Journal hédoniste, numéro 3, L'Archipel des comètes
de Michel Onfray

critiqué par Jules, le 23 avril 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un livre à lire pour le plaisir et pour son originalité de pensée
Que de plaisirs réserve ce livre !… Vous me direz que c'est normal puisqu'il est écrit par un penseur hédoniste.
Ce que j’aime surtout chez Michel Onfray, c'est son refus des conformismes, de la morale bourgeoise. Chaque fois que cela lui est possible, il choisit les ruptures. Que ce soit en art ou dans d'autres domaines, cet écrivain est pour la sécession. C’est un espoir chaque fois renouvelé d’aller plus loin, de trouver autre chose, un nouvel enrichissement. Il nous dit que c'est bien souvent dans la reconstruction que de grandes choses se font.
D'ailleurs, de façon générale, l’auteur est contre la morale quand elle aboutit à écraser l'individu, quand elle sert à asseoir ou à défendre une institution, une caste, un ordre social. La loi du plus grand nombre est bien loin d’être nécessairement la bonne !

Vous apprécierez le texte d’ouverture qui nous montre un auteur pour qui écrire est une véritable nécessité physique. En outre, il ne peut écrire qu'en passant par la plume, l’encre et le papier, normal pour un hédoniste, non ?…
Ce livre est composé d'un grand nombre de textes d'à peine quelques pages. Parfois un peu plus courts, parfois un peu plus longs, ils ont tous une source d’inspiration assez concrète ou ont une finalité tournée vers le concret. L’idée de départ vient d'un événement de la vie courante, d’une
réflexion qui naît d’une rencontre, d'une pensée en réaction contre une attitude conformiste etc. Il y a du Montaigne et du La Bruyère dans ces textes.
Vous ne manquerez pas de sourire à la lecture de ses opinions sur les critiques ainsi que sur le monde intellectuel parisien.
Michel Onfray est un penseur hédoniste, mais cela ne veut aucunement dire qu’il pourrait être le défenseur d’une jouissance effrénée et sans morale aucune. L'amoralisme représente pour lui un vrai danger.
« Au commencement était le Verbe » nous dit-il. Il poursuit : « Et juste après, le pouvoir de dire non. » C'est là que l’homme peut se surpasser, se grandir, dans la mesure où les circonstances extérieures le lui permettraient.
Un excellent livre, très bien écrit, qui nous donne une solide base de réflexion pour tenter de voir le monde autrement.

Connaissance par les gouffres 8 étoiles

Mes collègues-lecteurs ont longuement présenté Michel Onfray, le philosophe hédoniste, apôtre d'une jouissance qui est présence au monde et affirmation de la vie, en-dehors de toute recherche de transcendance. Ils vous ont dit tout le bien qu'ils pensaient de son style plein de sève, de la vigueur avec laquelle il bat en brèche les conventions et les idées reçues ("Dans la bouche des femmes" a beaucoup amusé la féministe qui sommeille en moi).

Ils ont bien raison, mais ce qu'ils n'ont pas dit, et la raison pour laquelle je tiens à ajouter cette critique, c'est que l'hédonisme de Michel Onfray est aussi une philosophie du corps souffrant, du corps marqué par la mort mais qui choisit la vie de toutes ses forces... ou pour laisser la parole à Michel Onfray lui-même:

"J'aime la philosophie incarnée, vivante, de chair et d'os, engagée dans le réel, susceptible de produire des effets immédiats, de modifier une vie quotidienne, d'infléchir une existence tout entière. Après Nietzsche, j'en appelle à l'avènement du philosophe-artiste, de l'individu requis par la création entendue comme une question de vie ou de mort, de survie donc. Avec pareille figure, la pensée et le corps connaissent d'intimes épousailles par lesquelles la chair devient le matériau privilégié de l'oeuvre. Le créateur de livre ne mérite le détour et l'intérêt que s'il permet de créer une vie, la sienne, et peut-être aussi celle des amateurs de sculpture de soi. Un tel tempérament écrit son oeuvre avec son sang - il n'a pas le choix.
Un corps certes, mais un corps défaillant, fragile, d'une hypersensibilité maladive: le philosophe-artiste pratique la connaissance par les gouffres. Chez lui, l'oeuvre vaut thérapie, exercice médical, pharmacopée salutaire. Allopathie violente, brutale, homéopathie douce, délicate, l'une ou l'autre, peu importe. Ce qui compte pour le créateur? Le salut, la rédemption, l'équilibre, même précaire, pourvu qu'il évite de périr sous le coup violent des forces monumentales qui le travaillent. Créer, c'est sublimer, pratiquer la catharsis, la purification de soi, puis métamorphoser d'étranges et souveraines pulsions de mort en énergies vitales, vivantes et positives. Le corps pense, la chair écrit, l'oeuvre laisse un trace et témoigne."

Lecture oh combien salutaire!

Fee carabine - - 49 ans - 19 juillet 2004


Un certain art de jouir 9 étoiles

"L'archipel des comètes" est le troisième tome du "Journal hédoniste" de Michel Onfray, les deux premiers étant "Le désir d'être un volcan" et "Les vertus de la foudre". Journal, mais pas intime. Vous ne trouverez ici ni dates, ni confessions honteuses, ni ragots. 37 chapitres en forme d'articles ou brefs essais divisent ce livre et traitent de tout, dans un joyeux mais très cohérent désordre, en un style d'une très haute tenue littéraire et, pour employer un terme récurrent chez Onfray : jubilatoire.
Beaucoup de grands moments dans ce livre. Onfray a tous les talents, magnifique dans l'éloge, pugnace et parfois venimeux dans la critique, toujours superbement, sans jamais relâcher une pensée qui reste ferme et vigoureuse, pleine de sève et d'allant.
Le chapitre 8 ("Là où se consume l'histoire") est un remarquable coup de pied dans la fourmilière des intellectuels, auxquels Michel Onfray reproche de se soumettre aux pouvoirs politiques, économiques ou médiatiques (parfois les trois ensemble), ce qui va à l'encontre du rôle de l'intellectuel dans la cité.
Le chapitre 17 ("Le cliquetis des petits sentiments desséchés") est une charge impitoyable et drôle contre les... critiques littéraires ("Je tiens la caste d'un certain nombre de critiques littéraires propriétaires des rubriques idées dans les supports médiatiques contemporains pour une engeance de rats et de chiens".)
Le chapitre 22 ("À ceux qui ne veulent pas jouir", sous-titré "Comment peut-on ne pas être hédoniste ?") procède de la même virulence et frappe de taille et d'estoc ceux-là qui refusent le plaisir, hantés qu'ils sont par des pulsions mortifères et la haine de soi. Onfray en profite pour résumer lumineusement ce qu'est pour lui l'hédonisme, en six points : 1° un sensualisme, 2¡ un volontarisme, 3¡ un individualisme, 4¡ un surhumanisme, 5¡ un vitalisme athée, 6° une esthétique. Il ne fait en cela que réitérer avec force, arguments à l'appui, des thèmes qui lui sont chers et qu'il exploite depuis son tout premier livre, dans sa volonté de promouvoir une philosophie utile, eudémoniste (philosophie du bonheur), contre tous les nihilismes contemporains.
Le chapitre 27 ("Sur la haine de la langue française") est un autre grand moment du livre. Sont fustigés les fossoyeurs de la langue et les écrivains sans vocabulaire, au style au suplus filandreux.
Le chapitre 34 ("Aux gardiens du temple anarchiste") est une salutaire et magistrale charge contre l'anarchisme contemporain et doctrinaire.
Et tant d'autres choses encore : réflexions sur les femmes qui fument le cigare, portrait du peintre Clovis Trouille, relation d'un voyage en Libye sur les terres d'Aristippe de Cyrène, père fondateur de l'hédonisme philosophique, etc.
Michel Onfray est un jeune philosophe de 42 ans, auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont pas un ne radote (je sais de quoi je parle : j'en ai lu douze). Ceux qui professent que la philosophie ne sert à rien feraient bien de lire Michel Onfray : ils découvriraient dans son oeuvre tout un arsenal thérapeutique propre à soigner durablement jusqu'aux âmes les plus encroûtées. Et dire qu'on avait oublié de jouir...

Syllah-o - Liège - 61 ans - 5 décembre 2001