Dostoïevski : articles et causeries
de André Gide

critiqué par Saule, le 17 mai 2005
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Un génie
Quoi ! Pas de critiques sur ce livre ? Il aurait échappé à Jules ?

Je suis tombé sur ce livre de André Gide par hasard, chez un bouquiniste, et je l'ai lu quasiment d'une traite. Parce que le sujet est passionnant, que Gide a une verve formidable et un enthousiasme débordant pour Dostoïevski.

Gide écrivit cet essai en 1922, à l'époque ou la France découvre Dostoïevski avec les premières traductions incomplètes (le traducteur attitré trouvait que Les frères Karamazov ne convenait pas aux lecteurs français - trop long et embêtant -, ainsi que les Possédés !). Le but de Gide était de promouvoir l'auteur Russe. Il l'encense donc tout au long de ses causeries (le livre est un compte rendu de conférences). Gide vouait une admiration sans borne à l'auteur russe, il le place tout en haut dans le panthéon des romanciers (Gide dit à un moment qu'il vient de relire toute l'oeuvre de Dostoïevski pour la quatrième fois). Autre aspect intéressant, il montre à travers la correspondance de l'auteur Russe à quel point c'était un homme assoiffé de vie, optimiste, et cela même au plus profond de la misère du bagne.

Quelque points intéressants que j'ai trouvés dans ce livre : l'importance pour Dostoïevski de l'humilité, caractéristique essentielle de l'âme russe et chrétienne. "Renoncer à soi-même", message évangélique qui pose problème à l'esprit occidental, est la base de tout dans son oeuvre. Il illustre cette humilité par un extrait remarquable d'une lettre à son frère ou Dostoïevski dit (je cite de mémoire) "Pourquoi me refuserait-il ça puisque je n'exige rien, que je demande humblement ?". A l'inverse, l'orgueil conduit droit en enfer. Gide distingue trois couches dans les personnages de l'écrivain : celle de l'intelligence (qui conduit les personnages systématiquement au désastre), celle de la passion (on peut dire que Dostoïevski s'en donne à coeur joie dans celle-là) et une troisième couche, plus profonde, la seule vraiment importante. Mais encore : la dualité, la présence du bien et du mal, ...En ce qui concerne la religion, il situe Dostoïevski comme un chrétien proche du bouddhisme. J'apprends que Gide partageait l'amour de l'évangile avec l'écrivain, tout comme Nietzsche. Mais ce dernier n'avait pas la même humilité que Dostoïevski, ce qui fait que son amour du Christ s'est transformé en jalousie (sentiment qui n'existe pas chez les russes).

Évidemment Gide se livre a une analyse subjective, il avoue même que par moment il se sert de Dostoïevski pour exprimer sa propre pensée ! Gide lit et ressent l'auteur avec sa propre sensibilité qui n'est pas nécessairement la notre.

Nietzsche avait dit "Dostoïevski...le seul qui m'ait appris quelque chose en psychologie". Freud n'aimait pas Dostoïevski, il voyait assez de cas pathologiques dans son cabinet que pour lire en plus l'oeuvre d'un fou. Paul Diel y voit un exemple d'exalté nerveux (ce qui n'est pas bon chez lui). Moi je pense que Dostoïevski dépasse l'entendement, il touche une couche profonde en nous, c'est d'ailleurs un des rares auteurs qui puisse capter entièrement mon esprit et me laisser comme pantois devant quelque chose qui me dépasse.