Lord Jim
de Joseph Conrad

critiqué par FightingIntellectual, le 16 août 2005
(Montréal - 41 ans)


La note:  étoiles
Lord Conrad
Booh! Je suis de retour. Après un mois rempli avec un festival du film fantastique, des déboires amoureux et un retour à l'entraînement, je viens vous donner le compte rendu du seul livre que j'ai eu le temps de lire... et quel livre!


Lord Jim met en scène le même narrateur que Au Coeur des Ténèbres, ce curieux marin dénommé Marlowe. Cette fois-ci Marlowe nous entretient sur cet étrange, voir extra-ordinaire homme nommé "Tuan" Jim par les indiens, homme qui a laissé son empreinte dans la vie de plusieurs autres marins.

Marlowe rencontre Jim à son procès pour avoir déserté un navire rempli à craquer de pèlerins pendant qu'il coulait (belle bourde hein?) Alors Marlowe vient à discuter avec ce jeune homme au caractère romanesque et à l'aider a se relancer comme marin, mais également comme personne.

Jim trouve finalement ancre à Patusan, une ville Mélanésienne où il vient à bien se mélanger à la population locale et à leurs affaires politiques locales... jusqu'au jour oooùù....


C'est ici que j'arrête mon résumé. Lisez-le si vous voulez en savoir plus. Personnellement je vous conseille fortement cet ouvrage, qui au delà des errances de marins, va gratter ce mal existentiel face à l'impuissance et va faire une brillante apologie de l'amour fraternel. Le style de Conrad est touffu et riche comme à l'habitude, mais ce roman mérite une lecture attentive, voire religieuse.

Un roman superbe!
Récit d'un temps où des européens essayaient de faire oublier leurs échecs en partant dans des colonies 10 étoiles

J'ai choisi une édition de Lord Jim par hasard : celle d'Oxford University Press publié en 2008 . Elle comprend une « introduction » (à lire en épilogue) et des notes de Jacques Berthoud qui était un professeur de littérature anglaise né en Suisse et qui a aussi vécu dans l'ancienne Afrique du Sud .
Bien que le roman comporte déjà des longueurs , cela vaut vraiment la peine de lire aussi les commentaires de Jacques Berthoud. Il explique tout le contexte du roman à commencer par son titre , Lord Jim, considéré comme un oxymore : un aristocrate à prénom populaire.
Le fil conducteur du livre est l'honneur perdu de Jim , que celui-ci s'efforce brillamment de reconquérir en s'exilant à Petusan , pays fictif complètement isolé du reste du monde . Au péril de sa vie Jim sauve ce pays de la tyrannie et en devient le dirigeant adulé de la population. Cependant son destin va finalement se retourner par la venue d'un compatriote aventurier d'origine aristocratique pour qui le code de l'honneur est tout autre. Finalement l'arrivée de ces blancs , qu'ils soient bien ou mal motivés , ne conduit au final qu'au malheur des autochtones.
Ceci est clairement expliqué par Jacques Berthoud . Joseph Conrad comprend de manière anticipée l'échec final de tout colonialisme. Il explique aussi le basculement du code de l'honneur , gagné de naissance dans l'ancienne aristocratie tandis qu'il s'acquiert par le mérite dans le monde moderne.
Pour autant les autochtones ne sont essentiellement décrits qu'à travers la vision de Marlowe le narrateur qui, bien qu'éclairé et bienveillant, reste un occidental .

Nav33 - - 75 ans - 11 octobre 2023


Un monologue enchanteur 10 étoiles

Dans Kampuchéa de Patrick Deville, l'auteur fait énormément référence à Lord Jim de Conrad. Ainsi, tout naturellement, lorsque j'ai trouvé ce livre chez mon libraire, je n'ai pu n’empêcher de le prendre avec moi.

J'ai ainsi découvert, l'histoire de ce Jim, qui "parce qu'un jour il a été lâche, abandonnant un navire et sa cargaison de pèlerins, errera de port en port, cachant sa honte"

Le livre n'est certes pas facile, quasiment aucun dialogue n'y est présent, mais le long monologue que le narrateur entretien avec son public durant les quelques 400 pages du roman, suffit à lui seul à nous tenir en haleine.

C'est donc un roman difficile à lire, non tant par son langage qui est sublime, mais par sa structure même. Cependant, une fois passé cet obstacle, s'offre à nous une histoire d'amitié, d'aventure et d'amour unique se déroulant au début du siècle, que je conseille à chacun

Momoshaouse - - 39 ans - 23 novembre 2011


allez, venez milord... 10 étoiles

Un récit dans le récit, qui ravira le fan-club de Stefan Zweig. Jim (on ne saura pas son nom de famille, ni celui de tous les personnages), est second sur une navire marchand transportant plusieurs centaines de pèlerins vers La Mecque, commandé par un capitaine à la moralité plus que douteuse. A l'occasion d'un naufrage dans l'Océan Indien, il va fuir le navire en train de sombrer, en compagnie du capitaine et de sa clique, et gagner ainsi la vie sauve sans avoir porté secours aux occupants, tous disparus. A l'issue d'un procès maritime, auquel il aura eu le courage d'assister alors que les autres membres de la bande ont réussi à se défiler à temps, il sera déchu de son titre et vivra ensuite dans la honte perpétuelle de la faute qu'il a commise. Tel est le point de départ d'un récit qui va nous emmener dans les coins les plus reculés d'une Asie insulaire dominée à l'époque (victorienne) par l'Empire Ottoman et les grandes puissances occidentales. Dans un monde régi par la cupidité et la lâcheté des puissants (une peinture sans concession de la "Belle Epoque", tout actuelle) "Lord" Jim, ainsi appelé par les habitants d'une île imaginaire peuplée de malais, va racheter sa faute en devenant un parangon de sagesse et de courage, jusqu'au jour où le monde qu'il croyait fuir va se rappeler à son bon souvenir. Une peinture sans concession de l'âme humaine, dans tous ses replis visibles et invisibles, où l'auteur a mis une bonne part de ses angoisses face à son propre passé. Un récit tortueux, parfois ennuyeux dans sa première partie (le procès, qui n'en finit pas...) mais qui restera gravé dans la mémoire du lecteur. Malgré le décor, maritime à souhait, la mer dans ce beau récit à quatre voix (Jim, Marlow, Stein, Brown) est avant tout une mer intérieure...

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 75 ans - 30 août 2009


Subliminal 10 étoiles

Lire Conrad c’est se rappeler pourquoi la littérature tient du sublime. Génie de la narration il l’était incontestablement. J’affectionne particulièrement ces écrivains donnant à leur texte une dimension surhumaine et épique par la simple force de leur narration. Dans ce registre et de mémoire de lecteur très peu semblent égaler Conrad. Shakespeare bien sûr dont l’ombre plane comme toujours au-dessus des autres, Kipling, à l’image de Conrad trop souvent méjugé. Et Jack London. Bon d’accord la prose de Jack London n’a rien à voir avec celle de Conrad. Elle est même à l’opposé du maître anglais. Pourtant Conrad et London occupent dans mon panthéon personnel une place vitale. Leurs œuvres se font écho, elles parlent d’hommes, d’amoureux de la mer aspirant à des existences tout aussi démesurées que l’océan est infini.

Quand Conrad traite son sujet avec pour principale force sa prose puissante et homérique, London - précurseur de toute la mouvance qui pour moi caractérise le renouveau stylistique du roman américain - répond de son style bref, parfois journalistique, parfois naïf mais toujours dans le mille, là ou il faut, prêt à toucher le lecteur. Si London n’a pas le talent de Conrad, cette aptitude à rendre un sujet intense et puissant en alignant de simples phrases recréant tout un univers devant les yeux du lecteur, il a en revanche ce qu’il manque bien souvent à Conrad, un soucis de toujours conserver son lecteur à portée, à le garder près de lui, comme Hemingway ou Steinbeck le feront plus tard. C’est pour moi un mystère total et un talent que j’admire énormément. Leur style bien que minimaliste, fait de phrases courtes, intensifie la narration, lui donne une vie dans laquelle le spectateur évolue volontiers.

C’est là tout ce qui différencie ces deux catégories d’écrivains, l’Angleterre de l’Amérique, Conrad, Kipling et Shakespeare de London, Steinbeck et Hemingway. Quand les premiers rendent leur histoire dantesque, inaccessible au simple mortel, les seconds la banalisent presque ou du moins la simplifient le plus possible, ne se tiennent qu’à l’essentiel toujours demeurant sur terre même dans leurs rares envolées lyriques parsemant par fulgurances leur œuvres respectives (le plus bel exemple en est des souris et des hommes de Steinbeck). Au contraire chez les anglais, le moindre récit tutoie le firmament pour toujours rappeler au lecteur qu’il n’est rien, que ce qu’il lit est un tout inaccessible, que jamais le pauvre être qu’il est ne pourra être autre chose qu’un simple spectateur.

Beauté de l’écriture, dégustation perpétuelle d’une histoire contée de main de maitre, Lord Jim est une œuvre aussi idéaliste que l’est son protagoniste, jamais bancale même dans son découpage grossier et brutal, une page blanche entrecoupant les deux parties du récit qui ne se suivent pas tout à fait. Procédé classique de narration pour résumer ce qui s’est passé entre les deux parties du récit et retour en arrière un tantinet agaçants. Allant jusqu’à dynamiter subtilement l’action et la chute du roman, Conrad nous dit que l’essentiel n’est pas forcément là où on l’attend que le moindre tournant est fascination plus grande encore que la fin du récit, car c’est à ça que nous invite Conrad par-dessus tout, au destin d’un idéaliste dont on connait déjà la fin, cierge se consumant aussi fébrilement que sa vie sera éternelle, les pages se suivent et cheminent vers un but convenu depuis un long moment. La fatalité n’est pas une facilité pour le romancier, elle est au contraire, lorsque celle-ci est illustrée de manière aussi parfaite, l’une des preuves irréfutables que le livre que nous venons de lire est immense, assez grand pour se ranger aux côtés d’un Macbeth ou d’un Nostromo.

Khan - - 37 ans - 3 mai 2008