L'enfant du Danube de János Székely

L'enfant du Danube de János Székely
( Kísértés)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Sahkti, le 5 mai 2005 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 49 ans)
La note : 7 étoiles
Visites : 5 081  (depuis Novembre 2007)

Leçon de vie et de misère

Comme dans un roman à un sou, ma vie débuta par une tentative de meurtre sur ma personne".

Un premier chapitre qui donne le ton. L'enfant raconte sa conception accidentelle, le non-désir de sa mère, ses tentatives de mettre un terme avant l'heure à cette grossesse malheureuse, l'échec.
Autant de tristesse énoncée d'un ton froid, lucide, indifférent. Un gamin dont on sent dès les premières lignes qu'il a la peau dure et un regard glacial sur le monde, ce monde dont il connaît la misère.
Quelle relation d’amour-haine entre une mère et son fils tout au long de ce livre. Un amour qui se traduira au départ par du respect pour une tante excentrique et du dégoût pour une mère qui regarde à peine son enfant. Toutefois, cela n’empêchera pas le jeune Bela de monter à Budapest vivre avec sa mère dans un deux pièces misérable et de décrocher un job de groom afin de ne pas mourir de faim. Et pourtant… la faim est là, omniprésente, au fil des jours, une faim qui tenaille et qui ronge, une faim qui donne la nausée. Talentueux coup de plume de Székely pour rendre compte de cette misère glauque et bouleversante.

"Dans mon désespoir, il me vint une idée ignoble. Je savais que, vers une heure, la servante apportait au chien les restes du déjeuner. Je me cachai dans un buisson jusqu’à ce que cette fille soit retournée à la cuisine, puis je me glissai jusqu’à la niche et fis main basse sur l’écuelle. Le chien était un de mes fidèles amis ; il ne broncha pas et se contenta de me regarder de ses yeux faibles et injectés de sang, comme s’il ne comprenait pas ce que je faisais. J’avais pitié de ce pauvre vieux chien, mais j’avais encore plus pitié de moi-même. Je m’enfermai dans les cabinets et je dévorai tout ce qui était mangeable. Cela devint mon repas quotidien." (page 46)

C’est une vie de jeune garçon qui s’étale ici devant nous, avec les premiers émois, les premières angoisses, les premières révoltes et puis ces découvertes progressives de la société, du monde, de la misère. Bela est impressionnant de froideur et de lucidité, il gère sa misère comme un adulte, il prend en charge sa destinée sans rien demander à personne, un petit mec qui se fait tout seul car il sait que personne ne lui donnera rien mais qu’il doit pourtant beaucoup à tout le monde (les dettes et les sacrifices de sa mère. Un passage émouvant sur une choucroute d’un 31 décembre, repas modeste en soi et qui prend des apparences de festin et de soleil).
Bela est conscient de l’importance de l’éducation et de poursuivre sa scolarité, mais comment concilier école et travail ? C’est impossible. Cela ne l’empêchera pas de garder tout le temps en lui ce besoin d’apprendre. J’ai aimé ce passage dans lequel un livre d’anglais à "deux pengoe vingt" devient le rêve de chaque nuit, un objet de culte, le but à atteindre et la motivation devant quatre heures de marche pour arriver dans ce grand hôtel qui l’emploie comme modeste employé.
Bela sait qu’il est pauvre, il en a honte, mais jamais il ne perd espoir et en cela, ce livre est une belle leçon. Je ne suis pas friande des romans mélodramatiques, des histoires au pathos trop sensible. J’avais une appréhension quand j’ai lu que c’était la version hongroise des Misérables, je n’aime pas Les Misérables… mais le livre refermé, je suis sous le choc. Je n’arrive pas à dissocier la vie difficile qu’a connue Janos Székely de celle de son héros Bela. Des vies différentes mais toutes deux marquées par la souffrance, le rejet, l’exil, l’espoir d’un monde meilleur.
Quand j’ai vu le volume (près de 700 pages), j’ai pensé "Houla! Tiendrai-je pendant 700 pages de douleurs et de malheur?". Je l’ai lu à petites doses, afin d’ingérer l’histoire, de m’imprégner des détails et tenter de me mettre à la place de ce petit garçon qui raconte sa vie, sa misère et qui jamais ne baisse les bras. Une belle leçon de courage.

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