La leçon de chant de François Emmanuel

La leçon de chant de François Emmanuel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 12 avril 2005 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 794ème position).
Visites : 4 194  (depuis Novembre 2007)

Ombres et lumières.

Le cinquième roman de François Emmanuel est tissé sur la trame sombre des « romans d’hiver ». Il est aussi le dernier publié aux éditions de la Différence, avant le passage de l’auteur chez Stock.

Tout comme "Le Vent dans la maison" sera dédié à Antigone, "La Leçon de chant" s’inscrit dans la filiation d’Ismène, cette sœur solaire toujours oubliée au profit de la noire Antigone, ce soleil éclipsé par l’ombre immense de celle qui choisit la mort, tandis que la blonde Ismène est comme coupable d’avoir voulu vivre.

L’écriture du roman occupe une place assez particulière dans l’ensemble des œuvres narratives d’Emmanuel : des phrases plus longues, plus travaillées que dans les premiers récits ; une écriture aussi dont tout dialogue est absent, ou plutôt dans laquelle les dialogues se coulent, s’insinuent au sein de la narration, simplement indiqués par la présence d’une majuscule en milieu de phrase, jamais par un point en fin de « réplique » : « Elle a ri un peu, de l’ironie du détail, puis à la faveur de ce rire les premiers mots sont venus, Froid, Peut-être un peu faim aussi, Je n’avais pas vu ta fenêtre allumée alors j’ai cru, Tiens le miroir a changé de place. Et lui, fasciné soudain dans la lumière crue, C’est étrange, J’ai l’impression étrange que tu n’es jamais partie. » Une écriture moderne, en quelque sorte, dont ce roman fournit un unique exemple.

Enfin, et cet aspect compte pour beaucoup dans le charme de ce livre, "La Leçon de chant" est baignée – faut-il s’en étonner ? – d’une pénétrante atmosphère musicale où Schubert joue un rôle prépondérant. On connaît ces phrases autographes (citées dans le roman) où le compositeur viennois, mort de la syphilis à trente et un ans, explique que, dans ses œuvres : « L’amour se transforme en douleur, et la douleur en amour ». Cette secrète et double alchimie est également, et constamment à l’œuvre chez Emmanuel. Mais la musique de Schubert est présente aussi, presque physiquement, dans la « basse continue » du récit. De nombreuses œuvres sont évoquées, notamment des Lieder puisque l’héroïne est cantatrice, dont l’un joue un rôle de prélude et reviendra plusieurs fois en refrain, plongeant le livre dans les mystères de l’inconscient humain : "Nacht und Traüme", « nuit et rêve »… C’est à nouveau la face cachée de l’être qui sert ici de matière romanesque. Une autre composition affleure constamment juste sous la surface du récit – je ne crois pas, sauf erreur de ma part, qu’il y soit fait explicitement référence : "Der Tod und das Madchen", « la jeune fille et la mort ». Mais cette conjonction de la mort et d’un personnage féminin souvent très jeune est également à l’œuvre dans bien d’autres romans de l’auteur.

Quant à l’intrigue elle-même, elle s’articule autour des trois sommets d’un triangle constitué par le narrateur, un vieil homme, ancien ténor, devenu accompagnateur et professeur de chant, sa jeune élève Clara Mangetti, et Pierre, un peintre, compagnon de Clara.
« Une vie entière vous est donnée, à force de la gonfler en un seul endroit de son être, vous pouvez la faire basculer sur son fragile point d’équilibre. » Bientôt éclatera cette évidence : la fragilité de Clara. Fragilité de la voix, fragilité de l’être. Clara qui disparaît quelques jours avant Noël, puis qui réapparaît, évoque Milena la jeune morte, sa sœur éclatante face à elle « la lente, la pesante », et leur mère qui chantait dans les bars : « Depuis le commencement vous le saviez, vous deviez le savoir, Ce n’est pas ma voix, Ce n’est pas elle, Ce n’est pas ça, Ma voix. »
Clara devra « Parler, parler encore, face au foyer, face à la nuit », pour se détacher de cette « horreur d’être habitée par l’autre », la sœur miraculeuse sombrant dans l’anorexie, mourant « comme une oiselle ». Pour devenir, peut-être, elle-même. Même si « Ce monde est un théâtre d’ombres où les ombres sont les lumières et les lumières les ombres. »

Ombres et lumières du mythe, de la musique, de l’âme humaine. Un livre sombre et lumineux qui nous renvoie à nos propres contradictions, nous qui cherchons si souvent un peu de clarté dans la nuit, nous qui oublions si souvent le soleil de l’instant pour des souvenirs d’autres lunes…

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7 étoiles

Critique de Ori (Kraainem, Inscrit le 27 décembre 2004, 88 ans) - 20 mai 2009

... écrivait Musset, mais semble nous redire François Emmanuel avec son si beau roman : une lamentation autour de Clara, héroïne silencieuse, triste, et pour un temps, indéchiffrable, meurtrie par les douleurs de l’enfance et que ses rencontres avec deux amants (Pierre le peintre et le Narrateur, pianiste) l’auront sans doute sauvée d’une folie imminente.

Un roman-lamentation à la phrase somptueuse et à la poésie sous-jacente. Je découvre seulement François Emmanuel et je sais déjà que ses autres romans me donneront un pareil bonheur de lecture …

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