Les vestiges de Janvier
de Jeanne Bresciani

critiqué par Sahkti, le 19 avril 2005
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Littérature corse
"Chaque jour je découvre des restes de moi-même en remuant les braises d'un passé que j'attise encore de ma plume et qui ne m'appartient plus." (page 140)

Nouveau plongeon dans l'univers littéraire de Jeanne Bresciani, retrouvailles émouvantes grâce à ce texte dédié au souvenir et à la mémoire, thèmes précédemment abordés avec succès dans son opus "Deux, rue de la Marine".
Charles Janvier vient de mourir. Son ami Giambattista Bellingeri, qui a pris le pseudonyme de Janvier pour publier ses propres textes, nous en offre un portrait tantôt émouvant tantôt dur à travers des notes éparpillées dans les divers carnets de Charles dont il hérite. Il poursuit son exploration des âmes avec une correspondance, "les lettres de Nina", échanges épistolaires entretenus avec Vanina Ventiseri, compagne de Charles des années auparavant. Une femme qui souffrira éperdument par amour, qui aimera Charles au point de subir pas mal d'affronts moraux jusqu'au jour où il sera établi et inéluctable qu'ils ne se conviennent pas. Elle tentera le tout pour le tout, s'accrochera, aimera envers et contre tout, mais Charles résistera, émergera, dominera de toute sa froideur cette femme à laquelle il ne peut rien donner.
"Lorsque l'on n'aime pas, on n'est pas entamé..." (page 147)

Quelle force dans la plume de Jeanne Bresciani pour nous parler de cet amour unilatéral et pathétique, de l'abnégation d'une femme qui s'oublie au profit d'un homme qui ne la regarde plus, de la souffrance endurée par ce même homme incapable d'aimer à nouveau et vivant avec un fantôme dans la tête.
De fantômes, il en sera question dans cet ouvrage. Le fantôme d'Angela, la soeur de Giambattista, qui hante sa mémoire et ces pages, qui aura le mot de la fin, violent et douloureux, bouleversant tout sur son passage et faisant naître une profonde amertume.
Touchée, je l'ai été par la sensibilité de la plume de Jeanne, par cet amour qu'elle porte aux êtres tout en jugeant avec lucidité et une certaine dureté l'âme humaine et les défauts des hommes.
Charles Janvier, par exemple, est décrit sans concessions, naviguant entre le statut d'homme sans coeur et celui d'être profondément malheureux. Les deux ne sont pas incompatibles, cela peut fragiliser une vie jusqu'au point de non-retour. Beaucoup de subtilité pour décrire tout cela.

Avec en prime une musicalité frappante tout au long du texte, une mélodie des mots qui rend le texte fluide et aussi vivant dans le sens "évolutif". Une âme n'est pas figée, elle bouge, elle erre, elle se fane ou s'enflamme.... tout cela transparaît dans "Les Vestiges de Janvier" avec un recul minime pris par l'auteur, indispensable pour conforter le processus narratif (un homme raconte la vie de deux autres personnes le temps de leur relation) et suffisamment invisible pour permettre au narrateur de se confondre avec ses personnages et de s'identifier à travers aux. Son histoire passe par la leur et vice-versa.
"On met si longtemps à exprimer les choses... non par manque de vocabulaire mais faute de compréhension de ce qui nous arrive, que l'on porte pourtant à l'intérieur de soi." (page 23)

Ce texte ressemble à une complainte qui se perdrait dans la nuit des temps. L'héritage de la mémoire, universel et intemporel, le poids du souvenir, les secrets à ne jamais briser, les amours effacées, l'errance éternelle des gens qui se cherchent et ne se trouvent pas. Nulle part.
Une écriture dense, mêlant puissance et poésie, que je vous invite chaleureusement à découvrir!

Rappelons les coordonnées de l'éditeur, cet ouvrage n'étant pas diffusé partout: Editions Pétra, 12 rue de la Réunion à 75020 Paris (0033143714130)