Tintin et moi. Entretiens avec Hergé de Hergé, Numa Sadoul

Tintin et moi. Entretiens avec Hergé de Hergé, Numa Sadoul

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Johnny 2000, le 11 avril 2001 (Bruxelles, Inscrit le 3 mars 2001, 41 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 083ème position).
Visites : 5 543  (depuis Novembre 2007)

L'émouvante biographie de Georges Rémi

Comme vous le savez peut-être, Numa Sadoul a été le premier auteur à interviewer longuement des dessinateurs et/ou scénaristes de Bandes Dessinées.
Sa première interview est celle d'Hergé. Les questions posées sont pertinentes, intéressantes et permettent de mieux cerner le l'homme mystérieux qu'était Hergé.
Hergé nous parle de sa vie, ses moments difficiles mais aussi ses instants de bonheur. Vous trouverez également dans ce livre une analyse intéressante des aventures de Tintin commentée par son père : Hergé.
L'analyse nous montre que certaines parties des histoires de Tintin sont autobiographiques.
Bref, il s'agit là d'un livre indispensable pour tous ceux qui sont des inconditionnels de Tintin et d'Hergé.

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Hergé : une vie en clair obscur

9 étoiles

Critique de AmauryWatremez (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans) - 19 octobre 2012

Remercions Steven Spielberg et Peter Jackson de remettre Tintin à l’honneur par la trilogie de longs métrages qu’ils préparent.

Découvrir la littérature grâce à Tintin et Milou.

Beaucoup d’enfants, depuis 1929, ont appris à lire, s’émouvoir, s’amuser avec les albums de Tintin, de Jo, Zette et Jocko, créés en 1935 pour satisfaire les désirs des éditeurs français, ou Quick et Flupke, inventés en 1930, beaucoup moins sages que Tintin, qui est finalement un « véhicule » pour l’auteur pour raconter des histoires rocambolesques, et plus politiques. Hergé a maintenant de très savant exégètes et commentateurs qui ont tendance parfois à oublier leur enfance, et leur émerveillement quand ils étaient très jeunes.

Dans les années d’avant-guerre et après, Hergé était l’auteur de livres pour la jeunesse le plus réputé, que l’on découvrait à travers les films en images fixes projetés dans les patronages. Il a commencé à travailler pour Le Petit Vingtième, supplément du journal catholique, Le Vingtième siècle de l’abbé Norbert Wallez, bientôt éclipsé par son cahier jeunesse, en Belgique et Cœurs Vaillants en France. Tintin est une introduction parfaite à la littérature de genre en particulier, et la littérature tout court, dont on trouve des références dans les albums: d’Henri de Monfreid, découvert grâce à son intervention dans Les Cigares du pharaon par de nombreux lecteurs, à Balzac (le livre de Pol Vandromme sur l’auteur de La Comédie Humaine, Balzac et son monde lui inspire une partie de l’intrigue de Coke en stock dans lequel on retrouve tous les personnages des album précédents. On pense aussi à la figure de Jacques Berger, qui écrivait dans Planète dont Hergé était un lecteur assidu, caricaturé gentiment dans Vol 714 pour Sydney en Mik Ezdanikoff aux insultes du capitaine Haddock qui sont souvent très céliniennes, d’aucuns parmi les exégètes de Céline y voyant des réminiscences de Bagatelles pour un massacre.

Tintin le vrai père d’Hergé ?

Au départ, Tintin était surtout pour Hergé un jeu, une récréation entre deux travaux publicitaires qu’il estimait beaucoup plus sérieux. Il monta même un atelier Hergé pour la création de panneaux publicitaires, atelier qui périclita bientôt du fait des multiples activités du dessinateur. Bientôt, il fut complètement pris par son personnage principal qui lui permit de se découvrir et s’accepter au fur et à mesure de son existence, car comme le dit Benoît Peeters, Hergé n’est pas le père de Tintin c’est l’inverse, et c’est la créature qui accouche de son créateur, quand le reporter commence son premier périple « au pays des soviets » en 1929.

Et l’abbé Wallez est au moins le co-inspîrateur du personnage, au moins dans sa période Petit Vingtième. Ce prêtre ne se limita pas à aider Hergé dans ses travaux littéraires, puisque ce fut lui qui lui présenta Germaine Kickens, sa future première femme, et qui le dirigeait dans plusieurs aspects de sa vie : sentimentaux donc, mais aussi politiques et spirituels. Norbert Wallez est souvent présenté comme admirateur des fascistes et fasciste lui-même, ce qui est certainement exact, mais comme rien n’est simple, on sait aussi que ce fut un des premiers en Europe à dénoncer les camps de concentration et le sort réservé aux juifs par Hitler et sa clique.

Il est intéressant également de se souvenir de l’intrigue du Sceptre d’Ottokar qui raconte un « Anshluβ » raté aux dires mêmes de Hergé.

Il y a dans l’œuvre, car c’en est véritablement une, des jalons importants, la rencontre avec Tchang Jon Jen et l’élaboration du Lotus Bleu en 1934 quand Hergé commence à comprendre sa responsabilité d’artiste, la sérénité atteinte grâce à Tintin au Tibet, après la rupture avec Germaine sa première épouse, rupture vraiment officialisée en 1977, le délire de la « non-aventure » qu’est Les Bijoux de la Castafiore en 1960 qui est le véritable dernier album de Hergé. On note aussi que cette « non-aventure » est aussi une sorte de vengeance de l’auteur contre sa femme qui se moque d’elle, de sa rigidité, de son incapacité supposée à l’écoute, à travers la caricature de la cantatrice non pas chauve mais un rien loufoque qu’est « le Rossignol milanais ».

Et progressivement, Hergé invente des personnages auxquels il s’identifie plus facilement, bien éloignés du « démon de la pureté » qui le possède depuis les années 30 et l’influence de l’abbé Wallez : Haddock, chez qui on retrouve aussi des traits de caractère de E.P. Jacobs, les Dupondt bien sûr qui sont selon Hergé lui quand il se laisse aller à l’idiotie et Milou est de plus en plus tourmenté par le petit diable qui apparaît régulièrement pour le tenter de ne pas faire son devoir de chien de héros.

La vie d’Hergé à travers différents prismes

Quand on lit les différentes biographies de Georges Remi (sans accent sur le « e », il y tenait beaucoup) alias Hergé, d’actualité en ce moment du fait de l’adaptation du Secret de la Licorne par Steven Spielberg, à commencer par celle de Pierre Assouline, ou celle de Benoît Peeters qui est un peu plus déférente, ou enfin celle psychanalytique de Serge Tisseron,au sujet du dessinateur de Tintin mais pas seulement, on se rappelle vite le titre de l’ouvrage consacré à son ancien collaborateur, Jacques Van Melkenbeke, A l’ombre de la ligne claire, qui aurait pu correspondre parfaitement à une biographie d’Hergé car il a une existence marquée par le doute, divers atermoiements, une étonnante complexité de caractère aussi. Hergé le dit lui-même dans ses « entretiens » avec Numa Sadoul, il est marqué par son insaisissable nature « Gémeaux », à la fois obsédé par la recherche d’une pureté impossible, cédant à ses démons, voulant montrer un visage aussi lisse et épuré que celui de son héros principal se situant toujours dans la dualité. Hergé sera toute sa vie passionné par les « sciences parallèles », l’occulte, le bizarre.

Avec Germaine, ils fréquenteront jusqu’en 1949 une voyante envahissante qui leur servira de gourou de couple, qui sera à l’origine par exemple de la brouille avec l’« ami Jacques », Van Melkenbeke, attribuant une influence néfaste à un portrait d’Hergé qu’il avait réalisé.

Hergé est marqué par la figure du double, que l’on retrouve dès son enfance avec celle de son père qui avait un frère jumeau dont il était inséparable à la manière des Dupont/Dupond qui sont quant à eux de « faux » jumeaux.

Son père et son oncle accentuaient leurs ressemblances et similitudes par le port des mêmes vêtements et par leur coupe de cheveux.

Cette ambigüité très marquée se devine également à travers ses amitiés pour quelques hommes ne cachant pas leur attirance pour le corps des jeunes garçons de moins de seize ans, comme Paul Cuvelier, dessinateur de Corentin, ou tel Gabriel Matzneff, ami proche du couple Remi.

Il y avait aussi le poids du secret dans la famille d’Hergé, dont celui de l’origine peut-être royale des deux frères jumeaux, celui autour de la probable maladie nerveuse de sa mère, Élisabeth, une femme extrêmement fragile, affection dont on ne parlait pas, on préférait évoquer sa « fragilité ». Il y avait aussi la pédophilie d’un de ses oncles qui abusa de Paul, son frère. On retrouve dans la plupart des albums d’Hergé cette obsession des faux-semblants, des lourdes atrocités que l’on doit impérativement cacher derrière des mensonges.

Il y a ce côté effrayant des manigances des trafiquants des Cigares du pharaon, la peur que peut inspirer entre autres « le poison qui rend fou », la folie des savants des albums, que ce soit le professeur Halambique, qui a un jumeau maléfique, le professeur Calys, Philémon Siclone ou Tournesol lui-même parfaitement indifférent au monde qui l’entoure, ce que souligne sa surdité parfois sélective, et aux conséquences parfois néfastes de ses inventions comme on le voit dans L’Affaire Tournesol ou dans Coke en Stock.

Et les rêves des personnages sont très importants dans la plupart des albums, leur onirisme décalé dans l’univers précis et marqué par le souci du détail de la ligne claire, ce qui permet de rapprocher Hergé de Magritte, les « Dupondt » rappelant les personnages à chapeau melon des toiles du peintre surréaliste.

Hergé était-il raciste ?

Il y a quelques temps, il y eut une polémique autour des idées que véhiculeraient les albums d’Hergé, réputé réactionnaire, à commencer par toute la discussion autour de Tintin au Congo.

Le ridicule ne tue pas, ça se saurait. On peut se poser la question : qu’est-ce qui fait le plus de mal à l’Afrique ?

Les dictateurs sanglants tenus en laisse par les occidentaux, l’extrémisme ethnique et religieux, l’ignorance, l’exploitation des populations, les charlatans de toute obédience, dont certains évangélistes, qui se piquent de guérir le SIDA avec des poudres de perlin pinpin ou une BD qui, si elle n’est pas évidemment des plus subtiles, n’est pas un brulot raciste. Il y a d’ailleurs deux versions de l’album, la première est premier degré et fait l’apologie du colonialisme, il n’y a guère que des collectionneurs un peu dingues, ou aux arrière-pensées troubles, pour la lire, la deuxième est beaucoup plus second degré,

Hergé est de fait plus ironique et a plus de distance sur la question. Et surtout il n’est plus soumis aux contraintes de propagande que lui demandaient Le petit Vingtième sur le colonialisme.

Et puis on se rappellera les cases montrant dans Le Lotus Bleu Tintin se mettant en colère contre un occidental brutalisant un « coolie » chinois pour comprendre qu’il n’était pas raciste. Il avait jusque là les préjugés de son époque et s’en libère en fréquentant Tchang.

Dans ce cas, dans cette optique, il y a encore beaucoup de choses à boycotter dont Jules Verne entre autres. En plus, ce boycott fait le jeu des racistes justement et de tous ceux se prétendant comme ils disent “politiquement incorrects”. Il y a une chose qui me frappe toujours d’ailleurs chez ce genre de bons apôtres : celui qui prononce les beaux discours c’est toujours un blanc et dans un coin on aperçoit un africain ou un arabe servant d’alibi ou plutôt de “bon sauvage” qui dira un mot ou deux le moment venu (j’ai assisté à plusieurs conférences, par exemple, sur la Palestine où c’est toujours comme ça).

Cela me fait penser aux mêmes qui, en France, nient les problèmes qu’ils prétendent combattre par excès d’angélisme, comme nier par exemple que le regain d’antisémitisme depuis quelques années émane essentiellement d’une confession dont les croyants font la confusion entre Israèl et le judaïsme.

Cette confusion, parfois émise pour brouiller les pistes, est de plus en plus commune sur de nombreux forums et autrement plus préoccupante que les caricatures d’Hergé.

Il est également de mise d’accuser d’ailleurs Hergé d’être antisémite du fait des caricatures de personnages juifs jalonnant ses histoires, monsieur Bohlwinkel dans L’Étoile mystérieuse, typé certes à outrance, le marchand mielleux de brocante du Crabe aux pinces d’Or. Beaucoup de commentateurs hostiles à l’œuvre de Georges Remi voyaient aussi Rastapopoulos comme juif lui aussi, ce qu’il n’est pas selon son dessinateur.

L’héritage d’Hergé après sa mort

Après sa mort Hergé fut statufié par ses ayants droits et héritiers, qui en firent le Pape de la « ligne claire » alors que celle-ci est finalement plus la conséquence du travail en studio que d’une véritable recherche stylistique d’Hergé, et les biographies autorisées, et écrites selon la vulgate de la Fondation Moulinsart, dirigé par le deuxième mari de Fanny Remi, Nick Rodwell, dont celle de Philippe Goddin. On se souvient du slogan un peu bêta du journal Tintin dans lequel de nombreux talents ont éclaté : pour les lecteurs de 7 à 77 ans. Ce livre est non seulement réservé aux érudits mais aux érudits friqués. Il enlève Hergé à ses lecteurs, le confisque au seul bénéfice d’une certaine classe. C’est la stratégie de sa veuve et son associé plus ou moins « rastapopoulosien », statufier Hergé pour se statufier soi-même.

Bien sûr que d’autres font du fric avec Jacobs par exemple sur des albums qui n’ont pas toujours été bons, on se souvient avec dégoût du tome 2 des “3 formules du professeur Sato”, mais au moins, les héros continuent à vivre et à titiller l’imagination des lecteurs, des plus jeunes aux plus vieux.

On ne contestera pas le fait que certains albums de Tintin atteignent au génie graphique, comme Le Lotus bleu, comparables à des estampes de prix. Mais c’est un peu comme les peintres classiques tels Rembrandt dont la Ronde de Nuit n’était pas faite pour être vue seulement par des privilégies mais par tout le monde, gratuitement. En pensant au livre de monsieur Goddin comme à celui d’autres spécialistes pointus mais bien secs, on pense aussi à ces adultes qui jouent au “p’tit train” à soixante ans révolus, interdisant leur jouet aux enfants.

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