La leçon d'allemand
de Siegfried Lenz

critiqué par Saule, le 26 avril 2001
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Un roman allemand, intéressant mais un peu long
Siggi, jeune écolier dans une école de redressement, doit rédiger une rédaction sur le sujet 'Les joies du devoir'. A partir de là, il retrace son enfance durant la guerre, dans un petit village perdu tout au nord de l'Allemagne. Son père, l'agent de police du petit bled local, reçoit l'ordre de Berlin de confisquer les oeuvres d'un peintre célèbre et de lui interdire d'exercer la peinture. Par sens du devoir au début, parce qu'il y prend goût ensuite, il va exercer les ordres sans aucun discernement, avec un fanatisme aveugle. Le jeune Siggi se trouve impliqué malgré lui dans le conflit entre son père et le peintre qui lui est très proche. A l'inverse de son père qui n'éprouve que du mépris pour les peintures de l'artiste, il se sent une obligation morale de sauver les peintures qu'il apprécie.

On dit que l'auteur, qui a écrit ce livre en 1968, exprime le sentiment de culpabilité général de la nation Allemande pour les atrocités commises pendant la guerre. L'extrait suivant illustre cela me semble-t-il: "Le peintre répliqua qu'il se rendait compte de pas mal de choses; il s'était notamment rendu compte des méfaits d'une maladie nommée devoir et il était dorénavant décidé à se battre contre cette maladie; les victimes exigeaient cela, les victimes du devoir".

A mon avis un livre intéressant, puissant, mais qui nécessite un investissement du lecteur; le livre est long (trop ?) et un peu difficile d'accès. Le livre permet aussi d'appréhender la littérature allemande via un roman très connu en Allemagne, et vaut certainement la peine d'être lu.
Un devoir bien difficile ! 10 étoiles

Siegfried Lenz (1926-2014) est l'un des écrivains allemands les plus connus de la littérature de l'après-guerre et d'aujourd'hui. Il est l'auteur de quatorze romans et de nombreux recueils de courtes histoires, d'essais et de pièces radiophoniques ou théâtrales. Il a obtenu le Prix Goethe en 1999.
"La Leçon d'allemand " parait en France en 1970.

C'est dans un centre de rééducation pour adolescents que s'ouvre le roman.
Le jeune Siggi Jepsen doit rédiger un texte dont le sujet est "Les joies du devoir" .
Un thème qui peut sembler anodin mais qui -pour Siggi- est lourd de sens.
Tellement lourd qu'il rend feuille blanche. Le directeur de l'établissement le somme de travailler pour en sortir quelques pages.
Quelques pages qui vont prendre des heures, des jours, des semaines.
Car c'est une enfance douloureuse, jusqu'ici enfouie au plus profond de lui-même, qu'il va falloir libérer.
Celle d'un père policier, chargé par le régime nazi de surveiller et saisir les peintures effectuées par son ami d'enfance.
Un père qui remplit son devoir jusqu'à l'absurde, piétinant les relations amicales et familiales.

Une oeuvre puissante, dense, où la symbolique est omniprésente.
La région de Hambourg , l'Elbe, le vent puissant, les moulins à vent, les couleurs ternes.
L'auteur nous plonge dans une page sombre de l'Histoire mais le message est plus vaste.
Face à la dictature, l'Art reste une réponse majeure.
L'auteur nous interroge sur la rééducation (ou son absence) d'une génération qui a agit en pensant "faire son devoir" .
Un très, très grand roman dont je dois la lecture à une fidèle "prescriptrice" (Merci Alma !)

Frunny - PARIS - 58 ans - 11 novembre 2017


Le sens du devoir 9 étoiles

On ne connaît pas au début du livre, les raisons exactes de l'enfermement de Siggi ; quelques indices seulement. La rédaction imposée par le professeur d'allemand va être l'occasion pour lui d'écrire son enfance avec une volonté impressionnante de vérité, une espèce de devoir de mémoire, de témoignage.
"Je ne parle pas de n'importe quel pays mais de mon pays ; je ne relate pas n'importe quel malheur, mais mon propre malheur ; d'une façon générale, je ne parle pas à la légère. Ce qui ne vous tient pas à cœur ne vous engage à rien."

Il y a d'abord une région. Une région très rurale, où plus encore qu'ailleurs, tout se voit, tout se sait dans ces paysages plats, entre digues et mer.
Les superbes descriptions, nous plongent dans une ambiance très particulière avec beaucoup de réalisme .
Il y aussi une époque : la guerre, la toute-puissante Allemagne, le front assez lointain, en 1943, puis la capitulation.

Et surtout, un homme, l'agent de police de Rugbüll, Jans Ole Jepsen, son père.
Cet homme rigide applique les ordres. Impeccablement, implacablement. Sans états d'âme.

"Brodersen (le facteur) dit dans son dos : qui sait combien de temps tout ça va encore durer ; en plus un jour pareil ; vous devriez vous demander ce qui importe réellement ; ça ne peut plus durer bien longtemps, voyons.
Okko, dit mon père, j'ai rien entendu de tout ça et si tu veux le savoir : je ne me demande pas ce qu'on gagne à faire son devoir et si c'est utile tout ça. Où est-ce qu'on irait si on se posait tout le temps la question : et qu'est-ce qu'il y aura après ? On peut pas faire son devoir selon l'humeur du moment ni se demander si c'est prudent ou non, si tu vois ce que je veux dire.
Il peut être salutaire de ne pas faire son devoir à certains moments, dit le vieux facteur ; nombreux sont ceux qui se sont préservés à ce prix. - Pour moi, ces gens-là n'ont jamais fait leur devoir, dit mon père sèchement."

Et puis "l'oncle Nansen", le peintre. Natif du même village, il a autrefois sauvé la vie de Jepsen. Une amitié tacite règne entre eux.
Jusqu'au jour où interdiction lui est faite de peindre. Interdiction notifiée et vérifiée par Jepsen.
Siggi, spectateur discret, assiste avec une neutralité bienveillante aux faits et gestes des uns et des autres.
Puis lentement, il va prendre conscience de l'opposition entre la rigidité obsessionnelle de l'un face à l'humanisme de l'autre.
Que ce soit avec un ami, puis avec chacun de ses propres enfants, son fils ainé Klaas, sa fille Hilse puis son dernier, Siggi.

Peu de choses à ajouter aux excellentes critiques précédentes.
C'est un livre puissant, sans ennui aucun, dans une tension permanente et un crescendo accrocheur.
L'évolution inexorable du policier est décrite de manière magistrale, envers le peintre puis son fils aîné, sa fille jusqu'au dernier né.
Les seules pages qui m'ont le moins intéressée sont les monologues du peintre avec ses toiles.
Mais j'ai surtout été, dans un livre aussi dense très gênée par la petitesse des caractères, la mauvaise impression, lettres invisibles ou effacées, ainsi que les nombreuses fautes nécessitant de fréquentes relectures, interrompant l'élan de lecture.
Je finis édifiée avec encore quelques questions, notamment sur le rôle de la mère, dont il est dit peu de choses. Et j'aurais aimé quelques pages de plus pour repartir avec le jeune homme qu'il est devenu.

Marvic - Normandie - 65 ans - 29 mars 2016


« Les méfaits d’une maladie nommée devoir » 10 étoiles

Rédiger un texte ayant pour sujet « Les joies du devoir » telle est la punition infligée au narrateur Siggi, un adolescent enfermé dans un centre de redressement. Le personnage central de ce devoir s’impose aussitôt à son esprit : son père, le policier de Rugbüll, avec « sa terrifiante bonne conscience », celui qui remplit sa mission « à la lettre et sans scrupule », même quand les temps ont changé et qu’il n’est plus aussi impératif de poursuivre sa mission.

Pour rédiger ce devoir imposé, Siggi doit plonger dans le souvenirs de son enfance, dans son « Atlantide privée, la tirer de l’abîme, morceau par morceau ….. plonger encore et encore jusqu’à ce que j’aie tout remonté des profondeurs, tout ce puzzle de souvenirs que je voudrais reconstituer sur la table ». Cela lui prendra des jours, des semaines, pendant lesquels il se consacrera entièrement à cette tâche, refusant pour l’accomplir des chances d’évasion. A sa sortie, il emmènera les pages de son récit que le directeur qualifiera de « vivant exemple d’une persévérance à toute épreuve ». Ainsi, ce roman riche, dense, et touffu se présente comme la mise en abyme de la notion de devoir, « la maladie nommée devoir », analysant à la fois le comportement de l’acteur de ce devoir : le père et de sa victime : le fils .

Ne croyez pas que cette réflexion soit conceptuelle, elle s’inscrit au contraire dans une histoire familiale, celle d’une famille sèche, austère, sans tendresse où règne la loi du père – essentiellement désigné par sa fonction : le policier de Rugbüll - , et elle a pour cadre un village du Schlewig Holstein, où l’on voit vivre tout une petite collectivité , prise dans la tourmente de la guerre et partagée au sujet de l’ordre donné par le régime nazi de détruire les toiles du peintre du village, et que le policier est chargé d’exécuter. Siggi, l’enfant, qui s’est vu imposer par son père la charge d’espionner le peintre et à qui le même peintre a confié le soin de mettre en lieu sûr ses tableaux, se trouve tiraillé entre deux injonctions contradictoires données par celui auquel il doit obéir sous peine d’être cruellement battu et celui dont il admire les œuvres et auquel il cherche à s’identifier. Dilemme profondément perturbateur et aux lourdes conséquences …..

Le microcosme d’un village , celui du centre de rééducation ……et pourtant jamais le roman ne m’a semblé étouffant . Des pages magnifiques sur ce plat pays dominé par la silhouette emblématique du moulin, une terre inhospitalière, mouillée par les pluies, battue par les vents, abritée sous les digues,. Par son écriture puissante, d’une extrême précision, Serge Lenz parvient à rendre compte, en décomposant leurs mouvements comme au ralenti, des luttes constantes que ses habitants doivent mener contre les éléments.

De belles échappées autour du thème de la peinture. Dans ce pays baigné dans la grisaille et l’humidité, les toiles expressionnistes puissamment colorées de Nansi , « le maître paysagiste » , qui renvoient à celles de l’Allemand Emil Nolde, exaltent la dimension sauvage de cette terre désolée, et apparaissent comme des explosions de lumière « la couleur doit refléter l’émotion de l’homme confronté au monde, elle doit nous permettre d’accéder à une vision des forces élémentaires »

Un roman magnifique, dont la portée intemporelle dépasse largement le cadre de la période nazie. Il a laissé en moi une forte empreinte et jamais, en dépit de sa longueur, ne m’a lassée.

Alma - - - ans - 14 novembre 2015


Un souvenir mémorable 10 étoiles

Il y a des livres qui marquent de manière indélébile. Quand j'ai lu ce livre, tout autour de moi est devenu abstrait, seule ma lecture comptait. Je ne connais pas les rivages de la Baltique, mais au travers des descriptions vous y êtes transporté. C'est un livre qui vous ouvre les yeux en grand.

Un conseil, ne lisez pas le quatrième de couverture qui en dit bien trop.
Un deuxième conseil, quand vous avez terminé le livre, allez lire "le Tambour" de Grass. Et puisque je parle de Grass et que Pleine Lune le citait dans les grands auteurs allemands, je me permets de compléter sa liste avec le nom de Remarque que je mettrais même à la première place.
Un troisième conseil, n'écoutez pas Saule quand il dit que le livre est trop long, Saule comment peux-tu dire cela!

Yeaker - Blace (69) - 50 ans - 1 août 2011


L'école de l'Humanité 8 étoiles

Un roman à (re)découvrir d'urgence. S.Lenz avec G.Grass reste un des plus grands auteurs allemands contemporains. Le nazisme vu par les yeux d'un enfant partagé entre le pouvoir et la répression... Un regard critique sur une époque trouble, le doute permet de mieux élaborer un humanisme mesuré. Ecriture simple mais puissante, "La leçon d'allemand" est un classique du genre.

Pleine Lune - bruxelles - 75 ans - 3 septembre 2001