son plateau nigérian et son rêve, si effrayant fût-il. Il se ressaisit et, d’une voix qui se voulait indifférente, demanda :
- La mère va bien ?
- Oui, votre femme va bien, mais venez aussi rapidement que possible, s’il vous plaît. »

Tistou - - 67 ans - 6 août 2012