Mademoiselle Stark
de Thomas Hürlimann

critiqué par Sahkti, le 7 août 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Odeurs érotiques
"Un pied revêtu de nylon se déchausse et pour la première fois se produit le miracle d’une odeur fleurissante, ce parfum de pied de femme, un mélange spécial de sueur fraîche, de lilas et de cuir..."

Thomas, le héros de ce récit du suisse allemand Hürlimann, est un jeune garçon dont l'oncle est prélat à Saint-Gall, prestigieuse abbaye disposant d'une bibliothèque de toute beauté, riche en éditions précieuses et en ouvrages rares. Un véritable paradis feutré où l'on circule en chaussons afin de ne pas griffer le parquet et ne pas faire de bruit. Autant dire qu'il règne en ce lieu une atmosphère chargée de mystère et de solennité qui ne peut qu'impressionner le jeune homme qui vient y passer l'été avant d'entrer en internat. Sa mission consiste à donner aux visiteurs de passage les précieux patins et à les aider à les enfiler. De temps à autre, jeunesse et fougue obligent, une main se perd sur un mollet, une jupe est levée quelques centimètres plus haut que ne l'exige la tâche, le souffle se fait plus court et le coeur battant. C'est plein d'émois attendrissants, Hürlimann décrit avec pas mal de sensibilité ces premiers effleurements et les troubles d'un corps en éveil.
Mais ce n'est pas tout. L'adolescent dispose d'un nez à l'odorat extrêmement développé qui lui permet de déceler (et reconnaître) les odeurs féminines. Plus encore que le toucher, l'odorat devient plaisir sensuel et vecteur d'un érotime discret mais puissant.
L'oncle s'aperçoit du stratagème mais c'est un homme (du genre épicurien), il comprend ce genre de choses, il fait semblant de rabrouer son neveu. Seulement voilà, il y a Mademoiselle Stark, la gouvernante des lieux, qui se met en tête de veiller à la bonne éducation morale de Thomas. Une femme rigide et redoutable.

C'est un roman de tendresse et de douceur avec quelques notes d'humour, un peu de poésie et un brin de nostalgie, comme si l'auteur se remémorait ses jeunes années et les couchait sur papier. (Lui aussi, comme son héros Thomas, a usé ses fonds de culottes à l'internat du couvent d'Einsiedeln.) Une lecture-détente de qualité même si on peut (un tout petit peu) reprocher à Hürlimann de ne pas avoir le talent de Patrick Süskind ou de Rhadika Jha pour parler des odeurs en leur donnant vie.
Sinon, les émois de la puberté sonnent admirablement justes. Tout comme les angoisses vécues par Thomas lorsqu'il met à profit les longues heures passées dans la bibliothèque pour retracer la généalogie de sa famille qui ressemble à une commode à tiroirs pleins de secrets.