A mi-chemin
de Sam Shepard

critiqué par Sahkti, le 8 avril 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La vie qui bascule
Sam Shepard est un homme que j'aime beaucoup, davantage encore l'auteur que l'acteur. Son écriture est dense, très humaine. Elle raconte des vies paumées et la misère sociale avec réalisme. Cependant, pas de voyeurisme gratuit ou d'effets sensationnels, juste la beauté d'une écriture qui plonge dans les âmes et nous présente, brut, ce qu'elle y trouve.
C'est une fois de plus le cas dans ce recueil de nouvelles (18 en tout), qui suit le parcours de pauvres gens, pauvres dans l'âme ou dans les poches. Des êtres dont la vie bascule à un moment donné, souvent à cause de touts petits rien, des disputes pour des broutilles qui se révèlent être des gouffres insurmontables et brisent une amitié, un amour, une complicité. L'errance pointe le bout de son nez, la solitude aussi, le désespoir. C'est par moments très dur. On se rend compte que certaines choses que l'on pense immuables sont en réalité très fragiles et qu'un infime événement peut tout faire basculer, c'est assez consternant et effrayant si on se dit que ça arrive à Mr et Mme Tout le Monde, donc à nous aussi.
L'AMERIQUE PROFONDE... 8 étoiles

Oublions Sam SHEPARD l’acteur (L’Etoffe des héros, Les Moissons de la colère,; Baby Boom ; L’Affaire pélican ; Opération espadon, La chute du faucon noir…), oublions le scénariste, (Paris, Texas ; Fool for love…), oublions le réalisateur (Far North ; Le gardien des esprits…) l’homme de théâtre, oublions même le côté glamour (il est l’époux de Jessica LANGE)…

Découvrons juste Sam SHEPARD l’écrivain, au style unique, inimitable, «brut de décoffrage», une alternance de phrases courtes, et de phrases longues, taillées sur mesure, incisives, sculptées, ciselées, en provenance directe du fin fond de l'Amérique rurale, le far-west, le vrai, le seul, l’unique…

En lisant Sam SHEPARD, on se croirait dans une chanson de Bruce SPRINGSTEEN, pas de héros, pas de triomphalisme, pas d'Amérique au dessus du reste du monde, pas de stars and stripes…

Juste l'Amérique des pauvres, des laissés pour compte, des cow-boys, des agriculteurs, des pauvres gens, des auto-stoppeurs, des vieilles personnes, des petits, des accidentés de la vie…
L'Amérique du commun des mortels, du peuple, des petites gens qui essaient de vivre, de survivre au jour le jour, de voler quelques instants de bonheur à la vie…

Voilà ce que nous propose Sam SHEPARD dans ce recueil de courtes nouvelles (la plus courte fait deux pages, la plus longue seize pages), j’ai personnellement beaucoup craqué pour Dean et Sherman les deux petits vieux de la nouvelle «Avec vue sur le ciel», qui tout en vivant ensemble depuis des années ne peuvent s’empêcher de se trouver des défis au jour le jour, comme p. ex. celui de qui des deux se lèvera le plus tôt le matin…

Un extrait : «Ils se connaissaient depuis toujours ces deux-là. Nés dans un trou du Dakota du Sud qui s’appelait Alma, du moins d’après l’écriteau sur le bureau de poste, ils avaient suivi des chemins différents dans la vie mais s’étaient régulièrement retrouvés jusqu’au moment où, après la rupture et le décès de leurs épouses respectives, après le départ des enfants pour l’enfer de la silicone informatique, ils avaient décidé de partager un petit bungalow en parpaings aux abords de Twentynine Palms. Et ils s’y étaient plu. Ils avaient vécu là, dans une relative béatitude, pendant onze années d’affilée…».

Un livre (comme tous les livres de Sam SHEPARD d’ailleurs) pour tous ceux que l'Amérique profonde intéresse, voir fascine… un grand, très grand auteur à découvrir d’urgence!

Septularisen - Luxembourg - 56 ans - 29 décembre 2007