Le con d'Irène
de Louis Aragon

critiqué par Kinbote, le 12 avril 2001
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Autoprotrait de l'écrivain en pornographe
Autant le dire d'emblée, on ne bande pas à chaque ligne. Philippe Sollers nous avait prévenu dans sa préface : " Livre érotique, Le Con d'Irène? Pas vraiment. "
Alors quoi ? Plutôt une variation sur le thème du sexe qui déroute nos habitudes de lecture.
" C'est une manie bourgeoise de tout arranger en histoire. " C'est Aragon qui parle. On reconnaît là la haine du roman traditionnel, chère aux surréalistes, et c'est bien puisque ce récit présente des allures de " nouveau roman " avant la lettre. Multiplicité des voix, des genres aussi. Les chapitres font se succéder une visite au bordel, le monologue d'un paralytique très voyeur, une chronique familiale dans laquelle ce sont les femmes qui mènent la danse, une ode à la sexualité à distance des poissons, l'éloge d'un con tout ce qu'il y a de féminin, les états d'âme du narrateur plongé dans la mièvre province française des années 20, une réflexion sur l'écriture et l'érotisme dont on retiendra ces passages: " Je ne pense pas sans écrire, je veux dire qu'écrire est ma méthode de pensée. Le reste du temps, n'écrivant pas, je n'ai qu'un reflet de pensée, une sorte de grimace de moi-même, comme un souvenir de ce que c'est " ou " L'idée érotique est le pire miroir. Ce qu'on y surprend de soi-même est à frémir. " On l'aura compris, le jeune Aragon n'a pas le sexe heureux ; il faut dire que les surréalistes se montraient prudents voire prudes sur le sujet. Breton y veillait.
Le livre vaut aussi pour son écriture, véloce, alerte, qui dispense nombre de fulgurances. On notera en vrac : " les caravanes du spasme ", "il flotte autour d'elle un grand parfum de brune, de brune heureuse, où l'idée d'autrui se dissout ", ou encore: " sous cette broderie bien partagée par la hache amoureuse, amoureusement la peau apparaît pure, écumeuse, lactée ". Des tournures de phrases, des rythmes préfigurent les alexandrins que colporteront à l'envi les musiques de Ferré, de Ferrat.
Autoportrait de l'écrivain en pornographe avant qu'il ne se compromette dans l'aventure communiste. Par terreur, dit Sollers.