Le grand-père espagnol
de Jean Cantos

critiqué par Sahkti, le 27 juin 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La guerre d'Espagne
De nombreux écrivains se sont politiquement engagés de diverses manières pendant la guerre civile espagnole. Juan Cantos fait partie de ceux-ci.
Dans "Le Grand-père espagnol", Cantos nous narre l'histoire d'un grand-père, un paysan, qui décide d'apprendre l'école de la vie et de la nature à son petit-fils. Cependant, cela se fait à l'ombre de la guerre civile et l'ouvrage est émaillé de témoignages que l'on devine très personnels.

Ce n'est pas un ouvrage politique mais une biographie voilée sous l'apparence d'un roman plein d'humour et de tendresse. Un véritable hymne à la nature auquel Juan Cantos donne énormément de vie, cela fait naître une certaine nostalgie, celle de l'enfance et des étés à la campagne, celle de l'insouciance. Et puis il y a la guerre, celle qui met un terme aux rêves et aux illusions. Plutôt que l'affronter directement, Cantos choisit une voie plus subtile, celle de l'arrière-plan, donnant au conflit la place qu'il mérite, à savoir celui d'empêcheur de tourner en rond. Cela permet d'en mesurer bien mieux l'impact sur la vie quotidienne d'un tas de gens, en particulier dans les villages et la campagne perdue.

Un extrait:
"Au cours de l'été 1938, quelques jours après que les troupes de Franco eurent investi le village, ma grand-mère revenait des champs avec une corbeille de légumes en équilibre sur la tête. Devant l'abattoir, elle rencontra une amie avec laquelle elle bavarda un moment, le temps d'échanger des nouvelles de leurs familles respectives. Un détachement de Navarrais à cheval, cape au vent, scapulaire sur la poitrine, arriva à leur hauteur. L'officier, un homme au visage dur mangé par la barbe, leur demanda le chemin de la gare sur un ton violent. Ayant reçu l'information, il ordonna aux deux femmes de saluer le passage de la troupe, main levée, bras tendu, en criant:"Vive le Christ Roi! Vive Franco!"
L'une s'exécuta aussitôt en tremblant. La Religieuse refusa d'obtempérer. Posant la corbeille à ses pieds, elle croisa ostensiblement les bras, en signe de défi. L'officier s'en aperçut, arrêta la progression des cavaliers, fit demi-tour, descendit de cheval, décocha un coup de pied à la corbeille qui déversa son contenu dans la poussière et hurla:
"Toi, mujer, salue avec le bras tendu!"
Sur le point de défaillir, l'amie implora la Religieuse de s'exécuter. Peine perdue. Ma grand-mère était entrée en résistance. Tout d'un coup ! "