Ellernklipp, la roche maudite
de Theodor Fontane

critiqué par Fee carabine, le 20 juillet 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Nostalgie et fatalité
Au XVIIIème siècle, le petit village d’Emmerode, en Allemagne, coule des jours paisibles au pied du château comtal. Et la mort d’Erdmuthe Rochussen, la veuve d’un pauvre bûcheron, ne perturbe en rien le calme cours des choses – si ce n’est pour sa petite fille Hilde et pour la famille du garde-forestier qui a accepté de recueillir l’orpheline, malgré la rumeur qui rôde, faisant planer le doute sur l’identité du père d’Hilde… Et les années s’écoulent tout aussi paisiblement, malgré quelques événements dramatiques – la mort d’un braconnier abattu par le garde, l’incendie qui détruit la masure de la mère d’Hilde. Theodor Fontane nous dresse un tableau idyllique de la vie d’un petit village allemand à la fin du XVIIIème siècle, tableau tout en nuances, imprégné de douceur de vivre. Mais…

Parce que bien sûr, il y a un “mais”. Même si au début ce ne sont que quelques petites touches sombres dans la douceur de ce tableau si plein de charme. La langueur, l’inexplicable nostalgie qui parfois s’emparent d’Hilde. La crainte que la sévérité du garde-forestier inspire à sa maisonnée, et l’ombre qu’elle fait planer sur les tendres sentiments qui s’ébauchent entre Hilde et Martin, son frère adoptif. Et surtout le rocher d’Ellernklipp, qui borde le chemin descendant du plateau où se trouvent les ruines de la maison des parents de Hilde vers le village, un rocher qui dresse sa paroi aride et nue au-dessus d’un à-pic vertigineux. Petit à petit, la tension monte, les passions s’exacerbent et le destin se met en marche, suivant un cours inéluctable.

Ce roman inspiré par un fait divers tragique n’est sans doute pas le meilleur livre de Theodor Fontane, auteur allemand du XIXème siècle, et qui est considéré comme le fondateur du roman réaliste de langue allemande. “Le Stechlin” ou “Cécile”, par exemple, nous offrent des descriptions très fines de la petite noblesse terrienne et du milieu militaire qui constituait l’épine dorsale de la société prussienne du XIXème siècle, un microcosme figé dans une certaine idée de l’honneur et de la bienséance qui n’a rien à envier à la bonne société américaine dépeinte dans les romans d’Henry James ou d’Edith Wharton. “Ellernklipp, la roche maudite” n’atteint pas à la profondeur de ces deux autres romans, mais c’est une belle opportunité de découvrir les qualités d’écriture de Theodor Fontane. Et un agréable moment de lecture.