L'heure du roi
de Boris Hazanov

critiqué par Sahkti, le 9 août 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Rêve ou réalité?
Dans ce conte philosophico-politique, Boris Khazanov installe ses lecteurs dans un pays imaginaire, le Royaume de Cédrix X, dirigé par un roi paisible qui a ses petites manies, comme celle de faire chaque jour le tour de la ville à cheval. Comme tant d'autres, ce pays tombe sous la domination nazie. Il faut bien s'y faire, chacun tente de s'en accomoder. D'ailleurs le Reich, pour certains, ce n'est peut-être pas si mal que ça, ça a le mérite de remettre de l'ordre. Et puis on n'embête pas trop les gens, ils sont épargnés. Cependant, lorsque les Juifs sont contraints de porter l'étoile jaune, là, non, quelques-uns refusent de regarder sans bouger, en particulier le roi Cédric.

L'histoire peut paraître classique, l'écriture de Khazanov aussi. Un petit pays qui vit dans le bonheur, beaucoup d'allégorie, des personnages au caractère fort, une fin presque heureuse... oui, tout cela peut sembler assez "banal" et pourtant, il n'en est rien. Khazanov parle de liberté et de bien plus encore. La liberté que l'on possède en posant des actes forts, celle qu'on nous accorde en raison de notre soi-disant utilité ou non-utilité (cette contrée miniature est épargnée en raison justement de son impuissance, tel un rocher connu qui ne ferait peur à personne) et puis la perte de tout repère réel, qui n'apparaît pas directement dans le récit mais prend peu à peu place lorsque le lecteur fait face à l'engouement suscité par le régime hitlérien. Engouement dû au symbolisme puissant qui s'en dégage, davantage qu'aux promesses, et qui perd subitement de sa superbe lorsque l'invasion hitlérienne prend concrètement forme sous les yeux des populations menacées. Fini de rêver, la réalité a repris le dessus et elle n'est pas belle.
Sur ce point Boris Khazanov se joue du lecteur comme il se doit, en le conduisant à gauche et à droite, à l'aide de passages savoureux et pleins d'humour, de caricatures attendrissantes, de décors presque oniriques... tout cela ressemblerait presque à un conte de fée si justement, les faits racontés relevaient de l'imaginaire. Quand on même réaliré et fiction, tôt ou tard ça fait mal et c'est le cas ici. Khazanov l'a très bien compris.
Nous sommes tous des Juifs allemands ….. 8 étoiles


Un ouvrage qui se démarque des romans russes par sa brièveté. Plutôt qu’un roman, il apparaît plutôt comme une sorte de fable ou de conte philosophique. Il en a la brièveté, la densité narrative et descriptive. Il en possède aussi l’imprécision géographique et temporelle, les remarques témoignant de la présence régulière du narrateur tentant d’entretenir avec son lecteur un contact constant.

Une parabole sur l’exercice de la liberté, dont Boris Khazanov laisse au lecteur le soin de tirer la morale, lui donnant tout au long du récit des éléments permettant de former son jugement (réflexion sur le mythe du Reich et sur son « caractère délirant », compilation de considérations nazies sur les Juifs….)

L’ouvrage présente aussi la figure d’un Roi humaniste, à la fois sommité médicale et dirigeant apparemment soumis d’un petit état qualifié de « protectorat exemplaire » par le Fürher, mais qui prend le risque de défier l’occupant par le port de l’étoile jaune , montrant ainsi sa proximité et sa solidarité avec ceux qui sont persécutés .

Cette courte chronique des dernières années du roi Cédric X est aussi un délice de lecture avec son écriture précise, riche, dépouillée du superflu qui s’adapte à des atmosphères et des tonalités bien différentes. Alternent des scènes d’extérieur , violentes, où les envahisseurs sont présentés comme des créatures d’acier invincibles et fantastiques , et des scènes d’intérieur, plus calmes montrant le Roi, en famille, parfois empreintes d’une forme d’humour pour évoquer la vie quotidienne du monarque conscient de n’être plus qu’ « une pièce de musée inutile ».

Un récit concis, à lire lentement pour en éprouver à chaque ligne la puissance suggestive.

Alma - - - ans - 29 octobre 2011


Moi, j'ai adoré !!! 10 étoiles

« L’heure du roi » est un ouvrage fascinant à plusieurs titres et je vais tenter de vous convaincre de l’ouvrir… ce qui devrait suffire pour en venir à bout car cette fiction n’est pas très longue. Heureusement la qualité d’un texte n’est pas liée à sa longueur…
Le premier atout du texte est sa qualité littéraire intrinsèque. En effet, malgré la traduction – certains opteraient pour « grâce à la traduction » – il s’agit d’une littérature d’une finesse exquise, d’un langage raffiné, d’une page qui enchante… La traductrice, dans une remarquable postface, raconte qu’un ami russe lui dit un jour :
« L’heure du roi ? C’est le plus beau morceau de prose russe de cette seconde moitié du siècle ! »
Il serait osé de ma part de prendre parti sur une telle affirmation, mais j’affirme que je suis encore sous le coup de cette lecture car on a le sentiment que chaque mot, chaque ponctuation, chaque action, chaque personnage est là pour participer à la narration, à la réflexion du lecteur, à la construction d’une œuvre qui dépasse le lecteur, le traducteur, même l’auteur, qui sait… La concision du texte, à la manière d’un conte, pousse à l’économie des allusions supplémentaires et inutiles… Ici, tout est fait pour aller à l’essentiel, c’est à dire au message de fond, à la transmission des impressions…
Ce conte est marqué par l’Histoire, oui celle avec un H. Pourtant, les faits ne sont pas strictement tirés de l’histoire évènementielle… Un petit royaume est envahi par l’Allemagne nazie. Ce royaume pourrait ressembler à un mélange du Danemark, des Pays-Bas, de la Belgique… Le roi est le personnage principal, pas au sens traditionnel des héros, plutôt comme un personnage que tout le monde regarde, dont tout le monde attend les réactions, qui symbolise un peuple et dont chaque acte peut avoir des conséquences vitales pour un grand nombre d’innocents… En fait, ses premières réactions sont à l’image de ce que de nombreux chefs d’Etats firent : hésitation, acceptation, capitulation, humiliation consentie… On peut imaginer une histoire qui se limiterait à cette attitude, mais Boris Khazanov veut qu’un fait change la donne et provoque un incident qui basculera dans la tragédie. Que se passe-t-il ? C’est la décision des nazis d’imposer à tous les Juifs cette « petite » étoile jaune sur leurs habits… Oui, il arrive que certaines décisions ne puissent pas être acceptées, fassent déborder des vases, poussent à franchir des lignes rouges… C’est ce qui arrive lorsque Cédric X apprend, un peu par hasard, cette obligation faite à certains de ses sujets…
Je ne veux pas vous délivrer tous les éléments de ce récit, vous en prendrez connaissance en le lisant. Par contre, il est important de savoir qu’il existe d’autres niveaux de lecture pour « L’heure du roi ». En effet, Boris Khazanov est aussi – surtout – un dissident soviétique. Son texte, à priori axé contre la dictature nazie est une réflexion qui permet de réfléchir à ce qu’est un régime qui prive le peuple de toute liberté et qui pose, aussi et surtout, la question de la résistance : à quel prix peut-on s’opposer à un tel régime ? Oui, résister et s’opposer est un acte normal pour un être humain mais, parfois, l’acte courageux peut se révéler dangereux, voir mortel, pour des innocents… Un escadron de la garde qui charge de façon artisanale contre des chars… pour conduire à la mort, violente, tous les gardes ! Le chef d’escadron qui, lui aussi, a perdu la vie a-t-il mesuré les conséquences de son ordre ?
Et le roi a-t-il bien réfléchi aux conséquences de ses actes ? De toute façon, c’est aussi en filigrane de ce conte de Khazanov, le roi est mis par les nazis dans un piège sans bonne solution : quoi qu’il fasse, il aura toujours tort ! S’il résiste, il pousse son pays dans le drame sanglant et on lui reprochera amèrement tous ces morts inutiles… S’il laisse les nazis entrer chez lui, s’il laisse les Juifs se faire déporter, il portera une lourde responsabilité et on ne lui pardonnera jamais… Enfin, s’il se rebelle en cours de route, au moment où il refusera de franchir son Rubicon, ou plus exactement quand il le franchira, on le harcèlera de questions du genre : pourquoi avoir tout accepté jusqu’à maintenant et refuser maintenant ? C’est trop tard ! Quel fou ! Quel inconscient !
Boris Khazanov pose aussi la question spécifique de l’antisémitisme dans un pays où sa présence est très forte, y compris dans le régime soviétique. C’est courageux de sa part et ça garde un sens de nos jours quand on voit de que ce sentiment nauséabond perdure…
Vous l’aurez compris ce texte de Boris Khazanov n’est pas seulement une page de littérature raffinée, c’est aussi un texte de réflexion politique qui n’impose aucune solution simpliste et qui ne laisse pas indifférent.
J’ai beaucoup aimé et je ne peux que vous inviter à le lire… C’est l’heure de lire cet ouvrage !

Shelton - Chalon-sur-Saône - 67 ans - 1 septembre 2009